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Culture - Journée de la femme

Pour qu’elles fassent toutes entendre leur voix

Dans « Sawti » (Ma voix), performance chorégraphiée et interprétée par Yolla Khalifé, Souraya Baghdadi et Nadra Assaf, tissée par la suite par Chadi Zein, sur la musique de Rami Khalifé, les trois artistes ont exprimé, avec le corps, tous leurs émois, leurs craintes et leur parcours de femmes. Portraits.

Souraya Baghdadi, Yolla Khalifé et Nadra Assaf : trois femmes qui se cherchent, se retrouvent et s’affirment. Photo Samer Beyhum

Yolla Khalifé a été pétrie dans le chant et la musique, un legs qu'elle a transmis (avec son époux Marcel Khalifé) à ses enfants Rami et Bachar. Depuis 1978, elle est l'interprète principale de l'ensemble al-Mayadine qui accompagne ce dernier. Du festival de Fez à Washington en passant par ceux de Tyr, Beiteddine ou encore Berlin et Bruxelles, elle traîne sa voix chaleureuse et pleine de lumière. On l'a même vue chanter en solo dans le film de Hala al-Abdalla Don't forget the cumin. Depuis, Yolla Khalifé est ouverte à tous les projets qui l'aident à exprimer son entité et « à préserver son soi ».

Pour elle, si les hommes et les femmes font face à un tas de problèmes dans le monde arabe, les filles d'Ève sont doublement moins libres et n'arrivent pas à accéder à leurs rêves. Enchaînée par des interdits de tout genre, la femme a une tâche difficile à assumer : son intérieur qu'elle gère souvent seule, et l'extérieur qu'elle voudrait sonder par ses propres moyens. « Car, poursuit la chanteuse, ce Moyen-Orient est plein de ressources et de richesses et je ne regrette pas un jour d'être née dans cette part du monde, sachant que la bataille est plus rude pour le genre féminin afin de se tailler une place au soleil. Nous devons avoir les mêmes opportunités de travail que les hommes car nous avons une sensibilité plus poussée qu'eux, ce qui nous permet de mieux comprendre le monde et mieux l'appréhender. »

Interrogée sur l'étape la plus difficile qu'elle ait jamais eu à vivre durant son parcours, Yolla Khalifé répond qu'elle vibre à tout ce qui l'entoure. « J'ai donc connu des périodes joyeuses et d'autres plus pénibles comme les départs, les deuils... Mais je sais que la femme renaît à nouveau et à chaque instant. Une fois l'épreuve dépassée, elle a encore plus d'énergie pour affronter la vie. Il suffit qu'elle soit soutenue par l'amour. »

 

(Lire aussi : Rencontres avec elles)

 

Non pas paraître, mais être
Nadra Assaf, elle, a obtenu son certificat de danse du Collège Sarah Lawrence et un doctorat d'éducation à l'Université Leicester. Elle enseigne la danse à la Lebanese American University (LAU) depuis 1991. Elle compte, parmi ses récentes performances, INFLUX en 2015 et This. Is. How ? It. Happened en 2016. Fondatrice et directrice artistique d'al-Sarab, école de danse alternative depuis 1991, elle a organisé et établi la Journée de danse internationale au Liban. Pour Assaf, la femme représente « la vie et la force » bien que toujours brimée, et cela dans le monde entier.

« J'ai 54 ans et la vie n'a pas toujours été clémente pour moi. Divorcée dans la trentaine, je considère que c'était l'étape la plus difficile de ma vie. Comme un blues. J'ai dû me battre toute seule, dans un monde cruel. Mais, reprend-elle, j'ai réussi à éduquer mon enfant et à me relever toute seule. Tout cela grâce à mon père qui tenait à ce que je poursuive de hautes études. » Et d'ajouter : « Le travail est donc essentiel pour la femme afin qu'elle retrouve à elle seule ses propres armes et son identité, sans avoir besoin de personne. L'âge ne me fait pas peur. Au contraire, aujourd'hui je me sens plus forte encore, riche de mes expériences précédentes. » D'ailleurs, dans la performance Sawti, Nadra Assaf incarne la femme solide qui retombe toujours sur ses pieds. Et de conclure : « Il faut d'abord que celle-ci apprenne à avoir l'estime d'elle-même afin de gagner l'estime des autres. »

 

(Lire aussi : Mireille Aoun Hachem, le cœur et la raison...)

