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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Theresa May redéfinit l’ennemi à défier : « L’extrémisme islamiste »

Le Premier ministre a annoncé des mesures qui tranchent avec la tradition libérale du Royaume-Uni, selon Yves Bertoncini.

Theresa May tient un discours le dimanche 4 juin, suite aux attentats terroristes ayant frappé Londres la veille au soir. Justin Tallis/AFP

« Nous devons vivre nos vies non pas selon une séparation et une ségrégation communautaire, mais à l'image d'un vrai royaume uni », déclarait Theresa May au lendemain des attentats survenus dans la capitale britannique samedi soir. À quelques jours des élections législatives qu'elle a elle-même convoquées, la Première ministre a tenu un discours ferme qui remet en cause la « tolérance à l'égard de l'extrémisme » en Grande-Bretagne. Après avoir rappelé la chronologie des faits, elle a tenu à féliciter les forces de police, et a apporté son soutien aux familles et au peuple londonien. En employant un ton presque martial, Theresa May a énuméré quatre points pour mener à bien sa lutte contre le terrorisme, quitte à remettre en cause certains principes libéraux anglo-saxons.

 

Rompre avec la tradition de la tolérance
« Trop, c'est trop », assurait fermement Theresa May. En adoptant une position particulièrement offensive, la candidate du Parti conservateur rompt avec la stratégie de riposte de l'Angleterre au lendemain d'événements tragiques comme ceux survenus samedi soir à Londres. Dans ce discours « qui pourrait faire date si elle est élue » selon Yves Bertoncini, directeur de l'Institut Jacques Delors, interrogé par L'Orient-Le Jour, elle redéfinit l'ennemi à défier : « L'extrémisme islamiste », « cette idéologie » dont le combat représente « l'un des grands challenges de notre époque ». Une déclaration qui sonne d'une manière « particulière dans sa bouche », indique l'expert.

« Elle explique qu'il faut frapper le terrorisme islamiste là où il est, au loin, en Irak et en Syrie. (...) Mais elle explique aussi, et c'est surtout cela qui est nouveau, qu'il faut l'attaquer à même le sol britannique », précise-t-il. Les islamistes radicaux auraient été très largement tolérés en Angleterre pendant un certain temps, notamment au nom de la liberté d'expression et des libertés individuelles, des mesures chères à la tradition libérale anglo-saxonne. À tel point, d'ailleurs, que l'on surnommait la capitale anglaise « Londonistan » pour accuser ces pratiques pendant les années 1980-1990. « C'est le communautarisme, la tradition communautariste qui est ici pointée du doigt », avance l'expert en relations européennes.

Theresa May semble donc avoir déplacé sa guerre, sinon ajouté des batailles : la réponse n'est plus seulement militaire, elle devient aussi idéologique. En dénonçant cette « tolérance », elle semble emprunter un virage dans la tradition libérale de la société britannique, sans encore le concrétiser par l'adoption de mesures précises, cependant. The Guardian répondait d'ailleurs au Premier ministre dimanche soir dans un éditorial, l'accusant de promouvoir un « crime de la pensée », ce qui serait contre-productif pour remporter la guerre contre le terrorisme. Au contraire, « ceux qui partagent les mêmes croyances extrêmes, mais sont non violents et opposés aux méthodes violentes », pourraient être les meilleurs alliés de la lutte entamée par le gouvernement britannique contre ces « prêcheurs de haine », selon les mots de Theresa May.

 

(Témoignages : "Ils n'arrêtaient pas d'essayer de venir me poignarder... ils poignardaient tout le monde")

 

 

La sécurité avant les libertés ?
« Nous ne pouvons pas, et ne devons pas, prétendre que les choses peuvent continuer comme cela », ajoutait-elle au cours de son allocution. Après avoir rendu hommage aux forces de police qui ont neutralisé les assaillants en « huit minutes », la dirigeante conservatrice détaillait cette « nouvelle menace » à laquelle son pays fait face. Une voiture bélier et des attaques hasardeuses au couteau, voilà le nouveau format d'attentat qu'il faut nouvellement apprendre à surveiller et empêcher. En ce sens, la Première ministre n'a pas hésité à annoncer des mesures visant à donner davantage de moyens aux services de police et de sécurité, ce qui est également une proposition qui tranche avec la tradition libérale du Royaume-Uni, souligne Yves Bertoncini.

Alors qu'en 2016 l'« Investigatory Powers Act » entrait en vigueur, ce grand projet de Theresa May qui oblige les fournisseurs d'accès à conserver l'historique des sites visités par les internautes durant un an, librement consultables par les services de police et de renseignements, d'autres mesures restrictives risquent aujourd'hui de s'ajouter à la liste. Au programme notamment, un renforcement des pouvoirs de la justice et un allongement des peines de prison pour les délits liés au terrorisme, « même les délits mineurs », précisait-elle.

Des « pouvoirs intrusifs » pour The Guardian, qui accuse en même temps la riposte britannique de faire le jeu des terroristes : « Le but de la terreur est de nous effrayer, en nous faisant changer la nature même de notre démocratie. »

Un autre point a été abordé au cours de cette liste de propositions, celui d'accentuer la cybersécurité. Celui-ci avait déjà été évoqué lors du récent G7 à Taormina, où les sept puissances s'étaient accordées pour brider davantage les grands groupes internet afin qu'ils luttent plus efficacement contre la propagation des contenus radicaux, notamment à la demande la Grande-Bretagne. Lors de son discours, Theresa May a mis un point d'honneur à ce qu'internet ne laisse plus autant de chances à l'idéologie islamiste radicale d'exister en ligne, sans préciser toutefois comment elle espérait faire taire ces espaces d'expression.

 

 

La pression du scrutin
La fermeté de ce discours tient « à la succession rapide des événements » pour Yves Bertoncini, mais également au calendrier politique. Theresa May est toujours en campagne pour des élections législatives qu'elle a elle-même mises en place, afin de remporter une victoire parlementaire qui lui permettra de négocier un Brexit selon ses conditions. Si le Royaume-Uni s'apprête à quitter l'Union européenne sous peu, pour le directeur de l'Institut Jacques Delors, cette sortie n'aura « pas de conséquence » sur la coopération demandée par Theresa May dans la lutte contre le terrorisme. « La coopération souhaitée est une coopération bilatérale. (...) On ne règle pas le problème du terrorisme à 27 ou à 28 », ajoute-t-il.

Alors que le Parti travailliste gagnait récemment du terrain dans les sondages, ce nouveau drame pourrait « profiter au pouvoir en place » selon l'expert. « Après un attentat, les gens veulent de la stabilité et de l'ordre ». En 2010, l'ancien Premier ministre Gordon Brown souhaitait discuter d'une « identité nationale britannique ». Si ce projet n'a jamais vu le jour, notamment au nom du multiculturalisme à l'anglaise, il semblerait que ce projet puisse être remis au goût du jour.

 

 

 

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