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Liban - Avortement au Liban

« Je ne voulais vraiment pas être maman à 21 ans ! »

Au Liban, l'interruption volontaire de grossesse est illégale. Ce qui n'empêche pas que des femmes y aient recours – dans des proportions inconnues faute de statistiques –, soit par automédication, soit via un gynécologue acceptant de pratiquer l'IVG. Pour avoir une vision d'ensemble de la question, nous avons recueilli le témoignage d'une jeune femme qui, à 21 ans, a décidé de se faire avorter et celui d'un gynécologue pratiquant l'IVG. Nous avons également regardé ce qui est dit sur le sujet du côté de la religion et de la loi.

Illustration Ivan Debs

Les mots sont jetés, d'emblée, comme une indispensable introduction : « Je ne voulais vraiment pas être maman à 21 ans ! » C'est ainsi qu'Andréa* revient sur le jour où elle a décidé d'interrompre sa grossesse. Aujourd'hui, cette jeune femme de 26 ans qui travaille dans une organisation internationale veut parler de son expérience parce qu'elle « en a ras le bol que les gens pensent que ça n'arrive qu'aux autres ».

Son histoire a commencé à la fin des vacances, il y a cinq ans. « Je venais de finir l'université et je savais que j'allais bientôt entrer dans la vie professionnelle, raconte-t-elle. Cet été-là, j'étais au summum de l'insouciance, je n'avais ni travail ni études. » Elle fronce les sourcils et précise : « Cela ne veut pas dire que je suis quelqu'un d'insouciant. J'ai toujours pris mes précautions. Mais les accidents arrivent... »

Début septembre, Andréa est censée avoir ses règles. Mais ce n'est pas le cas. « Je me suis dit que ce retard était dû au changement de rythme, aux voyages, à l'euphorie. J'en avais déjà eu, des retards. » Mais au bout d'une semaine, elle demande à son petit ami de lui acheter un test de grossesse. « Il était hors de question que j'affronte le regard du pharmacien », dit la jeune femme. L'angoisse monte encore d'un cran. « Pour me calmer, je me disais que les précédents tests que j'avais faits par le passé avaient toujours été négatifs, raconte-t-elle. Puis je me souvenais de mes derniers rapports sexuels et m'inquiétais à l'idée que je n'avais peut-être pas fait assez attention. »

Le résultat tombe, comme un coup de massue : le test est positif. Un second test, le lendemain matin, confirme le premier verdict. « Mon copain m'a prise dans ses bras. J'étais partie dans un rire nerveux. Nous nous sommes demandé quoi faire maintenant. » Pourtant, les deux connaissent déjà la réponse : il faut interrompre la grossesse. « Je me souviens qu'à ce moment-là je me suis dit : je rejoins le clan de ces filles que je connais et qui sont tombées enceintes par accident. »

« J'imaginais le sang couler à flots »
Rapidement, Andréa contacte des amis pouvant la conseiller. « Une amie, qui était passée par là, m'avait parlé d'une pilule "magique" et pas chère. Quand je lui ai demandé quoi faire, elle m'a répondu : "Cytotec". Le nom de la pilule à prendre. Andréa obtient aussi le numéro d'un gynécologue qui pratique des avortements clandestins.
Durant toute une matinée, Andréa fera avec son petit ami le tour des pharmacies beyrouthines. Aucune n'acceptera de leur vendre la pilule. Le couple finit par se rendre chez un médecin de village et lui paye 10 000 LL pour la prescription. Mais une fois la pilule entre les mains, Andréa est prise de panique. « J'avais déjà fait mes recherches. Je savais que je risquais de faire une hémorragie. C'était horrible, je n'arrêtais pas de m'imaginer dans la salle de bains, le sang coulant à flots entre mes jambes. »

Andréa marque une pause, puis reprend : « J'ai décidé d'aller chez le gynécologue même si on m'avait prévenue que ça risquait de coûter cher. » Le rendez-vous est fixé pour le lendemain. « J'avais l'impression qu'une chape de plomb pesait sur moi. Aujourd'hui, avec le recul, je me demande comment j'ai pu rester calme devant mes proches et agir comme si de rien n'était. » Et de poursuivre : « Le pire, c'est que je ne savais même pas de combien de jours j'étais enceinte. Et si c'était déjà trop tard ? »
La veille de son rendez-vous chez le gynécologue, Andréa est au bord de la panique. « Je me souviens avoir dit à mon copain que j'avais l'impression qu'une chose était en train de grandir en moi. J'avais l'impression que chaque jour qui passait était un mois qui venait de s'écouler. »

