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Culture - Exposition

Le règne d’une apocalypse festive

Krikor Agopian, à soixante-quinze ans, des solitudes du Canada profond, revient à la galerie Hamaskaïne, avec un lot de nouvelles toiles à la maturité joyeuse et juvénile.

Un vocabulaire pictural délibérément anarchique.

Plus de quarante toiles à l'acrylique, avec détails en air brush, parfaitement en relief, pour un surréalisme léché et un foisonnement hétéroclite d'objets invraisemblables, où tout se mêle dans un désordre patiemment agencé. Au milieu d'un tam-tam de couleurs qui se bousculent, comme une rentrée d'écoliers turbulents, et éclatent comme des pétards détonants. Un monde grouillant où les époques se chevauchent, le temps se perd, la vue se brouille, l'image, surchargée comme un grenier encombré où l'on trouve de tout, triomphe. Un travail de dentellière appliquée et laborieuse pour cet univers ultrabariolé et bigarré. Pour une joie de vivre indestructible tout en dénonçant une modernité sauvage dans ses technologies versatiles, envahissantes et tyranniques.

Presque un demi-siècle de pinceaux en mains pour plus de soixante expositions individuelles entre Montréal, Ottawa, Toronto, New York, Los Angeles et Beyrouth. Pour une carrière qui a démarré en 1969 et le Premier Trophée Surréalisme dans sa besace pour un art qui oscillait entre pop-art, murales presque de rues, représentations surréalistes entre corps de femmes nues et grenades éclatées, symbole absolu de l'Arménie, sa patrie identitaire. Aujourd'hui, en un tir groupé de tous les éléments du passé, en mettant sous la même ombrelle et le même toit les diverses sources d'inspiration qui ont nourri ses toiles à l'acrylique et aux mixed-media, Krikor Agopian renoue, en toute verve et jubilation, avec un style qu'il s'est forgé, inventé et servi en une constante et impassible fidélité.

Regard en arrière

Dans un éclatement de tonalités fortes, aux contrastes parfois qui jurent, l'artiste (dé)construit et (re-dé)structure l'univers en y incorporant tout ce que crache (ou cache) le ventre des machines, les mémoires des hommes, les instruments de mesure, d'architecture, les jeux de société, des terrains de foot ou de volley avec les boutons des shorts, les lacets des espadrilles, les étoffes et accessoires des vêtements de sports ou autres...
Un fouillis indescriptible pour ces toiles (entre grands – 87cmx1m73cm – et petits formats – 15cmx 20cm) où la notion du fragmenté et du fragmentaire l'emporte sur l'ensemble qui finit par être frappant grâce à un boulon en saillie, une cordelette qu'on serait tenté de toucher tant elle respire vraie, un grillage dessiné au millimètre près, un ballon qui appelle à quelques foulées, une horloge (qu'on ne regarde hélas plus tant elle fait démodé) qu'on se dit elle va sonner l'heure, un écran de flipper pour une partie guère fine où lampes et rubans de route s'allument...

Et ainsi s'égrène cette narration ultravolubile, presque disjonctée, d'un vocabulaire pictural délibérément anarchique. Mais canalisée vers une cohérence aux harmonies dissonantes telle une partition moderne de Schonberg. Comme la logorrhée d'une personne qui aurait longtemps gardé le silence et qui a un irrépressible besoin de s'épancher et jeter un paquet de mots. Pas un puzzle ou une charade aux motifs égarés, mais ça en a toute l'allure ludique.

Cependant, dans le sillage et au cœur même de cette manière sans rempart de peindre, la moelle épinière ou le nerf moteur de ce cru en tourbillon de Krikorian, émergent les quatre cavaliers de l'Apocalypse. Chamarrés comme des soldats en bois qu'on pose sur un improbable échiquier. Une faux, un sabre, un arc à tirer, une balance pour annoncer conquête, guerre, famine et mort.

Bouleversement du monde dans un monde où tout change sauf Dieu et l'amour. En cortège à ces augustes et solennels annonciateurs d'un ordre différent, suivent Roméo et Juliette (avec un profil tissé à partir d'un folklore parfaitement imprégné de l'esprit du pays de Sayat-Nova) ainsi qu'un Homme-Oiseau, rêve immémorial de l'être pour des ailleurs jamais encore atteints...
Même si cette peinture semble un regard tourné vers l'arrière (une évidence si l'on parle des années 1960-1970 de la Flower Power), par-delà toute palpable notion de fantasque liberté et fantaisie, il y a aussi un témoignage du présent et un besoin d'évasion vers un avenir apaisé et apaisant.

Galerie Hamaskaïne-Lucy Tutunjian (Bourj Hammoud)

 

Pour mémoire

Agopian, 52 ans de bonheur en peinture

Plus de quarante toiles à l'acrylique, avec détails en air brush, parfaitement en relief, pour un surréalisme léché et un foisonnement hétéroclite d'objets invraisemblables, où tout se mêle dans un désordre patiemment agencé. Au milieu d'un tam-tam de couleurs qui se bousculent, comme une rentrée d'écoliers turbulents, et éclatent comme des pétards détonants. Un monde grouillant...

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