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Culture - Spectacle

Ali Chahrour danse la tristesse d’Ishtar et sa liberté retrouvée

Après « Leïla se meurt », en 2015, et « Fatmeh », en 2014, le jeune danseur et chorégraphe Ali Chahrour, gagnant du 2e prix L'OLJ-SGBL de la première saison de Génération Orient, clôt sa trilogie et présente son nouveau spectacle, « May He Rise and Smell the Fragrance », sur les planches du théâtre al-Madina*.

« Dans ma famille, les hommes meurent tôt et les femmes leur survivent avec dignité et maîtrise de soi. » Photo Nadim Asfar

Ali Chahrour a 27 ans. Le jeune danseur et chorégraphe libanais basé à Beyrouth, qui a gagné le 2e prix L'OLJ-SGBL de la première saison de Génération Orient, confirme, une fois de plus, son attrait pour les grandes figures féminines.

Après ses pièces sur le thème du deuil et des rituels chiites – Leïla se meurt, ou l'histoire d'une pleureuse, et Fatmeh, la fille du prophète Mohammad qui pleure la mort de son père –,
il aborde, encore une fois, la thématique de la mort et tous les rituels funéraires qui l'accompagnent. Pour lui, ils sont l'apprentissage du renoncement et permettent de ressentir ce que le changement ou la perte suscitent. Ils déclenchent une lourde charge émotive et leurs pratiques aident à donner forme à cette émotivité. C'est à travers ces rituels que les hommes canalisent leur désarroi et leurs souffrances et tentent, même en vain, de chercher un sens aux événements, ce qui leur permet de ne pas se sentir totalement impuissants et de déclencher une dynamique : celle du « vouloir-vivre ».

Le titre de ce troisième opus, May He Rise and Smell the Fragrance, est une phrase prononcée par Ishtar, déesse de la vie et de la fertilité dans la mythologie babylonienne, mais aussi de l'amour physique et de la guerre. Elle est décrite comme une déesse impitoyable qui pouvait tuer ses ennemis, comme ses amis, ou ses amants. Le plus célèbre d'entre eux a été Tamouz, son époux.

 

Le drame en elle
Ishtar descend aux enfers pour retrouver sa sœur. Quand celle-ci lui interdit de remonter chez les vivants, Ishtar implore l'intervention de son père le Dieu du ciel. Celui-ci ordonne que l'on redonne vie à Ishtar. Il faudra cependant trouver un remplaçant. De retour chez les vivants, Ishtar retrouve son bien-aimé Tamouz enjoué et confortablement installé sur une estrade majestueuse, dénigrant son absence. De nature vindicative, elle lui imposera un exil en enfer. Sa mort symbolise l'arrivée de l'été brûlant et de la sécheresse mais il ressuscite cependant au début de chaque printemps et son retour symbolise le renouveau de la vie et la réapparition de l'abondance. May He Rise and Smell the Fragrance achève la trilogie entamée par Ali Chahrour avec ses deux précédents spectacles et honore une fois de plus les femmes. « J'ai grandi dans un milieu matriarcal, où les femmes sont dotées d'une force de caractère, assument leur indépendance et leur appartenance religieuse sans toutefois sombrer dans le fanatisme. Elles m'ont ouvert les yeux sur le pouvoir des femmes face aux hommes. » Et d'ajouter : « Dans ma famille, les hommes meurent tôt et les femmes leur survivent avec dignité et maîtrise de soi. »

Pour le rôle principal, Ali Chahrour a choisi l'actrice et chanteuse Hala Omran, qu'il initiera à l'art de la danse. « Il n'est pas important de savoir danser pour adhérer à mon univers. Ce n'est pas la manière dont les danseurs évoluent sur scène qui compte, mais ce qui les anime et les fait bouger. » Dans sa chorégraphie, il placera volontairement l'actrice principale au-devant de la scène. Avec sa voix puissante et sa présence majestueuse, elle possède le drame en elle et une capacité à perpétuer la mémoire des morts dans une ultime pulsion de vie. Sans être féministe, Ali Chahrour avoue avoir un grand respect pour les femmes. Pour lui, la différence entre l'homme et la femme est une réalité indéniable.

