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Moyen Orient et Monde - Reportage

Un irréductible village chrétien en révolte contre le Kurdistan « dictatorial »

Les habitants d'Alqosh, bourgade chrétienne coincée entre le Kurdistan et le reste de l'Irak, s'opposent avec force aux tentatives de « kurdification » qu'ils disent subir alors que la région autonome organise son référendum d'indépendance.

Alqosh, un village chrétien couché à flanc de montagne, est situé à moins de 50 kilomètres au nord de Mossoul. Photo Wikipédia

En ce samedi, le panneau, placé à l'entrée de la vieille ville de pierres, est sans équivoque : « Oui au référendum. » Athro Kado, yeux sombres et visage rond, esquisse un sourire narquois. « Ils ont dû protéger l'affiche avec une vitre parce que des habitants sont venus l'arracher plusieurs fois », se félicite le jeune de 28 ans.

Avant de pouvoir rentrer dans ce bourg chrétien couché à flanc de montagne, il faut d'abord passer le check-point qui garde jalousement l'accès à la route principale. Pas question de passer si on ne connaît personne à l'intérieur. Alqosh, située à moins de 50 kilomètres au nord de Mossoul, est l'une des rares citadelles à avoir échappé à l'été 2014 à la percée des jihadistes du groupe État islamique dans la plaine de Ninive. Aujourd'hui, certains habitants disent redouter un nouvel assaut, de leurs voisins kurdes cette fois.

« Environ 40 % des nôtres ont fui l'État islamique et ont émigré. Désormais, nous devons faire face à un nouveau système nous privant de nos droits (...) Je parle d'un régime dictatorial », assure Athro Kado. Depuis plusieurs mois, le jeune activiste mène une série de manifestations contre la destitution du maire d'Alqosh, remplacé par « un pantin » affilié au Parti démocratique du Kurdistan (PDK), la formation politique au pouvoir dans la région autonome kurde. Un limogeage qui, selon les protestataires, avait notamment pour but de pouvoir organiser le référendum d'indépendance kurde à Alqosh. Ce à quoi l'ancien maire, Faiz Abed Jahwareh, s'était opposé. « Je n'aurais pas poussé les gens à participer à un scrutin illégal, » explique-t-il.

Pour les autorités du gouvernement régional kurde (GRK), la bourgade chrétienne, ainsi que toute une partie du nord de la province de Ninive, sont en fait des « territoires disputés », soit des zones revendiquées à la fois par Erbil et par Bagdad. À l'approche du référendum d'indépendance, rejeté à la fois par le gouvernement central et la communauté internationale, les tensions grimpent, particulièrement à cause de la décision des Kurdes d'organiser leur scrutin dans ces zones.

Selon la Haute Commission électorale indépendante du GRK, des bureaux de vote seront installés non seulement à Alqosh, mais aussi, notamment, à Qaraqosh (la plus grande ville chrétienne d'Irak), Sinjar (le principal foyer de la communauté yazidie) et Kirkouk (la cité pétrolifère tant convoitée). Dans un communiqué publié le 15 septembre, la Maison-Blanche a estimé que la tenue du scrutin dans ces zones contestées est « particulièrement provocatrice et facteur de déstabilisation. »

 

(Lire aussi : « Notre droit » ou « un enfer » ? Au Kurdistan irakien, la question de l’indépendance ne fait pas l’unanimité)

 

Intimidation, menaces et arrestations
Les territoires disputés sont des zones qui avaient subi des campagnes d'« arabisation » menées par des gouvernements irakiens successifs, particulièrement sous Saddam Hussein. Une politique de changements démographiques qui entraîna l'expulsion de centaines de milliers d'habitants de leur foyer en vue d'y installer des arabes sunnites, raison pour laquelle les Kurdes, particulièrement persécutés, disent avoir une légitimité historique sur ces terres. Mais nombre de ces territoires disputés n'abritent pas uniquement des Kurdes, mais toute une série de minorités ethniques et religieuses, notamment des Turkmènes, des chrétiens assyriens et chaldéens, des yazidis, des Kakais et des Shabaks.

Depuis la chute de Saddam Hussein, et à présent que l'EI a drastiquement reculé dans la région, certaines de ces populations disent faire face à des tentatives de « kurdification ». Un néologisme à la définition variable, mais qui décrit, notamment, un processus de prétention à la gouvernance dans les zones disputées en tentant de créer une forme d'allégeance de la part des minorités. Par exemple, en ouvrant des écoles ou l'on apprend le kurde et en recrutant des fonctionnaires pour des administrations nouvellement créées par le GRK. Mais le processus a parfois pris des tournures plus violentes.

