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Liban - Télécoms

Fermer sa ligne téléphonique, un message citoyen aux autorités

Le mode d'organisation des initiatives qui ont déclenché la campagne de protestation du dimanche 8 janvier est encore flou. Des noms émergent déjà.

C'est autour de deux hashtags différents rédigés en libanais « Sakker Khattak » (ferme ta ligne) et « Ra7 sakker khatté » (je vais fermer ma ligne) que se sont mobilisés dimanche de nombreux utilisateurs de téléphonie mobile au Liban. Répondant aux différents appels lancés sur Facebook et Twitter à boycotter les deux grands opérateurs de téléphonie mobile (MIC1 et MIC2, alias Alfa et Touch) pour leur politique abusive à l'égard du citoyen, ils ont carrément éteint leurs téléphones portables durant la totalité de la journée, ou mis leurs appareils en mode avion. L'objectif étant de faire part du mécontentement du citoyen, en occasionnant par le fait même des pertes financières, sinon un manque à gagner aux opérateurs. Le mouvement a été tel, qu'il a créé le buzz sur les réseaux sociaux, suscitant des réactions en chaîne, positives certes, ironiques parfois, mais initiant surtout un véritable débat sur les tarifs pratiqués par l'État. Et ce malgré le flou sur l'identité des organisateurs, ou les accusations d'infiltration politique de la campagne, lancées ici ou là. Au point que les deux ministres des Télécoms, le nouveau ministre, Jamal el Jarrah, et le ministre sortant, Boutros Harb, se sont hâtés d'intervenir, l'un promettant d'étudier le dossier dans les plus brefs délais, dans l'objectif d'envisager une baisse des tarifs, et l'autre assurant qu'il a en vain tenté de baisser les prix, durant son mandat.

Prise de conscience du citoyen
« J'ai fermé ma ligne téléphonique toute la journée de dimanche et j'ai survécu. » C'est ainsi qu'Albert Moukheiber, neuropsychologue pratiquant en France, raconte à L'Orient-Le Jour sa participation au mouvement citoyen. « Le prix des communications téléphoniques est vertigineux, surtout comparé aux tarifs pratiqués à l'étranger », constate-t-il. Mais ce qui exaspère encore plus cet abonné, c'est l'obligation de recharger mensuellement sa carte prépayée, même créditrice. « Partout au monde, il existe ce qu'on appelle une période de grâce, sauf au Liban où la ligne est brûlée au bout d'un mois », déplore-t-il. C'est aussi la légèreté avec laquelle les responsables traitent le dossier. « Le ministre Jarrah s'est permis de dire que les lignes téléphoniques ne nous appartiennent pas », poursuit M. Moukheiber. Le jeune homme ne s'est pas posé de questions, il a adhéré au mouvement, de même que nombre de ses amis, leurs parents aussi, malgré les réserves de certains. « C'est une excellente alternative aux manifs, une autre forme de résistance militante, où le citoyen prend conscience que le système dépend de lui. » Alors, peu importe qui est à l'origine de la campagne. « Je sais qu'elle est née d'un quiproquo, affirme-t-il. Mais ce n'est pas plus mal, car ce qui compte, c'est la conviction. »

Geoges Tyan, directeur de banque, ne s'est pas posé de question, non plus. « Les tarifs du téléphone cellulaire sont très chers, la 4G ne fonctionne jamais, la connexion est mauvaise et de nombreuses régions sont mal desservies », observe-t-il. Alors, il n'a pas hésité. Il a fermé son portable et l'a même annoncé sur FB. Le mouvement aboutira-t-il ? Il n'en sait rien. « Mais au moins, peut-il servir de message au nouveau ministre qui doit prendre ses responsabilités. »

Consciente que ce mouvement citoyen pourrait ne pas aboutir, vu les réactions contradictoires qu'il a suscitées, Oubaida Hanna, une étudiante de 23 ans, persiste et signe. La campagne aura au moins réussi à lancer le débat. « J'ai fermé ma ligne téléphonique par conviction et je le referai la prochaine fois s'il le faut », martèle-t-elle. « Pourquoi dois-je recharger ma carte téléphonique, même si je n'ai pas épuisé toutes mes unités ? » Même son de cloche de Moustapha Khazaal, responsable IT au sein d'une entreprise, qui se considère comme « une voix de plus ». « J'ai fermé ma ligne téléphonique face à la corruption et contre toute la politique tarifaire pratiquée par l'État, rien que pour faire parvenir le message », lance-t-il.

 

Le soutien du collectif « Vous puez »
Ces témoignages parmi tant d'autres relatent le ras-le-bol des abonnés au sujet de la téléphonie mobile. Un ras-le-bol qu'ont réussi à saisir les organisateurs du mouvement, à le concrétiser, ce dimanche 8 janvier. Un ras-le-bol que partagent aussi les militants de la société civile, membres du collectif « Vous puez », Wadih el-Asmar, cofondateur du Centre libanais pour les droits de l'homme (CLDH), et le réalisateur Lucien Bourjeily. « Notre collectif soutient cette initiative citoyenne, même si son mode d'organisation est encore flou, assure M. Asmar. C'est une bonne initiative de rappeler à l'État qu'il devrait baisser les prix de la téléphonie mobile et revoir les conditions des cartes prépayées. » De son côté, M. Bourjeily qui déclare avoir fermé sa ligne téléphonique, au même titre que sa mère et ses amis, assure que l'union fait la force. « Ce mouvement est citoyen. Parmi ses membres, je reconnais nombre de militants qui ont manifesté dans la rue avec nous », se rappelle-t-il. Le jeune réalisateur est convaincu qu'en joignant leurs efforts, les citoyens-militants feront parvenir le message aux autorités. « Les factures de téléphonie sont tellement exhorbitantes, qu'elles brisent l'échine. »

Mais qui sont-ils, ces initiateurs du mouvement ? Et que réclament-ils ? À l'origine du hashtag « Sakker Khattak », Abbas Zahri, membre du Hezbollah, ne cache pas son appartenance au parti de Dieu. « Cela doit-il m'empêcher d'avoir des revendications citoyennes ? » demande à L'Orient-le Jour ce militant de la société civile, qui a activement participé aux mouvements de protestation liés à la crise des déchets, en 2015. « Le parti n'a rien à voir avec cela. D'ailleurs, ce n'est pas ainsi qu'il agit », assure-t-il. L'idée d'un mouvement contre les compagnies de téléphonie mobile germait déjà en octobre. « J'ai décidé de le reporter suite à l'élection présidentielle », avoue-t-il. Au passage, il a pris connaissance d'un mouvement parallèle, « Rah Sakker Khatté », qui avait l'intention de mener également campagne.
C'est ainsi que les deux mouvements ont joint leurs efforts, dimanche dernier, sans pour autant se connaître, forts de leurs revendications communes : annuler l'obligation de recharge mensuelle de la carte prépayée, annuler la charge de 4 dollars liée à l'identification du correspondant qui appelle, et enfin, réduire le tarif de la minute ou de la communication. Seule ombre au tableau, deux personnes affirment aujourd'hui être à l'origine du hashtag « Rah sakker khatté », Ali Hawili et Firas Bou Hatoum. D'autres noms émergent aussi. Mais déjà, Abbas Zahri et Ali Hawili attendent d'être reçus par le ministre des Télécoms, tout en préparant ensemble la prochaine campagne. Affaire à suivre.

 

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