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Moyen Orient et Monde - Irak

« Pour soulager mon cœur, faites que les jihadistes soient tués devant moi ! »

Six cadavres retrouvés ligotés dans une ferme, un jihadiste qui négocie une remise de peine en dénonçant ses collaborateurs et un officier chrétien qui rêve d'exécutions publiques : alors que les forces irakiennes ont lancé l'assaut final à Mossoul, dans la ville de Qaraqosh, reprise en octobre, la « justice » post-État islamique a un parfum de vengeance.

Un homme suspecté d’avoir combattu dans les rangs de l’État islamique détenu par des soldats irakiens, à Mossoul, le 26 janvier 2017. Mohammad Hamed/Reuters

Certains ont perdu une maison, une voiture ou un proche du fait des jihadistes, d'autres à cause des frappes aériennes de la coalition internationale menée par les États-Unis. Par dizaines, ils se pressent pour obtenir réparation aux portes d'un tribunal installé provisoirement à Qaraqosh, plus importante ville chrétienne d'Irak avant d'être en partie détruite par la guerre et le groupe État islamique. Soudain, des cris attirent l'attention de la foule.

« Baissez la tête ! Avancez plus vite ! », ordonne un soldat en brandissant son fusil d'assaut. Ils trottinent en file indienne, 44 détenus exactement, la plupart le crâne rasé. À vingt kilomètres de Mossoul – où les forces irakiennes ont lancé hier l'assaut pour reprendre la vieille ville dans laquelle sont retranchés les jihadistes de l'EI –, bourreaux et victimes se retrouvent.
Les prisonniers, tous suspectés d'avoir combattu pour l'EI, vont s'accroupir dans le jardin, à quelques mètres seulement d'une douzaine de civils aux yeux noirs de colère. Dans cette maison à deux étages, ils seront interrogés, puis les sentences prononcées dans un second tribunal et les peines purgées à Bagdad. Les suspects ont rendez-vous dans une petite pièce à l'étage. Le premier, à peine 25 ans, s'avance pieds nus, vêtu d'un pantalon sombre qui découvre ses chevilles et d'un maillot de football bleu à l'effigie du joueur italien Andrea Pirlo.

- Parle, lui ordonne immédiatement le juge, un natif de Mossoul qui souhaite rester anonyme.
- Qu'est-ce que je dois dire ? lui répond le suspect avec une pointe de défiance.
- Parle-moi de toi et de quand tu as prêté allégeance.
- Mon nom est Hassan A. Je les ai rejoints en septembre 2014...

Le ton du juge, initialement posé, se fait plus menaçant. Mais Hassan, tout en soutenant le regard de son interlocuteur, reste silencieux. Feuilletant le dossier du suspect, le juge revient à la charge :
- Tu as attaqué un soldat. Vrai ou pas ?
- ...
- Vrai ou pas ? Tu avais une arme.
- Oui.
- Quel type d'arme ?
- Une mitrailleuse russe PKC. J'ai tiré sur un soldat et je l'ai vu tomber.
- Avant cette audience, tu as avoué avoir également attaqué des civils qui tentaient de fuir. Tu leur as tiré dessus et tué l'un d'entre eux.
- C'est exact, lui répond Hassan, les yeux sombres verrouillés dans ceux du juge.

Cette confession signe la fin de l'audience : le suspect est reconduit dehors. « Il sera certainement condamné à mort », précise Khalil, un avocat présent dans la pièce et jusque-là resté silencieux. Lorsqu'on l'interroge sur les raisons qui le poussent à défendre des personnes accusées d'avoir combattu pour l'EI, l'avocat au costume violet se braque : « Ah non, non, moi je ne défends que les jihadistes qui me payent. Aujourd'hui, je suis engagé par le gouvernement pour consigner dans un rapport si un prévenu est tabassé. »

(Lire aussi : « Ma maison a été utilisée pour le viol de filles yézidies »)

 

« Tu es méprisable »

D'entrée de jeu, le deuxième suspect à comparaître, un homme de 34 ans, annonce au juge vouloir passer un accord : une remise de peine en échange d'informations sur d'autres suspects. Les deux hommes se sourient.

