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Liban - En toute liberté

Question de confiance

Est-ce le sentiment que la guerre en Syrie est proche de finir ? Est-ce tout simplement que l'armée libanaise est désormais en mesure de nettoyer les zones frontalières ou subsistent des poches de combattants islamistes sans horizon stratégique ? Toujours est-il que l'opinion publique se passionne depuis quelque deux semaines pour la cause du rapatriement des 1,5 million de Syriens présents au Liban. L'affaire a été corsée par la mort de quatre individus arrêtés lors d'un raid de l'armée libanaise dans deux des camps de déplacés incrustés dans le village de Ersal, à la frontière orientale du Liban. Morts sous la torture, accusent les détracteurs de l'armée. Mort de causes naturelles, réplique l'armée.
« Il y a de quoi désespérer de la maturité politique des Libanais à voir l'opinion publique divisée entre ceux qui appuient les droits des déplacés sans égard pour les institutions nationales et ceux qui se rangent inconditionnellement aux côtés de l'armée, fût-ce au détriment du respect des droits de l'homme », regrette Fadi Daou, président de la Fondation Adyan, en réaction au clivage qui s'est formé après le raid à Ersal. « Tout se passe comme si l'on devait choisir un camp et en flétrir un autre, alors même que la véritable cause qu'il faut défendre est celle du Libanais et du Syrien en même temps », ajoute-t-il.
« Aussi bien le déplacé syrien exilé sous sa tente que le Libanais inquiet pour son sort ont un droit naturel à la dignité, à la sécurité et aux libertés, qui sont de la responsabilité de l'État », ajoute le P. Fadi Daou dont l'association défend le principe de la « solidarité spirituelle » entre les tenants de toutes les religions et une citoyenneté « inclusive de la diversité ». « En lançant son opération à Ersal, en extirpant les terroristes des camps, l'armée a défendu aussi bien les Syriens que les Libanais. Mais lorsqu'un homme arrêté est livré à la torture, c'est au droit de tout homme, qu'il soit libanais ou syrien, auquel on porte atteinte », conclut Fadi Daou.

Enquête indépendante
Suzanne Jabbour, directrice respectée de l'ONG Restart, qui défend les victimes de la torture et de la violence, a relevé dans ces mêmes pages que la loi internationale exige que l'enquête ouverte au sujet des quatre individus morts en détention après leur arrestation dans des camps de Ersal soit confiée à une commission indépendante. C'est dans l'intérêt de l'armée, assure-t-elle. Des bavures pareilles se produisent dans toutes les guerres. L'armée s'en désolidarise en ordonnant l'ouverture d'une enquête indépendante, transparente et publique qui établit les faits, demande des comptes et, par le fait même, clôt un dossier qui, autrement, risque d'être livré à la surenchère politique.
La suite des choses lui a donné raison. Car il ne fait pas de doute que ce dossier est aujourd'hui exploité à des fins populistes ou électorales. L'arrestation de l'auteur du site internet « L'Union du peuple syrien au Liban », qui a fait de la surenchère et invité les Syriens à manifester dans le centre-ville, est à cet égard une mesure salutaire pour laquelle les autorités doivent être félicitées, ainsi d'ailleurs que pour l'interdiction de manifester signifiée au « Forum socialiste » prosyrien qu'à un rassemblement d'appui à l'armée dont le seul programme déclaré était de « briser les jambes » de tout Syrien qui oserait mettre les pieds dans le centre-ville. Une remarque à peine moins violente que celle des milieux qui refusent qu'on parle de droits de l'homme avec des personnes « qui ne se conduisent pas en êtres humains ».
Ce qui est grave, c'est que l'exacerbation des sentiments hostiles à la présence des déplacés syriens commence à se colorer de brutalité, au lieu de rester modérée et rationnelle. Par moments, on sent que l'apparition de « vigilantes » municipaux ou autres, qui se feraient justice en dehors des circuits légaux, n'est pas loin. Or les solutions existent. Samir Geagea faisait remarquer l'autre jour que les « zones sûres » de Syrie où les déplacés pourraient être rapatriés sont plus grandes que le Liban, et qu'en attendant un règlement final, ces réfugiés n'y seraient pas plus éloignés de leurs villages d'origine qu'ils ne le sont au Liban. C'est une option parmi d'autres. Les déplacés syriens se retrouveraient dans des situations analogues à celle des camps de Jordanie ou de Turquie. Bien sûr, les hommes y seraient condamnés au désœuvrement et elle pourrait être coûteuse pour tous, d'abord pour l'ONU qui devrait déployer à cette fin un immense effort humanitaire, ensuite pour l'économie libanaise, mais si elle doit empêcher une explosion sociale au Liban, elle reste bon marché.
Ce qui est tout aussi grave, c'est que la présence syrienne ne provoque un déséquilibre brusque dans un Liban dont le système se nourrit d'équilibres démographiques divers. Bachar el-Assad ne veut pas du retour des sunnites dans son pays, s'effraient les chrétiens. Il n'est pas question qu'un retour en Syrie soit autre chose que volontaire, assure de son côté le chef du courant du Futur, qui rêve toujours d'une chute de la maison Assad, et s'accommoderait peut-être d'une présence surnuméraire de sunnites au Liban, face surtout à la communauté chiite.
Le plus grave, et de loin, dans cette crise de l'armée et des réfugiés, c'est que nous perdions confiance dans nos institutions, un risque bien réel dans l'état de pourrissement et de perte de crédibilité des dirigeants. Au sein de l'armée, précisément, on se montre amer. Sur les circonstances du raid, on rappelle que la troupe a fait face, ce jour-là, à cinq combattants qui ont préféré se faire exploser que se rendre, et que sur les 1,5 million de déplacés syriens, s'il existe 1 % de taupes, cela en fait 15 000. Sur les sanctions disciplinaires internes, c'est un « no comment » éloquent. Sur une opération de grande envergure, enfin, on reste vague, tout en affirmant que depuis 2014, la troupe a toujours été à l'offensive. Et de rappeler que la troupe a appris à ne pas communiquer ses plans à l'ennemi, sous le couvert d'entretiens de presse.

Est-ce le sentiment que la guerre en Syrie est proche de finir ? Est-ce tout simplement que l'armée libanaise est désormais en mesure de nettoyer les zones frontalières ou subsistent des poches de combattants islamistes sans horizon stratégique ? Toujours est-il que l'opinion publique se passionne depuis quelque deux semaines pour la cause du rapatriement des 1,5 million de Syriens présents...

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