Au moins maintenant les choses sont claires. Les États-Unis ont reconnu jeudi ne plus faire une priorité du départ du président syrien Bachar el-Assad. C'est la première fois que l'administration Trump s'exprime aussi explicitement sur le sujet, par le biais du secrétaire d'État Rex Tillerson et de l'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley. Cette dernière a affirmé jeudi vouloir travailler avec des pays comme la Turquie et la Russie pour trouver une solution politique de long terme en Syrie, plutôt que de se focaliser sur le sort du président syrien. Sur le fond, ces déclarations ne marquent pas une réelle rupture avec la position de l'administration Obama. Même si celle-ci continuait de réclamer le départ de M. Assad à moyen terme, elle n'en faisait plus sa priorité stratégique en Syrie au moins depuis l'été 2014.
C'est à partir de cette date que les Américains se sont essentiellement impliqués dans la lutte contre l'État islamique dans l'Est syrien, en prenant la tête de la coalition internationale. S'ils ont essayé, dans le même temps, de trouver un terrain d'entente avec les Russes pour relancer les négociations diplomatiques, ils n'ont jamais semblé être prêts à faire pression pour obtenir le résultat espéré, ou s'engager davantage aux côtés de l'opposition armée pour rééquilibrer le rapport de force entre les belligérants. Washington a au contraire laissé Moscou prendre le leadership du jeu diplomatique, consolidant ainsi les positions du régime syrien.
(Repère : Conflit syrien : la position américaine depuis 2011)
Les récentes déclarations constituent, en somme, une officialisation de la position américaine. Avec toutefois une inflexion non négligeable, au moins sur la forme, puisque Washington utilise désormais la rhétorique de Moscou, laissant au « peuple syrien » le soin de régler la question du sort de Bachar el-Assad. L'administration Trump fait comprendre, sans ambiguïtés, qu'elle va laisser les coudées franches à Moscou pour trouver une issue au conflit syrien.
Mais ce repositionnement ne permet pas d'éclaircir toutes les zones d'ombre de la nouvelle politique américaine en Syrie. Comment l'administration Trump entend concilier ses nouvelles positions avec sa volonté d'endiguer l'influence iranienne au Moyen-Orient, alors que Téhéran coopère étroitement avec Moscou sur le terrain syrien ? Ou encore, comment travaillera-t-elle avec « Ankara pour trouver une solution à long terme », tout en soutenant les Kurdes syriens du parti de l'Union démocratique (PYD), pourtant considérés comme un groupe terroriste par la Turquie ?
Redevenir audible
La clarification américaine a le mérite de mettre fin à une situation où Washington demandait le départ d'Assad sans se donner les moyens de l'obtenir. Elle ouvre la voie à une redéfinition plus générale de la stratégie des Occidentaux en Syrie, forcés de constater que Bachar el-Assad a renversé la situation en sa faveur, grâce au soutien de Moscou et de Téhéran. Le chef de la diplomatie française Jean-Marc Ayrault a d'ailleurs emboîté hier le pas à son homologue américain, sans toutefois aller aussi loin.
« Si certains veulent à tout prix qu'on place le débat sur "Est-ce que l'on garde Assad ou est-ce que l'on ne garde pas Assad", ce n'est pas comme cela que la question se pose », a estimé M. Ayrault, tout en ajoutant qu'« il n'imaginait pas l'avenir de la Syrie avec M. Assad à sa tête ».
(Lire aussi : Pourquoi Ankara met fin à son opération en Syrie)
Le changement de ton s'explique par une volonté de retrouver une politique lisible et de redevenir audible auprès des autres interlocuteurs. « La France a besoin d'avoir une position opérationnelle et de se redonner des objectifs atteignables, tout en évitant le grand mouvement pendulaire qui nous ferait passer d'une position anti-Assad à une position pro-Assad », résume une source bien informée. Le fait de se focaliser sur la question du sort de M. Assad a sans doute contribué à bloquer l'avancée des négociations tant les parrains du régime se sont jusqu'à maintenant montrés intransigeants sur cette question. « Les Russes ne veulent pas parler du départ d'Assad. Alors il faut leur parler "peace building", élections, gouvernement d'union nationale et retour des réfugiés », précise la source.
Si les Américains semblent vouloir se désengager, la France cherche au contraire un moyen de revenir dans le jeu.
Cette double inflexion fait incontestablement le jeu de Moscou, et par conséquent de Damas, qui a réussi à imposer ses conditions de négociations aux autres acteurs, non seulement aux Occidentaux, mais aussi aux Turcs. Les Russes capitalisent aujourd'hui sur le fait d'avoir établi une vraie stratégie en Syrie, contrairement aux Occidentaux. Moscou semble toutefois incapable, pour l'instant, d'imposer une solution politique à tous les belligérants. Il n'a pas de plan de sortie. Et cela, avec ou sans Bachar el-Assad...
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commentaires (11)
CHANGER DE TON N,EST PAS CHANGER DE BUT ! C,EST ACHEVER SON OBJECTIF PAR D,AUTRES METHODES...
LA LIBRE EXPRESSION
11 h 15, le 02 avril 2017