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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Au Koweït, l’art de la « diplomatie non alignée »

Après l'épisode de 2014, l'émirat joue à nouveau le rôle du médiateur entre ses frères du CCG.

Le roi Salmane ben Abdel Aziz al-Saoud (à gauche) et l’émir du Koweït, le cheikh Sabah al-Ahmad al-Jaber al-Sabah (à droite), lors de la réunion surprise du Conseil de coopération du Golfe, le 16 novembre 2014 à Riyad. Ho/AFP

« L'État du Koweït souligne l'inéluctabilité de résoudre le conflit dans le cadre du Golfe. » Hier, le ministre koweïtien des Affaires étrangères, le cheikh Sabah al-Khaled al-Sabah, a annoncé la couleur pour tenter de solutionner la crise diplomatique qui dure maintenant depuis une semaine entre le Qatar et les pays du Golfe, avec Riyad en tête de file. La priorité est donnée au « dialogue entre frères », a-t-il déclaré, selon l'agence officielle Kuna. « Nos frères du Qatar sont prêts à comprendre la réalité des critiques et des inquiétudes de leurs frères et à tenir compte des nobles efforts déployés pour améliorer la sécurité et la stabilité », a également affirmé hier le chef de la diplomatie koweïtienne.

Disposant d'une place de choix parmi ses voisins du Golfe, le Koweït est le seul pays, avec le sultanat d'Oman, à avoir choisi de ne pas couper ses liens diplomatiques avec le Qatar. Proche de l'Iran, l'émirat est à contre-courant sur la question du « terrorisme » dans la région. Le Koweït, seul pays de la région disposant d'un système politique pluraliste, inclut les Frères musulmans. Bête noire de Riyad et ses alliés, le mouvement est une force politique bien installée au Koweït et disposant notamment de sièges au Parlement. Mais le Koweït mène une politique plus discrète, à l'instar d'Oman. En ne s'engageant pas contre le Qatar, l'émirat fait le gage de la « préservation de la neutralité et de la stabilité du pays », précise Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève (Cermam), contacté par L'Orient-Le Jour. Le petit émirat logé entre l'Arabie saoudite et l'Irak a trouvé le rôle géopolitique qui convient à tous : celui du médiateur.

 

(Lire aussi : Frères musulmans et pays du Golfe : les liaisons dangereuses)

 

 

« Place unique »
En mars 2014 déjà, la monarchie avait fait usage de ses capacités de négociation pour rassembler autour de la même table les « frères » du Conseil de coopération du Golfe (CCG), suite au plus grand séisme diplomatique depuis la création du CCG en 1981, désormais de moindre ampleur en comparaison avec celui de la semaine passée. L'Arabie saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis avaient décidé de rappeler simultanément leurs ambassadeurs à Doha, accusant le Qatar de soutenir les Frères musulmans. C'est alors que l'émir du Koweït, le cheikh Sabah al-Ahmad al-Jaber al-Sabah, était entré dans le jeu diplomatique, ramenant le Koweït sur le devant de la scène. Huit mois plus tard, les ambassadeurs rentraient à Doha. Le cheikh Sabah est « l'artisan de la diplomatie koweïtienne non alignée », explique à L'Orient-Le Jour le Dr Fatiha Dazi-Héni, chercheuse spécialiste des monarchies de la péninsule arabique et du golfe Persique à l'IRSEM, et auteure de L'Arabie saoudite en 100 questions (Tallandier, 2017).

Personnage extrêmement respecté par ses pairs dans la région, le cheikh Sabah est le doyen des émirs du CCG. Ancien ministre des Affaires étrangères de 1963 à 2003, il est devenu émir en 2006. Sa longévité sur la scène diplomatique lui a permis de tisser des liens avec les générations régnantes précédentes, lui donnant un statut particulier à l'égard de ses homologues d'aujourd'hui. L'émirat dispose donc d'une « place unique dans cette région très conservatrice », estime la chercheuse, pour laquelle le Koweït est « la seule monarchie de la région à jouir de la respectabilité due à un État qui applique depuis son indépendance le pluralisme politique ».

 

 

(Lire aussi : L’Arabie saoudite, les EAU et les (faux) Frères musulmans...)

 

 

« Médiateur par défaut »
Le Koweït peut donc à nouveau se targuer d'être le médiateur légitime de cette nouvelle crise. Mais « c'est une médiation par défaut, car il n'y a personne d'autre qui peut jouer ce rôle », mis à part Oman, qui « entretient des relations particulièrement froides notamment avec l'Arabie saoudite et Abou Dhabi », souligne Hasni Abidi. La dynamique du coup de maître réalisé par le cheikh Sabah en 2014 peut-elle alors être à nouveau appliquée aujourd'hui ? « Plus que jamais, l'émir du Koweït a une légitimité très forte pour aider à apporter une solution qui ne peut venir que de l'intérieur du CCG, même si bien sûr le poids des États-Unis sera fondamental pour convaincre les durs de faire des gestes d'apaisement », alors que le Qatar commence déjà à faire des concessions, observe Mme Dazi-Héni.

Au contraire de 2014, le Koweït va devoir faire avec la présence américaine sur le terrain diplomatique. Mercredi dernier, Donald Trump avait invité l'émir du Qatar à une rencontre à Washington offrant « d'aider les parties à résoudre leurs différends, y compris par une visite à la Maison-Blanche si nécessaire », avait déclaré l'administration américaine dans un communiqué. La déclinaison de l'offre par Doha s'explique par « l'allergie » des pays du Golfe aux interférences extérieures, note M. Abidi. Mais même si le Koweït réussit dans sa médiation, le rôle des États-Unis en coulisse pour convaincre l'Arabie saoudite et les Émirats de se réconcilier avec leur frère trop ambitieux est à prendre en compte, précise le chercheur.

 

 

 

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