Rechercher
Rechercher

Les assassins de Bachir Gemayel condamnés

Assassinat de Bachir Gemayel : Habib Chartouni et Nabil Alam condamnés à mort

Pour le député Nadim Gemayel, la décision rendue par la Cour de justice est une victoire pour le droit et la justice.

La famille Gemayel réunie hier à la Cour de justice. Photo Me Joseph Eid.

La Cour de justice a condamné à mort par contumace hier Habib Chartouni et Nabil Alam, coupables de l'assassinat de l'ancien président de la République, Bachir Gemayel, et de 23 autres personnes, perpétré lors d'un attentat à l'explosif contre la permanence des Kataëb, à Achrafieh, le 14 septembre 1982. La peine concerne seulement ces deux militants du Parti syrien national social (PSNS), et non la personnalité morale de ce parti.
Moins d'un an après l'ouverture du procès (le 25 novembre 2016), la juridiction d'exception, présidée par Jean Fahd et composée de Joseph Samaha, Ghassan Fawaz, Nahida Khaddaj et Thérèse Allaoui, a donc rendu avec une célérité remarquable son arrêt sur cette affaire, compensant un tant soit peu une occultation qui aura duré plus de 35 ans. Bien que tardif et condamnant des meurtriers en cavale, ce verdict constitue une consolation, quelque minimale qu'elle soit, pour les familles de Bachir Gemayel et des autres victimes, mais aussi pour tous ceux qui croient dans les valeurs d'indépendance, de souveraineté, de liberté et de dignité que prônait le plus jeune président de la République de l'histoire du Liban.

 

Au nom du peuple libanais
Le jugement de la Cour de justice a en outre ceci de réconfortant qui est de montrer que la loi n'est pas abstraite et qu'elle se traduit enfin dans la réalité par une sanction infligée à celui qui porte atteinte à la sécurité de l'État et vole le droit à la vie. Cette décision – non susceptible de recours – a montré qu'un tel crime s'inscrit dans un cadre hors temps, ou du moins que le temps qui passe n'est pas un facteur d'impunité. Elle a une portée nationale, puisque prononcée au nom du peuple libanais, elle rend justice à tous les Libanais, et non uniquement au souvenir des victimes.

En attendant l'ouverture de la séance, qui n'a commencé qu'à 16h alors qu'elle était prévue une heure plus tôt, le député Nadim Gemayel a affirmé à L'Orient-Le Jour que « la décision à laquelle nous nous attendons est très importante parce qu'elle rétablit le droit et la justice », confiant qu' « avec la connaissance de la vérité, nous allons enfin faire le deuil de nos martyrs ». Si sa sœur, Youmna Gemayel Zaccar, a approuvé ses dires, elle a toutefois ajouté qu' « il n'importe pas seulement de sanctionner l'individu qui a appuyé sur le bouton, mais aussi de condamner la tête pensante, à savoir l'appareil terroriste qui a orchestré l'acte odieux ».

 

Silence et applaudissements
Les membres de la cour font enfin leur entrée cérémonielle devant un détachement de la garde d'honneur. D'emblée, M. Fahd demande à l'assistance de se mettre debout pour écouter le jugement qu'il s'apprête à prononcer. Avec expectative et émotion, la veuve du président disparu Solange Gemayel, ses enfants Nadim et Youmna, l'ancien chef de l'État Amine Gemayel et son fils Samy, chef du parti Kataëb, les avocats de l'accusation, notamment Edmond Rizk et Naoum Farah, ainsi que de nombreux autres hommes du barreau, des personnalités partisanes et des proches de victimes, se lèvent pour suivre avec un silence quasi religieux l'énoncé de la décision.
D'emblée, le président de la cour indique qu' « un décret du Conseil des ministres, daté du 3/12/82, avait transféré à l'autorité judiciaire le dossier de l'agression contre la sécurité de l'État, qui a provoqué la mort du président Bachir Gemayel et de 23 civils », affirmant que le juge d'instruction, Saïd Mirza, désigné en date du 15/12/82 pour instruire l'affaire, a rendu le 29/10/96 un acte d'accusation à l'encontre des accusés. Il souligne que « Habib Chartouni (né en 1958) et Nabil Alam (1944) ont commis un acte portant atteinte à la sécurité de l'État en plaçant des matières explosives dans l'appartement situé au-dessus de la permanence Kataëb où Bachir Gemayel avait l'habitude de se réunir chaque mardi avec ses collaborateurs ». Et de préciser le rôle de chacun des deux coupables, sur base des aveux faits par Habib Chartouni devant le juge d'instruction, lors de l'enquête préliminaire. « Nabil Alam, responsable de la sécurité au sein du Parti syrien national social, était de connivence avec des personnes non identifiées, en vue d'assassiner le président Bachir Gemayel. Il a trouvé en Habib Chartouni la personne qui pouvait exécuter son plan et l'a poussé à l'adopter », a noté le président de la cour, ajoutant que « Chartouni a procuré à Alam un plan de la permanence Kataëb et lui a indiqué l'endroit où Bachir Gemayel avait l'habitude de s'asseoir durant ses réunions ». Poursuivant sa lecture, M. Fahd a affirmé que Alam a convaincu le jeune militant « de transporter les explosifs de son appartement qui se trouvait à Hamra jusqu'à celui des grands-parents maternels de Chartouni, situé au-dessus de la permanence des Kataëb, et l'a entraîné à les actionner. Ce que ce dernier a fait, le 14 septembre 1982, à 16h10 », a-t-il poursuivi, qualifiant l'assassinat de « terroriste », au moment où « les prémices d'une solution à la guerre civile commençaient à se préciser ».
La Cour de justice a ainsi basé sa décision, notamment sur l'application de l'article 314 du code pénal qui qualifie de « terroriste » tout acte dont le but est de créer un état d'épouvante, « commis avec des moyens de nature à produire un préjudice commun, tels qu'engins explosifs, matières inflammables, produits toxiques ou corrosifs ». Le jugement repose aussi sur l'application de l'article 549 du même code qui « punit de mort l'homicide intentionnel commis avec préméditation ».
Aussitôt le verdict – la peine capitale – tombé, les applaudissements ont fusé dans la salle, poussant le juge Fahd à réclamer le silence pour achever sa lecture. À la fin de l'audience, ils se sont poursuivis dans un flot ininterrompu.
Notons que les deux coupables ont été en outre condamnés à verser des dommages et intérêts aux familles des victimes qui ont présenté une demande en ce sens, la famille Gemayel ne faisant pas partie de ces requérants.

