Debout devant la baie vitrée qui donne sur le gazon mouillé et brillant sous les pâles rayons du soleil automnal, le président de la République prend une pause de quelques minutes. Entre les visiteurs qui se succèdent selon un programme chargé et les multiples dossiers qu'il gère personnellement, il vole un peu de temps pour méditer.
Actuellement, le projet qu'il a le plus à cœur est celui de la création au Liban d'un centre de dialogue international, relevant de l'ONU. Avec le dossier des déplacés syriens, c'est le principal sujet qu'il a évoqué dans son discours à la tribune des Nations unies ainsi qu'au cours de sa visite en France. Bien entendu, cela ne l'empêche pas de s'occuper des dossiers sociaux, politiques, militaires et sécuritaires, mais le projet du centre de dialogue, il le perçoit comme une réalisation d'une autre dimension qui devrait placer le Liban au-dessus des autres nations en lui donnant un rôle constructif et utile à tous les peuples de la planète. Installer au Liban un centre de dialogue international, pour favoriser la culture de la paix dans le monde, est une garantie de stabilité dans une perspective de long terme. Aoun en parle d'ailleurs avec passion, mais aussi avec la précision du visionnaire.
Ce projet s'inspire en fait largement de sa façon de concevoir le Liban qu'il avait déjà développée dans ses écrits mais qui s'est précisée depuis qu'il est devenu président de la République libanaise. En effet, pour Michel Aoun, créer un tel centre au Liban est certes une réponse à un besoin mondial actuel, mais c'est aussi la consécration du rôle naturel du Liban de creuset des cultures, des civilisations et des religions. En même temps, un tel centre donnerait au Liban une raison objective de préserver sa stabilité interne, quels que soient les développements dans la région.
Le président Aoun est tellement convaincu de son projet qu'il en a déjà parlé avec le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres lors de leur première rencontre dans le cadre du sommet arabe de Amman en juin dernier. L'idée avait séduit le secrétaire général, mais il fallait en convaincre les membres de l'ONU. La session ordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies était l'occasion idéale pour présenter ce projet à une plus large échelle. C'est donc ce qu'a fait le chef de l'État dans son discours devant les dirigeants du monde ou leurs représentants.
L'idée peut plaire à bon nombre de pays, mais elle peut aussi déplaire à d'autres qui ont pris l'habitude, au cours de toutes ces années, de considérer le Liban comme un champ de règlement des conflits, ou encore comme un espace ouvert et réceptif pour faire passer des projets régionaux et autres. Quelque part, la faiblesse de l'État libanais face à la puissance des différentes communautés, selon ce qu'on appelle « la démocratie consensuelle » (un modèle qui n'existe qu'au Liban et qui a ses bons et ses mauvais côtés, avec cette particularité qui veut que l'entente exigée entre toutes les communautés pour prendre une décision au niveau de l'État peut être un atout consolidant la décision et un handicap en affaiblissant le concept de l'État), a sans doute convenu aux grands décideurs du monde et de la région, chacun prenant sous son aile une communauté et intervenant ainsi directement dans les décisions internes libanaises. De plus, la création d'un centre international de dialogue entre les cultures, les civilisations et les ethnies, comme le propose le président Aoun, pourrait ne pas servir les intérêts des États qui ne veulent pas que la culture du dialogue, de l'entente, et donc de la paix, se développe dans le monde et en particulier dans la région, car elle risque de saboter leurs projets de conflits contenus, sans doute, mais permanents et de modifier la donne dans le jeu d'échecs sanglant que constitue la planète.
C'est pourquoi le chef de l'État, qui a lancé l'idée, cherche désormais à en convaincre les différents responsables, dans une démarche proche du lobbying international. Le sujet a donc été évoqué une seconde fois avec le secrétaire général des Nations unies à New York, mais aussi avec le président français Emmanuel Macron au cours de la visite d'État de Aoun en France. Il faut préciser à cet égard que le sujet avait été abordé entre les deux hommes lors de leur première rencontre à Baabda, avant l'élection présidentielle française. Le candidat Macron avait alors exprimé son intérêt pour ce sujet. À la fin de l'entretien, le président Aoun avait déclaré à son interlocuteur : « J'espère que nous en reparlerons à l'Élysée... » Une phrase que Macron a précisément rappelée à son interlocuteur libanais, en le recevant sur le perron du palais présidentiel. Le président français a d'ailleurs multiplié les témoignages d'amitié à ses invités, le président du Liban et les membres de sa famille, dans le cadre de la visite d'État organisée pour eux en France. C'est ainsi l'Élysée qui a voulu que la visite ait un côté personnel en invitant la famille Aoun qui a vécu de longues années d'exil en France. C'est aussi l'Élysée qui a tenu à fermer l'avenue des Champs-Élysées, fait extrêmement rare, pour permettre au cortège du président libanais de la remonter.
Mais au-delà de ces signes visibles, qui ont leur importance, les entretiens étaient aussi profonds et stratégiques. Le Liban souhaite en effet un retour de la France dans la Méditerranée et la France peut entraîner l'Europe dans l'adoption du projet de création d'un centre de dialogue à Beyrouth si l'idée la séduit. En même temps, la France compte aider le Liban dans le second projet de Aoun qui consiste dans l'organisation d'une conférence internationale sur les déplacés syriens... Un autre dossier épineux pour le président !
Pour mémoire
Le double projet de Aoun pour le dialogue et la réconciliation
Actuellement, le projet qu'il a le plus à cœur est...
commentaires (9)
Scarlett sème à tout vent, comme le tournesol et la position du soleil.
Un Libanais
17 h 06, le 10 octobre 2017