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Liban - Hommage

Michel Seurat, celui qui a révélé au monde « l’État de Barbarie »

De gauche à droite sur la photo : Élias Khoury, Nahla Chahal, Farouk Mardam-Bey, Fawwaz Traboulsi et Eberhard Kienle.

Le recueil d'articles sociopolitiques de référence, Syrie : l'État de Barbarie, dont l'auteur, Michel Seurat, a payé le prix de sa vie en 1985, vient d'être traduit en arabe, permettant enfin à plusieurs générations de non-francophones, notamment syriens, de découvrir à quel point cet ouvrage, pourtant vieux d'une trentaine d'années, reste incontournable pour comprendre les structures « barbares » de l'État assadien.

À cette occasion, l'Institut français du Proche-Orient a organisé mardi dernier une table ronde autour du travail de l'orientaliste français, empreint d'une rigueur intellectuelle, pétrie de passion et d'audace, d'une certaine « innocence » aussi, qui l'ont amené à déconstruire les mécanismes de la dictature assadiste, plus que jamais à l'œuvre aujourd'hui.

La projection d'un documentaire réalisé en 1996 à sa mémoire par le cinéaste syrien Omar Amiralay, décédé quelques jours avant la révolution syrienne en 2011, a précédé la table ronde. Par un jour de violence ordinaire, mon ami Michel Seurat... Tel est le titre du documentaire, éprouvant, étouffant, qui retrace les pas de l'intellectuel jusqu'au fin fond de sa captivité dans les bas-fonds de la banlieue sud, puis de sa maladie fatale, criminellement méprisée par ses ravisseurs. Le film fait parler notamment Marie Seurat, veuve du chercheur, d'ailleurs présente dans l'audience avec sa fille Leila, également chercheuse.

Michel Seurat, sociologue français et spécialiste du monde arabe, mais surtout passionné de la scène syrienne, avait été enlevé en mai 1985 par un groupe d'obédience syro-iranienne se faisant appeler « Jihad islamique » à sa sortie de l'aéroport international de Beyrouth. Son crime ? Avoir mis à nu, dans son recueil, et en utilisant la triade khaldounienne açabiyya/daawa/mulk (ou comment une communauté développe une prédication politique pour conquérir le pouvoir dans la ville), toute la violence du régime syrien de Hafez el-Assad et son ancrage pernicieux en Syrie à travers une politique d'annihilation de tout espace politique au profit de la « açabiyya » alaouite et du clan Assad.

La projection a été suivie des interventions successives du directeur de l'IFPO (Institut français du Proche-Orient) Eberhard Kienle, du professeur de sciences politiques Fawwaz Traboulsi, de l'écrivain Élias Khoury, de l'écrivaine et journaliste Nahla Chahal et de l'éditeur Farouk Mardam-Bey.

 

(Pour mémoire : Pour la 30e commémoration de l'enlèvement de Michel Seurat, la France réaffirme son engagement à combattre le terrorisme)

 

 

Dans son allocution d'ouverture, Fawwaz Traboulsi a évoqué « les trois questions essentielles sur lesquelles se penche, selon lui, l'ouvrage » : d'abord, la relation tragique entre l'ouvrage et l'auteur ;
ensuite, la tentative de l'auteur de simplifier notre conception du monde arabe ; enfin, le besoin de comprendre la relation entre la société et le régime des tyrans. Ce dernier point, profondément d'actualité, reste à élucider, selon lui : comment, dans le monde arabe, des régimes despotiques peuvent-ils continuer à compter sur de larges soutiens au sein de la population civile ?

Élias Khoury a replacé l'enlèvement et l'exécution de Michel Seurat dans un cadre plus spécifique : celui d'une guerre ouverte d'extermination contre la culture dans le monde arabe de la part des obscurantistes de tout genre. Seurat était un précurseur, le premier d'une longue liste de victimes parmi les intellectuels de gauche dans les années 80... un martyrologue qui se termine par l'assassinat, le 2 juin 2005, de Samir Kassir dans une voiture piégée à Beyrouth.

C'est sur Tripoli, où Michel Seurat avait conduit des recherches comparatives entre les quartiers de Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen dans les années 80, que Nahla Chahal a axé son intervention. Elle a ainsi évoqué l'amitié que le chercheur avait développée pour l'un de ses centres d'intérêt dans la ville, le militant de gauche converti à l'islamisme Khalil Accaoui, liquidé par les services de renseignements syriens alors que Michel Seurat se trouvait toujours en captivité dans la banlieue sud.