 

« L'enquête entravée manu militari »
À l'issue de la séance, l'ancien président de la République Amine Gemayel a répondu à L'Orient-Le Jour sur la question de savoir pourquoi, ayant accédé à la magistrature suprême au lendemain de l'assassinat de son frère et conduit les rênes du pouvoir jusqu'en 1988, il n'avait pu à l'époque obtenir le jugement des coupables. « Dès que les forces prosyriennes ont pris le contrôle de Beyrouth, le 6 février 1984, les structures de l'État se sont déstabilisées », explique M. Gemayel, déplorant que la justice ait alors particulièrement été touchée. « Tandis que l'instruction du procès a été entièrement obstruée, notre grand souci était de surveiller étroitement Habib Chartouni dans la prison de Roumieh en attendant une possibilité de poursuivre les investigations », fait valoir M. Gemayel, qui affirme à cet égard que « les forces rebelles agissaient manu militari pour entraver les enquêtes policières ». Et de souligner que le régime syrien « était si attaché à la protection de Habib Chartouni que, lorsque le 13 octobre 1990 l'armée syrienne est entrée au Liban, elle a dépêché un escadron à Roumieh pour libérer Habib Chartouni au même moment où ses bataillons se rendaient au palais de Baabda et au ministère de la Défense ».
Maintenant que le jugement est prononcé, l'ancien chef de l'État veut se montrer optimiste, se félicitant que « cette décision, après celle du Conseil constitutionnel relative à l'invalidation de la loi sur les mesures fiscales, vient remettre en place la justice ».
Devant le portail du Palais de justice, la foule dense écoute l'allocution de Solange Gemayel. « Cela fait 35 ans que nous œuvrons pour rendre justice à Bachir et à ses compagnons », déclare-t-elle, affirmant que ceux-ci « n'ont toutefois récupéré qu'une partie de leurs droits, puisque leur perte ne se compense pas ». « Je m'exprime en tant qu'épouse et mère de martyrs, à l'instar de milliers de familles de martyrs qui ont cru dans la cause », ajoute-t-elle. Et de se féliciter que « la justice a rendu aujourd'hui leur prestige à l'État et aux institutions, et donné l'espoir de récupérer leurs droits aux martyrs de la révolution du Cèdre », avant de remercier notamment la Cour de justice « pour la persévérance dont elle a fait preuve pour émettre son verdict ». « Nous poursuivrons la voie tracée par Bachir afin de réaliser son rêve d'un État souverain, libre et indépendant », conclut la veuve du président assassiné.
Exhortant toutes les parties à « respecter les décisions de justice », Me Naoum Farah met de son côté l'accent sur la nécessité de « mettre à exécution le jugement rendu avec courage et professionnalisme ». Comme en écho à cette exhortation, le ministre de la Justice, Salim Jreissati, a affirmé à l'issue de la séance du Conseil des ministres, hier à Baabda, qu'il entend demander l'arrestation de Habib Chartouni « dès que sera défini l'endroit où il se trouve ».
En parallèle à la tenue de l'audience, une cinquantaine de militants du PSNS se sont rassemblés pour protester contre la condamnation de leurs camarades, lançant des slogans en leur faveur. Mais ils ont été maintenus loin du portail du Palais de justice grâce à un important déploiement de l'armée, dont les véhicules militaires étaient présents dans tout le secteur, et grâce aussi à une centaine d'éléments des forces de l'ordre munis de boucliers antiémeute.

La Cour de justice a condamné à mort par contumace hier Habib Chartouni et Nabil Alam, coupables de l'assassinat de l'ancien président de la République, Bachir Gemayel, et de 23 autres personnes, perpétré lors d'un attentat à l'explosif contre la permanence des Kataëb, à Achrafieh, le 14 septembre 1982. La peine concerne seulement ces deux militants du Parti syrien national social...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut