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Culture - Livre

Quand au cœur de la montagne pointe le poignard...

Dans son dernier roman « L'empereur à pied » (Seuil), sélectionné pour le prix Renaudot 2017, Charif Majdalani part sur les traces de Khanjar Jbeili, patriarche d'une longue dynastie qui impose une loi impitoyable à ses descendants : « Seuls les fils aînés pourront prendre épouse, au fil des années... ».

Dans son dernier roman « L’empereur à pied » (Seuil) sélectionné pour le prix Renaudot 2017, Charif Majdalani part sur les traces de Khanjar Jbeili, patriarche d’une longue dynastie qui impose une loi impitoyable à ses descendants : « Seuls les fils aînés pourront prendre épouse, au fil des années... »

Parfois, lorsqu'on referme un livre, essoré par son énergie, il se passe un phénomène étrange : l'envie de le feuilleter à nouveau, de revenir sur ses pas, de le retourner pour lire le résumé sur le dos de l'ouvrage, comme si on ne l'avait pas encore ouvert. Voilà l'effet « Charif Majdalani ».
Après Le dernier seigneur de Marsad et Villa des femmes, L'empereur à pied (ou Khanjar Jbeili) entre dans le roman... sans femmes et flanqué de ses trois fils. Le ton est donné ! Cette histoire, à laquelle il manquera plus d'une robe, se passe au milieu du XIXe siècle. Elle entraîne le lecteur dans le monde impitoyable des hommes, maudits par la loi d'airain que l'empereur a imposée dès son arrivée. Un récit servi par une prose captivante dès la première page.

 

La montagne apprivoisée
D'abord, il y a la montagne libanaise à laquelle, paradoxalement, Charif Majdalani n'a jamais appartenu, lui qui est né citadin dans cette ville de Beyrouth qui fut longtemps une promesse de petit paradis. « Nous passions, dit-il, tous nos étés dans la région du Kesrouan où mon père était souvent accueilli par un zajal. » À croire que la mémoire de l'enfance est une montagne ! Vaillante comme ses rochers et vivante comme ses odeurs... Charif Majdalani est un romancier, de ceux qui vous projettent dans un monde qu'ils s'approprient pour en dévoiler les parfums, celui des genêts, les saveurs, celles des mûres sauvages et des amandes, et les chants, ceux des éperviers et des chevriers. Au cœur des pins et des chênes en majesté, sous lesquels lézardent au soleil les bergers et les vieux cheikhs en saroual, le lecteur est transporté pour plonger dans la légende de l'empereur. Celui-ci poursuit son chemin avec pour seul but d'étendre sa puissance économique au cœur des montagnes libanaises.

 

Personnages en quête de paix
Ensuite, il y a l'histoire racontée comme un magnifique conte et dont on pourrait faire un film. Une histoire qui dresse un diagnostic impitoyable de la descente aux enfers de toute une famille sur plusieurs générations. C'est bien sûr l'exercice du retour sur soi et ses origines auquel se livre l'auteur avec beaucoup d'intelligence, de rigueur et de subtilité. « J'ai voulu, avoue Charif Majdalini, préfigurer l'histoire économique de ce pays, qui glisse lentement d'un immensément beau à un désespérément corrompu, pollué et abandonné à lui-même. Quand les paysans quittent leur terre natale et que le pouvoir passe des mains de l'aristocratie à la bourgeoisie, la terre n'est plus sacrée, elle devient une simple monnaie d'échange. » Le romancier libère son imagination et les habitants de Jabal Safié suivent. Les hypothèses sur le passé de Khanjar Jbeili se multiplient. Les commérages dévalent les vallées en échos qui se diffusent de maison en maison. Les platanes et les chênes voient défiler les saisons. Et, pendant ce temps, l'empereur apprivoise la montagne. Pour relater cette histoire, l'auteur est contraint de faire appel à deux narrateurs. D'abord le père qui interroge Chehab (petit fils de Khanjar), ensuite le fils qui complète l'enquête avec Raed (dernier descendant de la lignée). « L'exercice de faire parler un seul narrateur sur une période qui s'étend sur un siècle et demi était impossible, confie Majdalani, il me fallait trouver un relais. »

Et puis il y a les personnages tous admirablement dépeints. Leurs prénoms Khanjar, Seyf ou Harb dénoncent la violence et la guerre. Le fil conducteur qui les relient les uns aux autres est une malédiction qu'ils traînent de génération en génération, et dont ils ne pourront jamais se dépêtrer. Ils auront beau courir le monde, du Mexique à l'Asie centrale (à la poursuite d'un chef cosaque), de l'Italie (à la recherche d'un tableau de Véronèse) à la Chine, et des Balkans à Beyrouth qui restera leur port d'attache, le spectre du serment maudit de leur ancêtre viendra toujours les hanter. L'ensemble de ce récit, souvent épistolaire, s'articule autour d'une poursuite, celle du mythe de la puissance et de la grandeur, servi par un auteur définitivement oriental.

« L'empereur à pied ».
Roman de Charif Majdalani (Seuil)

 

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