Farouk Mardam-Bey, lui, a rendu hommage à « celui qui a nommé l'État de barbarie du nom qui lui convient ». Évoquant la synthèse opérée par Seurat entre la pensée d'Ibn Khaldoun, de Hannah Arendt, Leo Strauss, Pierre Clastres, Gilles Deleuze et Félix Guattari, il a reconnu que les « meilleures analyses du système de domination des Assad » depuis la révolution syrienne de 2011 se sont « spontanément inscrites (...) dans le sillage de Michel Seurat ». M. Mardam-Bey a enfin établi le lien entre Michel Seurat et son ami Samir Kassir, assassiné en 2005 « pour avoir dénoncé » une barbarie qui n'a que faire de l'être humain, au Liban comme en Syrie, à Beyrouth comme à Alep...

Le débat qui a suivi a révélé combien le lectorat syrien présent dans la salle découvrait la puissance d'une analyse lui permettant de saisir, à son tour, toute la perverse complexité des mécanismes de domination assadiste, révélée par un jeune Français né à Tunis et mort dans un cachot à Beyrouth par amour pour l'Orient...

Ou comment la traduction en arabe vient enfin rendre justice à Michel Seurat – ce héraut avant-gardiste dans la dénonciation de « l'État de Barbarie » et de ses crimes – pour transmettre sa pensée, trente ans plus tard, à ceux à qui elle devait appartenir déjà depuis si longtemps : les peuples arabes sacrifiés sur l'autel d'une barbarie toujours impunie.

 

Pour mémoire

L'État de barbarie persiste et signe

Leila Seurat, « le cheval, une leçon de vie »

Le recueil d'articles sociopolitiques de référence, Syrie : l'État de Barbarie, dont l'auteur, Michel Seurat, a payé le prix de sa vie en 1985, vient d'être traduit en arabe, permettant enfin à plusieurs générations de non-francophones, notamment syriens, de découvrir à quel point cet ouvrage, pourtant vieux d'une trentaine d'années, reste incontournable pour comprendre les structures...

commentaires (4)

La troisième question soulevée sur le comment ces despotes continuent à compter sur de larges portions de leurs populations civiles est la plus fascinante et encore d'actualité aujourd'hui! C'est simple: "régime de terreur sournois: tu ne rentres pas dans les rangs et critiques, tu disparais, tu montres patte blanche et même tu collabores, tu pourrais être récompensé, promu, socialement et pécuniairement ". Les plus honnêtes, les plus courageux, les intellos, ceux-là ne sont plus là et ont seulement légué aux générations futures un héritage culturel merveilleux autour duquel on fait des tables rondes actuelles... Mais pensez-vous que quelque chose va changer dans notre monde Arabe, encore tribal, sclérosé, primaire, sectaire, confessionnel de sitôt? On ne perd rien de rêver!

Saliba Nouhad

18 h 20, le 21 avril 2017

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Commentaires (4)

  • La troisième question soulevée sur le comment ces despotes continuent à compter sur de larges portions de leurs populations civiles est la plus fascinante et encore d'actualité aujourd'hui! C'est simple: "régime de terreur sournois: tu ne rentres pas dans les rangs et critiques, tu disparais, tu montres patte blanche et même tu collabores, tu pourrais être récompensé, promu, socialement et pécuniairement ". Les plus honnêtes, les plus courageux, les intellos, ceux-là ne sont plus là et ont seulement légué aux générations futures un héritage culturel merveilleux autour duquel on fait des tables rondes actuelles... Mais pensez-vous que quelque chose va changer dans notre monde Arabe, encore tribal, sclérosé, primaire, sectaire, confessionnel de sitôt? On ne perd rien de rêver!

    Saliba Nouhad

    18 h 20, le 21 avril 2017

  • IL EST FINI...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 24, le 20 avril 2017

  • ca sent la fin pour le clan assad et ses semblables

    George Khoury

    07 h 32, le 20 avril 2017

  • Tout le monde sait qu'à l'époque de l'enlèvement de Michel Seurat, "Jihad islamique" était le pseudo du Hezbollah.

    Yves Prevost

    07 h 17, le 20 avril 2017

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