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Liban - Le portrait de la semaine

Ralph Riachi, ou l’attachement à l’essence de la justice

Le vice-président du Tribunal spécial pour le Liban a démissionné en 2008 du Conseil supérieur de la magistrature pour protester contre les pressions exercées sur l'autorité judiciaire.

Comme il se décrit lui-même, Ralph Riachi, vice-président du Tribunal spécial pour le Liban, est un homme discret, voire introverti. Il répugne tellement à s'exposer que ses interviews médiatiques se comptent sur les doigts de la main. Il a d'ailleurs tenté d'esquiver la demande de rencontre de L'Orient-Le Jour, avant que finalement rendez-vous soit pris, à la condition toutefois qu'on ne touche pas à son obligation de réserve qu'il observe comme un commandement sacré.

Pour arriver à sa résidence d'été nichée dans une pinède sur les hauteurs de Bickfaya, il faut montrer patte blanche en contrebas du chemin qui y mène. Mais aussitôt franchi l'impressionnant dispositif de sécurité, c'est un accueil avenant que vous destine le maître des lieux. Venu vous recevoir devant le portail pour vous mener à une terrasse verdoyante, il donne d'emblée un ton détendu à l'entretien.

Habiter dans une bulle blindée, Ralph Riachi s'en serait facilement passé, n'était-ce son statut de membre de ce tribunal pénal à caractère international chargé de poursuivre et juger les auteurs de l'attentat terroriste qui a coûté la vie à l'ancien Premier ministre Rafic Hariri et 22 autres personnes. Depuis qu'en 2005 il a été chargé de prendre part à la rédaction de la convention du TSL, il n'a de choix que de se protéger ainsi. « J'ai fait l'objet de plusieurs intimidations », confie-t-il, indiquant que son domicile a été « visité » à trois reprises. Une première fois, on a emporté le coffre-fort, une deuxième fois, on a ouvert armoires et tiroirs sans s'emparer du contenu, rien que pour l'intimidation, et après un troisième passage, tout avait disparu.

Pour autant, le vice-président du TSL ne regrette pas d'avoir accepté son poste et les risques qui s'y attachent. « Pour devenir juge, il faut être doté de courage, quel que soit le dossier dont on a la charge », estime-t-il. Cette qualité, il la possède sans nul doute, d'autant qu'il a toujours pourfendu les actes qui enfreignent l'esprit de la loi, réagissant selon son attachement profond à l'essence de la justice. À titre d'exemple, après les rafles d'août 2001, Ralph Riachi, qui présidait alors la chambre criminelle de la Cour de cassation, a rendu un arrêt dans lequel il a estimé que la compétence pour juger les opposants au régime prosyrien appréhendés lors des manifestations n'est pas du ressort des tribunaux militaires, mais judiciaires. Sa décision n'a pas eu l'heur de plaire au procureur général près le parquet militaire, qui a alors présenté un recours pour l'annuler. Ce qui, s'indigne encore Ralph Riachi, « est une aberration juridique portant atteinte au principe de l'irrévocabilité des décisions de la Haute Cour, un arrêt de cassation ne pouvant faire l'objet d'un pourvoi en cassation ». Il a aussitôt présenté sa démission, qu'il a au final retirée à la suite de tractations ayant abouti au retrait du pourvoi du procureur.

 

« Vous saurez le verdict une fois qu'il sera rendu »
Réputé inébranlable face aux tentatives d'intrusion des autres pouvoirs, le magistrat avait, en 1996, renvoyé bredouille un officier venu s'enquérir de l'issue du verdict que la Cour de justice, dont Ralph Riachi était membre, s'apprêtait à prononcer dans l'affaire de l'attentat à l'explosif commis en 1994 contre l'église Notre-Dame de la Délivrance, à Zouk. « Vous le saurez demain à 14h30, lorsque l'arrêt de condamnation ou d'acquittement sera rendu », avait-il sèchement rétorqué à l'émissaire.

Cette renommée de juge intègre et soucieux de la bonne application du droit est d'ailleurs répandue dans les plus hautes sphères politiques. L'homme raconte qu'au milieu des années 90, après avoir été nommé pour la première fois président d'une chambre de la Cour de cassation, il s'était rendu au palais présidentiel pour une visite de protocole auprès de l'ancien président de la République Élias Hraoui. À cette occasion, celui-ci lui confie qu'il n'a jamais tenté de le contacter pour satisfaire ceux qui lui demandaient d'intervenir auprès de lui, sachant qu'il allait inévitablement essuyer un refus.

Si Ralph Riachi affirme avoir ressenti une satisfaction en entendant de la bouche de l'ancien chef d'État décédé des propos de nature à « favoriser une garantie pour la justice », il fait toutefois état de sa « frustration » face au mauvais fonctionnement du système judiciaire. « Nous avons de très bons juges, mais pour que leur indépendance soit sauvegardée, il faut réformer le système au niveau des nominations et permutations, à l'instar de certains États européens qui ont adopté des procédés objectifs de recrutement (notation ou autres), prévenant ainsi clientélisme et ingérences », préconise-t-il.

