« Le rôle de l'Église est, plus que jamais, de ne pas prendre parti pour l'un ou l'autre des candidats mais de rappeler à chaque électeur ce que notre foi nous invite à prendre en compte ». Mercredi, Mgr Pontier, président de la Conférence des évêques de France (CEF), a refusé de donner une consigne de votes aux catholiques en vue du second tour de l'élection présidentielle opposant, dimanche, Emmanuel Macron à Marine Le Pen. Dénonçant le « climat hystérisé » de cette campagne dans un questions-réponses publié sur le site de la CEF, Mgr Pontier a tout de même reconnu que « la position de la conférence n'est pas simple. Il serait plus facile de donner une consigne de vote ». Depuis le résultat du premier tour, l'Église a été vivement critiquée pour ce non-choix, et plus précisément pour son refus de se positionner explicitement contre la candidate du Front national.
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Éviter « une crise interne »
Un positionnement qui est bien loin de celui adopté par l'Église avant le second tour de la présidentielle de 2002, qui avait opposé Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen. Le choc provoqué par le passage du candidat d'extrême droite au second tour avait poussé l'Église à rompre avec l'un de ses principes, depuis 1972, de ne pas intervenir directement dans la vie politique française. L'épiscopat n'avait pas hésité à se prononcer contre l'extrême droite, et notamment par la voix de Mgr Ricard, alors président de la CEF, dénonçant les incompatibilités entre les principes ecclésiastiques et ceux défendus par le parti de Jean-Marie Le Pen. « Dans la période qui s'ouvre, nous devons tous faire appel à l'intelligence plutôt qu'à l'instinct, au discernement plutôt qu'à la seule spontanéité, à la sérénité plutôt qu'à la peur », avait-il souligné.
Comment expliquer le positionnement actuel de l'Église au sujet du second tour Marine Le Pen/Emmanuel Macron ? « L'histoire ne repasse pas les plats », note Marc Rastoin, prêtre catholique jésuite et docteur en théologie biblique, contacté par L'Orient-Le Jour. « En 2002, Jean-Marie Le Pen avait cité Jean-Paul II au soir du premier tour, l'épiscopat ne pouvait pas laisser passer, ajoute-t-il. De plus, les cardinaux de l'époque avaient plus de poids. » Mais au-delà de la rhétorique utilisée par le candidat, c'est la nature même de la société qu'il faut prendre en compte pour expliquer la décision de l'Église. « L'épiscopat a changé en quinze ans. On a assisté à la nomination d'évêques plus classiques, et les pratiquants aussi ont évolué », précise Marc Rastoin. La communauté catholique a notamment fait face ces dernières années à la montée d'une vague de jeunes catholiques plus militants et plus radicalisés sur les questions libérales et notamment sociétales, plus à même de voter pour le FN.
« Certains disent que la position actuelle de l'Église (sur cette présidentielle) est trop frileuse ; elle ne démontre cependant pas une radicalisation de l'épiscopat, mais plutôt un jugement prudent par rapport à la société », déclare le prêtre. « Il est quand même ironique de constater que l'Église, qui avait été critiquée par les médias après avoir été associée à la Manif pour tous, se voit reprocher aujourd'hui de ne pas s'impliquer assez dans la sphère publique », ajoute-t-il. En octobre 2016, les dix membres permanents de la CEF avaient publié une lettre ouverte à la France dressant un sombre tableau de la scène politique française en vu de l'élection présidentielle mais s'étaient gardés de nommer les partis.
En ne se prononçant pas en faveur de l'un ou l'autre des candidats, l'Église semble vouloir maintenir un certain statu quo parmi les évêques et les croyants, à la veille de l'élection. « Certains évêques trouvent qu'il ne faut pas ménager les fidèles prêts à voter pour Marine Le Pen, car elle promeut des valeurs, notamment sur l'immigration, qui sont l'antithèse du message des Évangiles, souligne à L'OLJ Claude Dargent, chercheur au Centre de recherche politique de Sciences Po (Cevipof) et professeur à l'Université Paris 8. D'autres pensent que les catholiques pratiquants sont aujourd'hui trop peu nombreux pour que l'Église s'offre le risque d'une crise interne. »
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Les soutiens déçus de François Fillon
Certains évêques n'ont cependant pas hésité à prendre plus clairement position contre le parti d'extrême droite. Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, s'est exprimé via son compte Twitter expliquant qu'il ne voterait pas pour le parti « de la peur, de la haine, du rejet, du mensonge, de l'exclusion, du repli: c'est l'opposé de l'Évangile ». Il a été rejoint par Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, qui a signé une tribune dans La Croix dans laquelle il déclare qu'il ne votera pas pour Mme Le Pen le 7 mai. Les institutions musulmanes, juives et protestantes, quant à elles, se sont prononcées hier en faveur du candidat d'En marche ! dans une déclaration conjointe. « Nous appelons (...) clairement à voter Emmanuel Macron dimanche 7 mai », ont insisté le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et Haïm Korsia, grand rabbin de France.
L'épiscopat se retrouve donc dans une situation bien délicate alors que 44 % des pratiquants réguliers s'étaient tournés vers François Fillon au premier tour et seulement 16 % respectivement pour M. Macron et Mme Le Pen, selon une étude de l'institut Harris Interactive pour La Croix. Aucun des deux candidats toujours en lice ne semble répondre aux attentes de la communauté, dont de nombreux membres risquent de se tourner vers l'abstention. Emmanuel Macron étant issu du gouvernement sortant notamment marqué par la reconnaissance du mariage pour les couples homosexuels, les catholiques « voient en lui le fils spirituel de François Hollande », bien qu'ils soient économiquement « plutôt libéraux », explique à L'OLJ Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences à l'Université de Bordeaux et spécialisé en religions et politique. A contrario, « le programme économique de Marine Le Pen leur semble digne des socialistes et assez dangereux pour l'Union européenne à laquelle ils sont assez attachés », précise-t-il.
Depuis l'élimination du candidat conservateur de droite François Fillon, les fidèles franco-libanais font partis de ces indécis. « L'Église pose des critères. Ensuite, c'est à chaque électeur de les prendre en considération et de voter pour la personne qui, selon lui, y répond le mieux », estime Fadi el-Mir, curé de la paroisse Notre-Dame du Liban à Paris.
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commentaires (5)
L'église catholique n'a pas à se mêler de la politique dans un Etat officiellement laïc. Point final. Si je vote pour Emmanuel Macron, c'est uniquement pour barrer la route à Marine Le Pen, la fille de son père. Ce n'est en aucun cas un acte d'allégeance ni à la personne ni à son programme. Point à la ligne.
Un Libanais
14 h 15, le 05 mai 2017