 

La mère de Abdallah
L'artiste déplore l'absence de représentations concernant la mémoire collective, sur les scènes du monde arabe, une lacune sans doute due à la peur de l'outrage ou à l'atteinte au sacré. Alors comment faire de la danse contemporaine à Beyrouth, tout en restant fidèle aux traditions et aux coutumes de sa religion ? Comment le corps et l'esprit peuvent t-ils faire abstraction de tous les acquis du monde occidental ? Comment utiliser, sur scène, une mémoire collective relative aux rites et aux légendes, comment danser les larmes de Fatmeh, la douleur de Zeynab, ou la souffrance de Ishtar et utiliser ce matériel, à charge émotionnelle si puissante, pour le transformer en art, sans profaner le sacré et porter atteinte à l'essence de la religion ? Comment parler des femmes sans la perpétuelle crainte de toucher à des icônes ?

« C'est pour cette raison, affirme Ali Chahrour, que j'ai décidé de rester dans mon pays et d'utiliser toutes les références liées à la mémoire collective et de mener ce combat. Pour moi, la mère de Abdallah qui pleure son enfant mort est toutes les femmes avant d'être la femme de Hussein, figure emblématique de l'islam. »
Célébrer la mort, c'est célébrer la vie, et plutôt que de se tourner vers Phèdre ou Antigone, Ali Chahrour revendique son appartenance, ses origines et le passé de ses ancêtres. Dans sa performance, seules les souffrances des femmes et des hommes qui ont jalonné son histoire animent le mouvement jamais soumis à la technique mais à la seule mémoire du corps.

*May He Rise and Smell the Fragrance, au Théâtre al-Madina, du 16 au 19 février 2017. Billets en vente à la librairie Antoine.

Fiche technique
L'Orient-Le Jour est partenaire média de May He Rise and Smell the Fragrance, spectacle chorégraphié par Ali Chahrour (2e prix L'OLJ-SGBL de la première saison de Génération Orient) et dansé avec Hala Omran. Les costumes sont signés Rayya Morkos, créatrice de mode qui faisait partie de la saison 1 de Génération Orient. La dramaturgie est réalisée par Junaid Sarieddine. La musique est composée et jouée sur scène par Two or the dragon/ Ali Hout et Abed Kobeissy. Lumière: Guillaume Tesson. Son : Khayam al-Lami. Calligraphie : Ali Ceblany. Graphisme: Nadine Helwi. Communication : Ziyad Ceblany.

Paradoxes féminins
Les sources mésopotamiennes nous présentent une image complexe et apparemment contradictoire de la déesse Ishtar. D'un côté, elle était la
reine des cieux assise sur un trône avec une bordure d'étoiles. Mère des hommes, mère compatissante, de celles qui donnent naissance. Elle était la Pure, la Sainte, l'Innocente, la Sage, une épouse voilée, dont les caractéristiques étaient liées à la pureté, la chasteté, la prudence, et la très grande beauté. Par ailleurs, elle apparaît aussi comme une sorcière, une prostituée et une maquerelle à la tête d'un troquet ou d'un bordel.
On la rapproche d'Aphrodite qui, elle aussi, a une personnalité ambiguë, sexuelle et ouranienne, de par sa naissance des écumes, et céleste de par sa naissance divine quand Zeus s'accoupla à Dionée.

 

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commentaires (2)

JE ME DEMANDE...

LA LIBRE EXPRESSION

15 h 33, le 09 février 2017

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Commentaires (2)

  • JE ME DEMANDE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 33, le 09 février 2017

  • je me pose la question suivante un chorégraphe est celui qui a des idées philosophiques? ou quelqu'un qui a de bonnes idées? honnêtement je suis un peu perdue. Donc la danse c'est ça maintenant. oui je suis complètement décalée et ringarde. J'ai vraiment raté le train...

    Massabki Alice

    11 h 50, le 09 février 2017

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