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Moyen Orient et Monde - décryptage

L’Arabie saoudite, les EAU et les (faux) Frères musulmans...

De gauche à droite : l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, le président égyptien, Abdel Fattah el-Sissi, le roi d’Arabie, Salmane al-Saoud, le Premier ministre des EAU, Cheikh Mohammad ben Rached al-Maktoum, et le roi de Bahreïn, Hamad ben Issa al-Khalifa. AFP/Mandel Ngan/Fayez Nureddine/Khaled Desouki/Lucas Jackson

L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont dénoncé ensemble le soutien apporté par le Qatar à différentes « entreprises terroristes », dont les Frères musulmans. Ces deux pays du Golfe ont mené plusieurs actions, communes ou non, pour endiguer ce mouvement à l'origine égyptien, afin de préserver le leadership du royaume des Saoud dans le monde arabe et de contrer l'expansion de la confrérie. Pourtant, l'histoire entre ces trois visions islamistes n'a pas toujours été aussi houleuse.

 

Guerre du Koweït
L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont longtemps vu en la confrérie d'obédience sunnite un potentiel de prosélytisme religieux dans le monde arabe, et lui ont apporté un soutien politique et logistique non négligeable à l'époque où Gamal Abdel Nasser dirigeait l'Égypte. L'ancien président, qui se présentait comme nationaliste, socialiste et laïc, avait décidé d'éradiquer le mouvement des Frères musulmans, dont le modèle religieux et rigoriste pouvait concurrencer son idée d'une « Égypte moderne ». Il a donc interdit la confrérie en 1954, et une répression violente à son égard s'en est suivie. Craignant d'être mis à l'écart de l'axe Syrie-Égypte qui régissait la région à l'époque, les monarchies du Golfe, et en premier lieu l'Arabie saoudite, ont offert l'asile à de nombreux Ikhwan et soutenu financièrement la transmission de leur idéologie.

L'émigration forcée de la plupart des Frères musulmans sous le régime de Nasser a finalement redistribué les cartes. Alors que la confrérie s'établissait dans différents pays arabes autres que l'Égypte, notamment en Palestine ou en Arabie saoudite, cette dernière l'a observée avec suspicion et méfiance. Le royaume des Saoud tient au modèle de sa monarchie absolue, et le wahhabisme qu'il prône n'autorise pas de représentation politique, au contraire du modèle des Ikhwan, qui promeut aujourd'hui une accession au pouvoir par les urnes. Tant que le mouvement restait dans l'opposition, il n'était qu'à surveiller. Mais, au moment de la guerre du Koweït en 1990, alors que les Frères musulmans ont pris le parti de Saddam Hussein contre l'Arabie saoudite et les États-Unis, ils sont devenus rivaux. Alors que le premier parti d'opposition saoudien, al-Sahwa (la renaissance), était créé en 1991, la confrérie a été directement tenue pour responsable par le royaume de ce mouvement et de cette influence réformiste. D'une menace supposée extérieure jusqu'à la libération du Koweït, les Frères musulmans sont devenus un ennemi de l'intérieur.

 

(Lire aussi : Frères musulmans et pays du Golfe : les liaisons dangereuses)

 

« Tolérance zéro »
Au même titre, les Émirats arabes unis, qui avaient aussi accueilli certains Ikhwan, ont changé de ton dès les années 2000. Alors que les Frères musulmans gagnaient en influence à l'intérieur même de certaines institutions publiques, il était impossible pour l'émirat de tolérer une nouvelle forme d'islam politique en son sein. À partir de 2011 et des soulèvements arabes, la confrérie a été particulièrement réprimée afin d'éviter tout débordement ou toute vague révolutionnaire dans le pays. Depuis, les Émirats ont adopté la stratégie de la « tolérance zéro ». La politique étrangère des Émirats arabes unis s'accorde avec sa politique intérieure.

C'est ainsi qu'Abou Dhabi a suivi Riyad lors du coup d'État du maréchal Abdel Fattah el-Sissi en Égypte, en 2013, qui a démis de ses fonctions Mohammad Morsi et les Frères musulmans, arrivés au pouvoir par les urnes suite aux soulèvements de 2011. Les enjeux étaient trop importants pour laisser la confrérie à la tête d'un pays qui abrite la plus large population sunnite du monde arabe. Sur les dossiers syrien, libyen et yéménite, aucun soutien n'est apporté aux groupes affiliés de près ou de loin aux Frères musulmans, quitte parfois à adopter une stratégie contraire à celle de l'Arabie saoudite.

 

(Lire aussi : Au Koweït, l’art de la « diplomatie non alignée »)

 

 

Ennemis de circonstance
La priorité pour le royaume des Saoud ne tient pas tant à la lutte contre l'islamisme, mais bien plus au maintien de son influence régionale et de son leadership. Plus que de financer des mouvements hostiles aux Frères musulmans, il s'agit plutôt de soutenir des mouvements qui ne remettent pas en question l'ordre politique établi. L'Arabie saoudite défend alors une politique de circonstance plus que d'intransigeance. Si le défunt roi Abdallah inscrivait la confrérie sur la liste des organisations terroristes à combattre en 2014, son demi-frère Salman al-Saoud tempère aujourd'hui la situation. Les enjeux ont changé : l'Arabie saoudite perd du terrain au Yémen et se méfie plus que jamais de l'Iran qui essaie de gagner de l'influence dans la région. À la différence du roi Abdallah, le souverain actuel n'a pas choisi les Frères musulmans comme principaux ennemis, mais Téhéran et ses aspirations expansionnistes. Pour le contrer, la monarchie wahhabite a à cœur de constituer un « front sunnite » fort, quitte à se rapprocher prudemment des Frères musulmans. Si l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis redoutent l'influence des Frères musulmans sur leur opinion publique, il semble que le royaume des Saoud soit un ennemi de circonstance pour ce mouvement. Abou Dhabi, en revanche, a décidé de ne pas fléchir et rejette en bloc toute forme d'islamisme, et, en premier lieu, celui défendu et prôné par les Frères musulmans.

 

 

 

 

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