 

Ne pas rester là où on ne peut améliorer
Prolixe lorsqu'il s'agit des problèmes du pouvoir judiciaire qui lui tiennent tant à cœur, Ralph Riachi ne manque pas d'évoquer la raison qui l'a poussé à démissionner de son poste de membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). « En 2008, une centaine de jeunes juges avaient achevé depuis trois ans leur formation à l'Institut d'études judiciaires et attendaient désespérément d'être désignés à des postes que le CSM ne se décidait pas à pourvoir à cause de pressions politiques », se souvient avec amertume le magistrat, qui affirme avoir alors tiré sa révérence, pour le principe de « ne pas rester là où on a beaucoup investi sans avoir pu améliorer ».

Sa présence au TSL serait-elle donc une preuve du bon fonctionnement de ce tribunal ? « Le Tribunal spécial pour le Liban a été créé pour lutter contre l'impunité », se félicite-t-il, soutenant que « son instauration a pour le moins permis de sauvegarder les preuves, couper les prescriptions, et permettre aux familles des victimes de voir élucidées les circonstances de l'attentat ». Quant à la lenteur judiciaire qu'on pourrait reprocher à la juridiction internationale, le magistrat fait observer que « les audiences n'ont commencé qu'en 2014, et (qu') à ce jour, plus de 300 témoins présentés par le procureur ont déjà été entendus ». Il reste que les familles des victimes et le Conseil de la défense des prévenus vont eux aussi présenter leurs témoins respectifs. Ralph Riachi reconnaît à ce propos l'éventualité d'une reconduction du mandat du TSL, celui-ci arrivant à terme en février prochain.

 

« Moi, juge ? Jamais ! »
Il y a quarante-six ans, le vice-président du TSL ne se voyait certainement pas occuper ce poste, puisque, dit-il, il n'a jamais choisi d'être juge. Sa licence de droit en poche, cet ancien élève du collège de La Sagesse, fils d'ingénieur, entame en 1971 une carrière d'avocat. Mais c'était compter sans l'appel que lui fait deux ans plus tard l'ancien ministre Sélim Jahel, alors président de l'Institut d'études judiciaires, pour le convaincre de s'inscrire au concours de recrutement qui allait bientôt s'ouvrir. « Moi, juge? Jamais ! » répondra Ralph Riachi, qui ne résistera pourtant pas au défi lancé par celui qui avait été également son professeur à la faculté de droit de l'USJ : « Présentez le concours, quitte à échouer. » La suite fut un succès haut la main, suivi d'une carrière magistrale, au cours de laquelle il présidera plusieurs hautes juridictions en s'adonnant également à l'enseignement.

« Il méritait de se voir accéder un jour à la présidence du Conseil supérieur de la magistrature, tant sa finesse juridique, sa rigueur et son honnêteté étaient remarquables », affirme à L'OLJ Sélim Jahel, notant cependant que ce poste est réservé à la confession maronite, alors que Ralph Riachi est grec-catholique. Ces qualités hors pair, l'ancien ministre et ancien bâtonnier Ramzi Jreige les lui reconnaît aussi. Il salue en lui « sa compétence juridique et sa riche expérience pratique », mettant l'accent sur « sa forte personnalité et son indépendance d'esprit qui l'ont amené à adopter des positions courageuses ».

 

Célibataire, il le restera
L'intransigeance de Ralph Riachi se manifeste également sur un autre plan, celui de son statut civil. Célibataire il est, célibataire il restera. « Le mariage est une institution qui m'a toujours fait peur », confie-t-il, reconnaissant que « c'est le seul domaine où je manque de courage ». Bien qu'ayant grandi dans un foyer harmonieux, il estime que pour lui, qui aime trop sa liberté, « le mariage est une aliénation de soi ». Quid des enfants qu'il n'aura pas eus ? « Je leur aurai épargné tous les risques que leur présente notre siècle », réplique-t-il sans attendre.

Toujours côté privé, ses proches lui attestent une rare fidélité dans ses liens d'amitié, soulignant qu'« à n'importe quel moment, il est prêt à vous ouvrir la porte et vous aider ». À l'unanimité, ils affirment par ailleurs que loin de la complaisance et sans mâcher ses mots, Ralph Riachi « vous dit en face ce qu'il pense ». Pour autant, « il n'est pas du style moralisateur et il a beaucoup d'humour », nuance Dr Élie Karam, son ami d'enfance avec lequel il a passé nombre d'étés joyeux à Dhour Choueir. Le spécialiste met en outre l'accent sur « son tempérament sérieux », se souvenant que « l'année où son père est tombé gravement malade puis est décédé, il a été major de sa promotion ». « C'est un résilient », témoigne-t-il ainsi, avant de mettre en exergue « son inflexibilité devant les tentations », s'estimant enfin « riche et heureux d'avoir pour ami Ralph Riachi ».

 

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