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Culture - Débat

David Grossman dans les yeux de Wajdi Mouawad

Face-à-face entre l'Israélien et le Libanais, mondialement connus, ennemis de facto, mais réunis par la littérature et la nécessité de comprendre l'autre.

Wajdi Mouawad et David Grossman : dialogue autour de la figure de l’ennemi.

Auteur, metteur en scène et comédien libano-canadien de renommée internationale, Wajdi Mouawad est directeur du théâtre national de la Colline depuis avril 2016. Ce sont les planches de ce même théâtre qui ont accueilli une rencontre intitulée « Dans les yeux de David Grossman ». Sur scène, deux auteurs mondialement connus et quelques étudiants en lettres. « L'œuvre de David est en lien avec la question d'héritage, il était important que la jeune génération soit avec nous ce soir », explique Mouawad.

Un public attentif et concentré, mais aussi curieux de la connivence artistique de deux écrivains aux appartenances historiquement conflictuelles. « Quelque chose nous dépasse tous les deux, avance le dramaturge. Est-ce l'histoire ? L'histoire qui fait que dans nos vies nous sommes des ennemis. (...) Je suis libanais, je n'ai pas le droit de te parler, c'est écrit dans la loi. Et dans mon pays, ton fils est mort. » Le thème de l'ennemi est amorcé.

Lauréat du Man Booker International Prize 2017, David Grossman est un auteur politiquement engagé en faveur de la réconciliation, dans des fictions « inscrites dans la brûlure historique de la région », selon les mots de Mouawad. L'auteur israélien répond avec pudeur et émotion : « Quand je te regarde, je ne vois pas un ennemi, je vois un homme sensible. (...) Pour faire de quelqu'un un ennemi, il faut le rendre inhumain, car la haine est venue effacer les caractéristiques de l'autre. Écrire et lire, c'est accepter de voir la souffrance de l'autre. » Seul l'art peut changer la perspective et transformer le monde car « ce qu'il y a de plus puissant dans l'art, c'est le besoin que nous avons de voir dans les yeux de l'autre ». Ainsi, « le théâtre, le cinéma permettent de laisser entrer le narratif de l'autre dans notre propre identité. Cela ne réduit en rien notre identité ».

 

(Pour mémoire : Un rendez-vous déjanté avec la mort)

 

 

Miracle mystérieux
La question des origines, que Mouawad a souhaité évoquer dès le début de l'entretien, en précisant avec humour : « Comme ça, c'est fait », n'est pas l'essence de la rencontre des deux écrivains, qui abordent ensuite le thème de la « nécessité du récit ». Le directeur de la Colline interroge ce « désir du sublime dans l'écriture », que Grossman qualifie de « miracle mystérieux ». « Le livre doit m'être indispensable et être indispensable, ajoute-t-il, il faut que je ressente un sentiment d'urgence et que ce soit vital de continuer à écrire. Lorsque l'art est bon, il nous permet d'approcher l'essence même de l'énergie de la vie. »

Un étudiant présent sur scène prend la parole et interroge l'auteur d'Une femme fuyant l'annonce sur son espoir de paix dans la région. « Je ne peux pas me permettre le luxe de ne pas espérer. (...) S'il y a un espoir de réconciliation, c'est celui d'une paix fondée sur un compromis difficile et douloureux. Je n'ai pas envie de parler de ça ce soir. »

Quelques instants de silence partagé, puis Mouawad revient sur l'écriture et invite l'auteur d'Un cheval entre dans un bar à évoquer l'humour décapant particulièrement présent dans son œuvre. « Pour moi, l'humour, c'est la liberté. Lorsqu'on est dans une situation difficile et qu'on arrive à rire de soi, c'est un peu de liberté en plus. » Et Grossman de citer son propre personnage, Dovalé : « Si on rit, on respire. »
Mouawad termine le dialogue par une question surprenante qui laisse le public perplexe : « Peux-tu répondre à la question qu'on ne t'a pas posée ? » Grossman nous parle alors de l'être et de la nécessité d'être soi : « Avec le temps, on a tendance à se contenter de ce que l'on a, mais le vrai moi parfois se manifeste par des douleurs ou des sensations de deuil ; l'écriture permet d'échapper à ce monde restreint. Avoir le privilège d'être vraiment soi n'est pas donné à tout le monde. C'est un privilège d'être dans sa propre identité. Cela arrive aussi qu'une population ou un pays ne vive pas sa vraie vie, à cause d'un traumatisme. »

Cette réflexion sur l'identité individuelle et collective fait écho à l'œuvre de Mouawad, où la difficulté d'être soi sous-tend l'écriture : « Le monde est vaste, mais les humains s'entêtent à aller là où leur âme se déchire » (Anima, Wajdi Mouawad).

 

(Pour mémoire : Wajdi Mouawad là-haut sur la Colline)

 

À signaler que David Grossman, l'un des auteurs pressentis pour le Nobel de littérature, s'est rendu célèbre avec sa première œuvre, Le vent jaune, où il décrivait les souffrances imposées aux Palestiniens par l'occupation de l'armée israélienne. Cet ouvrage lui avait valu une accusation de trahison par le Premier ministre de l'époque, Yitzhak Shamir. Proche du « camp de la paix », il a, comme la plupart des Israéliens, soutenu l'action d'Israël dans le conflit israélo-libanais de l'été 2006, mais estimé inutile l'extension de l'offensive menée par Tsahal.

Né à Beyrouth en 1968, Wajdi Mouawad a vécu au Liban jusqu'à l'âge de 8 ans, avant que la guerre ne pousse sa famille au départ. Un temps établi en France, c'est en définitive à Montréal qu'il s'installe. Dramaturge, comédien, plasticien et cinéaste, Mouawad développe un travail obnubilé par la question de l'identité et de la mémoire, où la guerre n'est jamais très loin.
Samedi 9 et dimanche 10 septembre, a eu lieu une lecture-concert du roman Un cheval entre dans un bar, coproduite par le théâtre national de la Colline et France Culture, avec Wajdi Mouawad qui incarne le personnage du juge et Jérôme Kircher dans le rôle de Dovalé.
Le 18 septembre aura lieu à la Colline une rencontre avec l'auteur américain Don DeLillo.

 

 

Pour mémoire

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"Né à Beyrouth en 1968, Wajdi Mouawad a vécu au Liban jusqu'à l'âge de 8 ans, avant que la guerre ne pousse sa famille au départ. Un temps établi en France, c'est en définitive à Montréal qu'il s'installe." Le pauvre! Et comment peut-il vivre sans écouter le sayyed lui parler toutes les semaines de la "trilogie en or"? Sans rêver de la libération des fermes de Chebaa, pour ne rien dire des collines de Kfarchouba? Il doit être bien malheureux là où il est...

Georges MELKI

15 h 55, le 11 septembre 2017

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Commentaires (1)

  • "Né à Beyrouth en 1968, Wajdi Mouawad a vécu au Liban jusqu'à l'âge de 8 ans, avant que la guerre ne pousse sa famille au départ. Un temps établi en France, c'est en définitive à Montréal qu'il s'installe." Le pauvre! Et comment peut-il vivre sans écouter le sayyed lui parler toutes les semaines de la "trilogie en or"? Sans rêver de la libération des fermes de Chebaa, pour ne rien dire des collines de Kfarchouba? Il doit être bien malheureux là où il est...

    Georges MELKI

    15 h 55, le 11 septembre 2017

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