Ainsi, depuis 2003, les forces kurdes se seraient appuyées sur « l'intimidation, des menaces, des arrestations et des détentions arbitraires » pour s'assurer le soutien des communautés minoritaires et établir leur contrôle sur des territoires disputés, estime un rapport publié en novembre 2009 par l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW). « Les victimes de la campagne d'arabisation menée par Saddam Hussein devraient avoir la possibilité de revenir et de reconstruire l'histoire de leur communauté, souligne le rapport. Mais la question liée à la réparation des erreurs du passé doit être dissociée du combat qu'ils (les autorités kurdes) mènent actuellement pour contrôler les territoires disputés. Ce passé ne justifie pas non plus que la région soit exclusivement sous l'emprise d'un seul groupe ethnique ». Plus récemment, HRW avait également révélé que pendant la guerre contre l'EI, les combattants kurdes peshmergas avaient rasé au bulldozer des villages arabes sunnites situés dans des zones contestées des gouvernorats de Kirkouk et de Ninive.

 

(Lire aussi : Kurdistan irakien : le référendum, étape décisive du vieux rêve d’indépendance)

 

« Nous refusons d'être intégrés au Kurdistan »
L'article 140 de la Constitution de la République d'Irak décrit laconiquement les étapes à suivre en vue de résoudre le bras de fer qui se joue entre Bagdad et Erbil dans ces zones. Il prévoit d'entreprendre des négociations et de convoquer des référendums « pour déterminer la volonté des citoyens ». Mais le scrutin prévu ce lundi 25 septembre n'a pas pour but de demander aux populations concernées si elles souhaitent rejoindre le GRK ou rester avec Bagdad, mais si elles se prononcent en faveur de l'indépendance de la région kurde. Une nuance qui fait fulminer une partie des habitants d'Alqosh.

« Que l'on vote oui ou non, cela signifie que l'on fait déjà partie du Kurdistan », s'insurge Athro Kado, qui réfute absolument que sa ville soit rattachée au GRK, et rêve, pour les minorités, d'une province autonome sous protection internationale. Au QG du Parti communiste, habité par les portraits des « camarades » tombés pour le marteau et la faucille sous Saddam, on partage cette colère. « Nous croyons fermement que chaque peuple a droit à l'autodétermination. Mais tenir ce scrutin ici est illégal. Nous refusons d'être intégrés au Kurdistan, » martèle Amil Qoda, membre du Parti communiste d'Alqosh.

L'implantation du GRK et du PDK dans la province de Ninive n'a pourtant été possible qu'à cause de l'abandon de la région par Bagdad, rappelle Juliette Duclos-Valois, doctorante à l'EHESS et à l'IFPO, en recherche en Irak depuis 2013. « Au Sinjar, par exemple, l'ancrage du gouvernement central était très faible et les populations n'avaient pas accès aux ressources. Le PDK, en fournissant des citernes d'eau potable, en ramenant de la nourriture, en employant des yazidis, s'est engouffré dans le vide abyssale – économique et social – laissé par l'État irakien, » explique-t-elle. Selon la chercheuse, la tenue du référendum dans ces zones est donc « dans la continuation de leur stratégie d'accaparement. »

La nouvelle – et controversée – maire d'Alqosh, Lara Youssef Zara, encartée au PDK, estime d'ailleurs, qu'à ce jour, seul Erbil peut venir en aide aux siens. « Bagdad n'a rien fait pour les chrétiens d'Irak. Prenez Mossoul par exemple, il n'y a plus un seul chrétien ! On ne reçoit absolument rien du gouvernement central, contrairement à la région kurde qui nous fournit des services, et aux peshmergas, qui assurent notre sécurité, » assure la responsable. « À partir de 2003, et surtout depuis 2014, nous sommes de fait rattachés au Kurdistan parce que Bagdad nous a abandonnés. C'est donc normal que l'on puisse se prononcer sur la question de l'indépendance. »

Une opinion décriée par le Mouvement démocratique assyrien (Zowaa), un parti représenté aux Parlements d'Erbil et de Bagdad. Selon Kaldo Ramzi, membre du bureau politique, le GRK a basé sa propagande à destination des chancelleries européennes sur base de la protection des minorités ethniques et religieuses, et ce afin de bénéficier de leur soutien financier et diplomatique. Pourtant, rappelle Ramzi, les peshmergas ont fui et abandonné les yazidis à Sinjar le 3 août 2014, puis à nouveau quelques jours plus tard, quand ils se sont retirés de la plaine de Ninive, notamment de Qaraqosh, « sans prévenir personne, laissant nos familles sans défense, à la merci de l'État islamique ». Le responsable politique, qui décrit volontiers le GRK comme « autoritaire » et « dictatorial », est sans appel : « Les gens qui disent que le Kurdistan est le protecteur des minorités sont les mêmes qui estiment que Bachar el-Assad est bien parce que lui, au moins, assure leur sécurité. »

 

 

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Avant de pouvoir rentrer dans ce bourg...

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