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Moyen Orient et Monde - Témoignage

Le travail herculéen des secouristes à Mossoul

Hakim Khaldi, coordinateur de projets pour Médecins sans frontières, raconte les péripéties de l'organisation pour pallier les manques chirurgicaux et sanitaires dans la ville.

Un garçon blessé fuyant la vieille ville de Mossoul-Est. Marius Bosch/Reuters

La semaine dernière, la mosquée al-Nouri, emblème de la vieille ville de Mossoul-Ouest, tombait en ruine sous le coup des explosifs de l'État islamique, selon un communiqué de l'armée irakienne. La chute de ce monument symbolique montre l'avancée des troupes irakiennes au sol, qui avaient repris Mossoul-Est en trois mois, d'octobre à fin janvier, et qui ont commencé l'offensive sur Mossoul-Ouest à la mi-février. Dans cette partie de la vieille ville, encore sous le joug des jihadistes de l'EI, et où vivaient encore récemment en moyenne 100 000 civils, la densité urbaine oblige l'armée irakienne à une progression lente, complexe, accompagnée de combats intenses. Au milieu des tirs de mortier et des bombardements, des organisations humanitaires viennent panser les blessures des Mossouliotes. Parmi elles, Médecins sans frontières (MSF), qui essaie tant bien que mal avec ses équipes sur place de pallier les manques chirurgicaux et sanitaires. 

 

Mossoul-Ouest ravagée
Entre les bruits des tirs et des bombes, des civils sont pris au piège. Hakim Khaldi, coordinateur de projets terrain pour MSF, raconte à L'Orient-Le Jour comment lui et ses équipes soignent ces Mossouliotes en ville et en périphérie. « Le Premier ministre irakien avait demandé aux populations civiles de rester chez elles au début de l'offensive. La stratégie militaire initiale demandait à la coalition internationale menée par les États-Unis d'appuyer les troupes au sol par des bombardements massifs sur l'ouest de la ville. » Il poursuit : « Pendant un mois (au mois d'avril), je me rendais tous les jours à Mossoul-Ouest, et tous les jours, la vieille ville était sévèrement bombardée », sans qu'aucune distinction précise ne soit faite entre les populations locales et les jihadistes à combattre. Dans une disposition urbaine dense, les maisons mitoyennes qui abritaient encore quelque 100 000 civils ont payé un lourd tribut. En l'espace d'un peu plus d'un mois, MSF a soigné 1 800 blessés sortis de Mossoul-Ouest, soit en moyenne 45 blessés par jour. Cependant, cette stratégie militaire a provoqué un « tollé » international, et l'armée a, depuis, prévu des « couloirs de sortie » pour les civils bloqués entre l'EI et les tirs de la coalition.

MSF a réussi à installer un hôpital à l'intérieur de Mossoul-Ouest, au niveau des premiers quartiers libérés par l'armée. À mesure que les troupes avancent, les équipes humanitaires leur emboîtent le pas. Petit à petit, elles récupèrent des blessés et les prennent alors en charge. L'intensité des combats lors de cette deuxième partie de l'offensive a demandé la mise en place d'une structure de santé prête à soigner des traumatismes de guerre ; c'est précisément la vocation de l'hôpital implanté à l'entrée de Mossoul-Ouest, dans un bâtiment désaffecté et réinvesti à cet effet.

 

(Lire aussi : Colère et chagrin à Mossoul après la destruction de la mosquée al-Nouri)

 

 

Conception, évolution, réaction
Quand MSF arrive dans la région de Mossoul en septembre, l'hôpital monté à l'ouest de Mossoul est encore loin. À l'époque, la ville était toujours sous le joug de l'EI, et les villes périphériques aussi. L'armée irakienne venait tout juste de reprendre Qayyarah, à 60 km au sud, ce qui a permis à MSF d'établir une première base et de monter un premier projet d'hôpital. Une fois les préparatifs terminés, l'hôpital a pu ouvrir ses portes en décembre, le temps de commander le matériel et de recruter du personnel. Pendant ces quelques mois, les troupes au sol avaient déjà progressé jusqu'à Hammam al-Alil dans un premier temps, à une petite dizaine de kilomètres au sud-est, puis à l'entrée de Mossoul-Est en octobre. MSF, à chaque fois, les suivait ; un centre de soins a ouvert à Hammam al-Alil, suivi d'un poste médical avancé à l'entrée de Mossoul-Est. Celui-ci a pour but de « stabiliser l'état des blessés » avant qu'ils ne soient renvoyés vers des structures plus adaptées.