- Qui ? Mohammad Salem, Salman Hazem... ? demande le juge en parcourant une liste. Il possède les noms de guerre de certains combattants et cherche à obtenir leur véritable identité, ou l'inverse.
- Salman et Sagoumi, je ne les ai pas vus avec des armes, répond le suspect.
- Ah ! Comment connais-tu Sagoumi ? demande le juge, visiblement surpris. Est-ce que Abou Layal et Sagoumi sont la même personne ?
- Non, Abou Layal, c'est Safouane.
Satisfait de cette séance de délation, le juge se penche alors sur le dossier de son interlocuteur.
- Tu es avec l'État islamique ? Oui, tu es avec l'État islamique.
- Non ! proteste le prévenu. Je transportais seulement du matériel pour eux.
- Tu es méprisable et tu es membre de l'État islamique, conclut le juge avant d'ordonner que le suspect soit escorté dehors.

Selon la loi antiterroriste irakienne de 2005, les prisonniers peuvent être condamnés à la prison à perpétuité ou écoper de la peine de mort. Mais tous ne verront même pas l'intérieur d'un tribunal. Deux semaines plus tôt, dans une ferme en bordure de Qaraqosh, un paysan avait ainsi trouvé six cadavres portant des traces de torture. Exécutés d'une balle dans la tête, sans doute sur place, explique le commissaire de la ville, qui soupçonne que les victimes étaient accusées d'avoir appartenu à l'EI.

« Il y avait quatre corps là, et deux autres là-bas. Ça, ce sont leurs cheveux, explique le fermier en entrant dans son étable. Les corps ont depuis été déplacés, mais ont laissé derrière eux le parfum insupportable de la putréfaction. » « Je ne veux plus revenir ici à cause de ce qu'il s'est passé, affirme-t-il. Qui dit que c'était des membres de l'EI ? Ils pourraient être innocents. Personne ne sait, n'est-ce pas ? » Les mois précédents, d'autres corps avaient déjà été retrouvés à Qaraqosh, avec toujours le même modus operandi.

« Faites qu'ils soient tués devant moi »

Selon l'organisation Human Rights Watch (HRW), ces derniers mois, dans les zones à l'intérieur et autour de Mossoul reprises aux jihadistes, de plus en plus de corps sont retrouvés pieds et poings liés et les yeux bandés, suscitant de sérieuses inquiétudes face à ce qui semble être des exécutions extrajudiciaires commises par les forces gouvernementales.
Au-delà de violations patentes des droits de l'homme, la chercheuse en Irak de HRW, Belkis Wille, affirme que de telles pratiques, qui semblent viser exclusivement des Arabes sunnites, peuvent avoir de conséquences néfastes sur la sécurité nationale en incitant la prochaine génération à rejoindre aussi des groupes insurgés. Des recrues telles que « les fils dont le père a été abattu d'une balle dans la tête et abandonné dans un champ », estime Mme Wille.

HRW rappelle aussi que si les victimes d'exécutions extrajudiciaires ne voient par définition jamais l'intérieur d'un tribunal, alors leurs propres victimes non plus. « Les femmes yézidies qui étaient utilisées comme esclaves sexuelles méritent d'obtenir justice. Si un homme exécuté dans un champ avait dix esclaves yézidies, ces femmes auraient complètement perdu leur chance pour que justice soit faite », dénonce la chercheuse.
Dans le centre de Qaraqosh, au quartier général des Unités de protection de la plaine de Ninive, une milice chrétienne, les questions sur ces six corps agacent. Le capitaine Sabri Rafou Abrahim, 60 ans, assure que ses hommes ne sont pas responsables – de nombreuses autres forces armées sillonnent les rues – mais ne semble pas préoccupé par ces corps qui apparaissent subitement dans sa ville. « Cela peut arriver dans n'importe quel pays, ce genre de revanche. Par exemple, si quelqu'un a tué mon frère et je sais où il est, que vais-je faire de lui ? Au milieu de ce bordel et de l'absence de loi, et avec les combats qui se poursuivent, ces genres de cas sont normaux », confie le capitaine Abrahim, qui n'a pas oublié que ce sont des jihadistes de l'EI qui ont incendié sa maison et l'ont forcé à fuir sa ville natale. « J'aimerais qu'ils les emmènent dans les rues de Qaraqosh et je serai celui qui tirera la première balle ! Pour soulager mon cœur, faites qu'ils soient tués devant moi », supplie l'officier, avant d'ajouter calmement : « Et je voudrais qu'ils les exécutent en face des civils. »


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