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Moyen Orient et Monde - Arabie saoudite

Le défi de MBS : comment concilier désir de réformes et libertés quasi inexistantes

Une vague répressive touche de plein fouet les opposants au régime, essentiellement les ultras.

Mohammad ben Salmane en compagnie de la journaliste américaine Maria Bartiromo. Fayez Nureldine/AFP

Il n'est pas roi, du moins pas encore, mais tout le monde sait que c'est à lui qu'il faut s'adresser en Arabie saoudite. Mardi dernier, c'est un énorme pas en avant que le prince héritier et actuel homme fort du pays, Mohammad ben Salmane (MBS), a voulu franchir en rappelant à la journaliste – non voilée et non vêtue de la traditionnelle abaya noire qui, en principe devrait recouvrir toutes les femmes sur le territoire saoudien – qui l'interrogeait en direct sur le plateau du Future Investment Initiative (http://futureinvestmentinitiative.com/en/home) que l'Arabie d'« avant 1979 » ne ressemblait en rien à l'Arabie d'aujourd'hui. Sans vouloir s'attarder sur les considérations religieuses et politiques – qui ont mené le royaume à adopter un ultraconservatisme unique au monde, en faisant des femmes, à tous les niveaux, des citoyennes de seconde zone, en interdisant presque toute forme de loisirs et en contrôlant la société dans tous ses rouages –, le prince s'est voulu déterminé dans son discours et a délibérément cherché à minimiser le poids des ultrareligieux qui tiennent encore, à l'heure qu'il est, une place non négligeable dans la gestion du royaume wahhabite. « Nous n'allons pas attendre 30 années supplémentaires pour mener une vie normale », a ainsi affirmé Mohammad ben Salmane, sans détours et sans fioritures, dans un pays où le non-dit est roi.

 

(Lire aussi : En Arabie saoudite, un projet de développement à 500 milliards de dollars)

 

Faire taire les voix discordantes
Trancher avec le courant salafiste et se construire un solide capital sympathie auprès des jeunes qu'il sera amené à gouverner dans les prochaines années, tel était le double objectif du prince héritier. A-t-il tiré les leçons de la débâcle subie par presque tous les dirigeants arabes lors de la vague du printemps arabe qui a déferlé sur la région ? Cela semble être le cas, mais dans le même temps, il n'est pas sans ignorer le prix qu'il devra payer pour mener à bien son projet : faire taire, coûte que coûte, les voix discordantes, surtout celles de ses opposants politiques qui, de manière générale, appartiennent au courant rigoriste qui a longtemps imposé ses règles dans le royaume.

Seulement voilà, un changement aussi radical ne peut être possible sans des mesures tout aussi radicales, à tous les niveaux. Et c'est bien là que le bât blesse. Comment faire des promesses de libéralisation, comment laisser les citoyens s'exprimer sans courir le risque de permettre indirectement au courant ultraconservateur de tirer profit de cette liberté d'expression ? C'est en tout cas l'angle par le biais duquel le gouvernement saoudien veut justifier la vague de répression qui déferle sur le royaume ces derniers temps. La récente tentative d'attentat sur le palais al-Salam à Djeddah ne vient-elle pas à point nommé pour justifier ces craintes et ces mesures répressives ? Pour le journaliste Jamal Kashoggi, jadis proche de la famille régnante, « ce que fait le prince héritier est pertinent et porteur d'une vision qui est bonne pour le pays. Mais que cette vision permette d'inclure tout le monde, sans ostracisme et mises à l'écart », écrit-il ainsi sur Twitter. Une allusion aux récentes rafles dans les milieux salafistes, mais aussi au sein des blogueurs et autres activistes.

 

(Lire aussi : Mohammad ben Salmane s’attaque à nouveau aux tabous du royaume saoudien)

 

Sur les dents
Le régime saoudien est en effet sur les dents, car la crise politico-diplomatique qui l'oppose au Qatar bat son plein, et il n'est pas bien vu, au sein du pouvoir, de ne pas exprimer clairement son opposition au régime de Doha. De plus, l'enlisement de Riyad au Yémen le pousse également à se montrer extrêmement vigilant et à redoubler sa surveillance des frontières, mais aussi des régions du pays à majorité chiite. « Ce dont nous avons besoin, ajoute Kashoggi, actuellement en exil aux États-Unis, c'est de ne pas passer d'un intégrisme salafiste à un intégrisme réformiste », dans un tweet qu'il s'empresse de faire suivre d'un autre, louant cette fois les qualités de Mohammad ben Salmane : « 30 ans durant lesquels l'Arabie saoudite a payé le prix de son ostracisme, puis est arrivé ce garçon plein de courage qui a accepté de voir la vérité. » Dans un entretien accordé au site web en langue arabe de la chaîne CNN, Jamal Kashoggi affirme que les propos de MBS tombent à point nommé après des dizaines d'années perdues « dans les méandres d'une pensée salafiste étriquée ».

L'Arabie, monarchie absolue et théocratique, a fort à faire. D'abord, il va falloir définir la modération dans l'islam telle que voulue par le prince héritier. C'est dans cette optique qu'a été créé le centre gouvernemental pour le hadith. Ensuite, il faudra, tôt ou tard, s'atteler à définir le régime du pays. La monarchie absolue actuelle est difficilement compatible avec le changement radical voulu par l'homme fort de Riyad. Le royaume se lance dans les réformes, et il n'y a guère d'élément de comparaison, car il s'agit tout simplement de passer d'un pays où les droits humains et les libertés les plus basiques n'existent pratiquement pas à une société dite « du futur », avec la désormais célèbre ville de ce futur, Neom. Ce n'est rien de moins qu'une nouvelle ère que MBS désire ouvrir dans son pays. Ce qui le sauve dans sa titanesque initiative, c'est que la majorité des citoyens du royaume d'Arabie saoudite sont jeunes et qu'ils ne veulent plus vivre cloîtrés dans leur pays. Aura-t-il su prendre les devants et amorcer les réformes nécessaires à temps sans se faire devancer par les attentes de son peuple? L'avenir proche le dira.

 

 

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