 

Les petites guerres d'une voix
Souraya Baghdadi a appris durant sa vie à maîtriser le mouvement, à traduire le geste. Danseuse et chorégraphe, elle débute sa carrière en 1975 avec la troupe Caracalla et effectue durant huit ans des tournées mondiales. En 1981, elle joue dans le film de Maroun Baghdadi Little wars, qui fut sélectionné à Cannes. Diplômée en architecture d'intérieur de l'Université de Kaslik, Souraya Baghdadi s'installe à Paris en 1984 où elle étudie la danse contemporaine à l'école Peter Goss. Elle créera plus tard sa propre école de danse orientale où elle explore et revisite le mouvement « oriental », et y produit des spectacles avec sa troupe Burak & Co. Elle lancera même des ateliers concernant ce sujet. Par ailleurs, elle vient de créer à Paris un spectacle intitulé Epokepic qui débute par 7 femmes sur un radeau à la dérive, en rupture avec leurs existences et à la recherche de leur singularité. Avec Sawti, c'est un peu le diptyque et la continuation. L'artiste se dit ravie d'accompagner ces deux bébés vers plus de visibilité.

Que représente pour Souraya Baghdadi le fait d'être une femme ? « Je suis femme, tout simplement, inconsciemment et par essence, par mon plaisir, mon corps, ma forme. C'est en fait le principe féminin en moi qui donne forme. » Avec le temps et la maturité, Baghdadi dira avoir fait connaissance avec son « essence masculine », ce qui l'a rendue de moins en moins féministe, allergique à tout asservissement ou domestication d'un sexe par un autre. « Je suis soucieuse de préserver à chacun sa spécificité propre, ce qui au fond me ravit. » La complémentarité pouvant s'actualiser en fait dans un même être. L'artiste avoue être pour le combat et la résistance de la femme, « pourvu qu'il commence avec elle-même ». « Je ne perçois plus les êtres selon leur sexe, dit-elle, mais dans le rapport que chacun entretient avec son masculin et son féminin, lesquels, pour moi, représentent les rivages intimes et fertiles de nos fragilités qui sont nos forces de croissance. »
Questionnée sur l'égalité des sexes dans le milieu professionnel, Baghdadi répondra : « Je ne suis nullement dans la surenchère des sexes. Prouver que la femme peut mieux faire qu'un homme, je n'en vois pas l'intérêt car je crois profondément à l'amour selon Alain Badiou, pour qui cette rencontre entre deux êtres et l'appréhension du monde est plus intéressante. » « J'aime questionner la notion de liberté, dira-t-elle encore. À mon avis, une petite victoire peut souvent apporter une grande sensation de liberté alors qu'une totale liberté peut être vertigineuse et fatale. »

« Ma féminité, conclut Souraya Baghdadi, c'est cette grande perméabilité qui reconnaît dans les épreuves les potentialités de grandir, de repousser les limites, de se laisser ensemencer par les germes du futur. Je ne serais pas là où je suis aujourd'hui sans ces épreuves. Certaines femmes se retrouvent dans le combat, d'autres dans les épreuves qu'elles subissent. L'important, c'est d'en faire quelque chose, d'en saisir le sens et de les transformer. »

 

 

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“Le bonheur est une femme.” de Friedrich Nietzsche

FAKHOURI

08 h 55, le 08 mars 2017

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Commentaires (1)

  • “Le bonheur est une femme.” de Friedrich Nietzsche

    FAKHOURI

    08 h 55, le 08 mars 2017

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