L'offensive sur l'est de la ville a été moins meurtrière, notamment en raison de bombardements aériens moins intensifs et moins réguliers, et d'un état de siège moins avancé. « Très vite, la vie est revenue à une certaine forme de normalité à l'est. Quand j'y suis allé, j'ai été frappé par la circulation en ville, les magasins et restaurants ouverts. (...) À l'ouest, à l'inverse, il n'y a aucune liberté de mouvement », raconte le membre du département des opérations Moyen-Orient de MSF. Dans ce chaos relativement plus organisé, les équipes sur place ont pu identifier les manques à pallier et répondre aux demandes sanitaires. Le poste médical avancé (PMA) installé à l'entrée de la ville venait compléter les quatre déjà montés et tenus par l'armée irakienne. « Nous ne voulions pas forcément rajouter des PMA ; nous voulions répondre aux besoins de prise en charge chirurgicale et d'hospitalisation », précise-t-il. Au fur et à mesure des percées militaires, les structures de santé s'adaptaient : le centre de Qayyarah a traité de nombreux cas de pédiatrie par exemple, notamment des enfants mal nourris « à cause du manque de lait ». En mars, une maternité et une salle ouvraient à Mossoul-Est, alors que l'offensive sur l'ouest avait été lancée une dizaine de jours auparavant.

 

(Lire aussi : Dans le vieux Mossoul repris à l'EI, apocalypse et parfum de mort)

 

 

Autonomie et coordination
Ces équipes dévouées sur le terrain ne rassemblent pas moins de « 60 expatriés et 300 membres du personnel national » pour MSF, nous explique Hakim Khaldi. Elles sont réparties dans le cadre des différentes activités et opérations dans le gouvernorat de Ninive, qui rassemble Mossoul et sa région périphérique. Pour coordonner les différents acteurs, des réunions et des bilans s'imposent : « Une fois par semaine, nous nous réunissons avec tous les acteurs médicaux présents sur le terrain et nous partageons nos informations sur la prise en charge médicale effectuée par chacun. » À Erbil, dans le Kurdistan irakien, le représentant du ministère irakien de la Santé est présent et suit les avancées et installations des équipes des différentes organisations humanitaires et médicales sur place. Mis à part ces bilans hebdomadaires, rares sont les autres interlocuteurs avec lesquels Hakim Khaldi et ses équipes collaborent. L'armée, par exemple, n'en fait pas partie. « On négocie simplement un espace humanitaire avec les troupes irakiennes, et des laissez-passer.

Mais on ne collabore pas avec eux, de même qu'on ne leur demande pas une protection militaire. Dans un conflit comme celui qui a lieu à Mossoul, on ne prend pas parti : ni pour l'armée ni pour l'EI. » Si MSF reste dépendant des avancées militaires pour atteindre les blessés et leur venir en aide, ses équipes circulent et travaillent en toute autonomie. L'armée, pour sa part, exfiltre des civils ou des blessés, en amenant les premiers à des « screening points » où sont vérifiées les identités de chacun, avant qu'ils ne soient redirigés vers des camps de déplacés à l'extérieur de la ville, ou bien dans des structures médicales si besoin est.

À la veille de la reprise de Mossoul, les équipes de MSF s'interrogent quant à l'avenir : « Une fois les combats terminés, le conflit politique commencera pour savoir qui reprendra le contrôle du gouvernorat de Ninive. (...) À ce moment-là, je ne sais pas si l'on pourra rester avec du personnel international à l'intérieur de la ville. Je suis assez pessimiste. » Pour étoffer son point de vue, Hakim Khaldi prend l'exemple de la région d'Anbar, où les deux villes de Ramadi et Fallouja ont été reprises fin 2016 : « Sans contrôle politique et sécuritaire fort, on a vu une résurgence d'attaques de l'EI sur des checkpoints, des assassinats ciblés... D'un point de vue sécuritaire, cela devient de plus en plus compliqué pour MSF de maintenir nos opérations dans cette région. »

Pour Mossoul et sa périphérie, les équipes de l'association ont établi un « certain nombre de signes avant-coureurs qui nous permettront de définir si la situation se détériore ou non, et décider ainsi si l'on peut maintenir notre présence ». Selon lui, cela « risque d'être très compliqué de stabiliser la ville à l'ère post-EI ».

 

 

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