« Un sac »
Le jour de la visite, Andréa ne s'en sort plus avec tous les sentiments et pensées contradictoires qui l'assaillent. « Pendant l'échographie, je me disais que des femmes donneraient tout pour vivre cette expérience alors que pour moi c'était un cauchemar. Je me disais que ce n'était qu'un petit truc, un point que je devais enlever avant que je ne tombe vraiment enceinte. Les gens peuvent dire que c'est n'importe quoi et philosopher sur la vie, l'âme, l'embryon, mais ce n'était pas le moment pour moi. Dans ma tête, l'équation était simple : je ne voulais pas être maman maintenant. »

L'embryon, le gynécologue l'appelle « le sac ». « Ça m'a fait bizarre, mais ça m'a aussi rassurée », reconnaît Andréa. Le médecin lui prescrit du Cytotec et lui explique comment le prendre, par voie vaginale.
Andréa s'arrête un instant. « Je ne me souviens plus très bien des détails de cette partie-là. Je sais juste que trois soirs durant, j'ai introduit les pilules, porté une grosse serviette hygiénique, posé une serviette sous moi, serré contre moi un coussin et guetté la montre », résume-t-elle. Une amie lui a dit qu'elle devrait sentir des contractions et perdre du sang 30 minutes après l'administration de la pilule. « Pendant ces longues minutes, j'avais peur, mais en même temps, je voulais en finir. » Mais il ne se passe rien. Elle fera trois tentatives, trois soirs de suite. En vain.
« Je crois que j'ai besoin d'une pause », dit la jeune femme en passant la main dans ses cheveux. Elle allume une cigarette et, pendant un moment, suit du regard la fumée. « Je ne pensais pas pouvoir me souvenir de chaque détail de cette histoire, confie-t-elle en tentant de cacher une larme. Après tout ce temps ! »

« Je fixais le plafond »
Deuxième rendez-vous chez le gynécologue. « Il m'a confirmé que le médicament n'avait eu aucun effet sur moi et qu'il fallait procéder à l'aspiration. Malgré la gentillesse du gynécologue, je me suis mise à douter : et si ce n'était qu'une arnaque? Je regardais son bureau, à la recherche de quelque chose qui pourrait me rassurer, un diplôme, une photo... Je ne trouvais rien. »

Elle décide néanmoins de s'en remettre à lui. « Je me suis installée, à moitié dévêtue, et je l'ai laissé faire. Je ne savais pas vraiment ce qui se passait entre mes jambes, il changeait d'instrument de temps à autre, mais moi je fixais le plafond. Je fermais fort les yeux quand je sentais quelque chose, mais je ne sais plus vraiment ce que je sentais, confie-t-elle d'une voix blanche. Ce n'était pas vraiment douloureux, plutôt inconfortable. » Elle reprend : « Au bout de quelques instants, alors que je croyais que c'était fini, j'ai vu sur l'échographie que l'embryon était toujours là. J'étais au bord des larmes. Et le médecin ne m'expliquait rien. »

L'opération lui paraît durer une éternité, alors qu'elle ne prend qu'une quinzaine de minutes. Un quart d'heure pendant lequel la jeune fille se laisse happer par un tourbillon de questions. « Je me demandais ce qu'il allait faire de l'embryon, si j'allais voir quelque chose, à quoi ça ressemblait, si un jour Dieu me punirait, si un jour je regretterais tout ça. » Le gynécologue finit par poser ses instruments. L'opération est finie. « J'ai payé un peu moins de 1 000 dollars et j'ai retrouvé mon copain qui m'attendait dehors. J'ai regardé toutes ces femmes qui patientaient dans la salle d'attente et je me suis demandé si elles avaient traversé la même épreuve ou si elles aussi étaient enceintes. »

Andréa n'a jamais raconté cette histoire à ses proches. « Aujourd'hui, lorsqu'on parle de l'avortement et que je vois leurs réactions, ça me perturbe un peu. Parfois, j'ai envie de lâcher "moi je l'ai fait". Pour qu'ils comprennent que ça peut arriver à n'importe qui, que ce soit par choix ou par obligation. Mais je me contente de leur souhaiter que cela ne leur arrive pas », dit la jeune femme. « Toute cette histoire est du passé aujourd'hui, poursuit Andréa. J'aurais peut-être pu me battre, me marier et me trouver un travail vite fait pour pouvoir garder cet enfant, mais ce n'est pas ainsi que j'imaginais ma vie. » Pendant longtemps, dit-elle encore, elle a vécu dans la crainte de ne plus pouvoir avoir d'enfants. « Mais aujourd'hui, j'ai réussi à me faire une raison. J'ai déjà choisi leurs prénoms », dit-elle en rajustant sa bague de fiançailles, un petit sourire aux lèvres.

*Le prénom a été changé à la demande de la personne interviewée.

 

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commentaires (1)

Je ne dira pas que le cas d'Andréa me laisse insensible, mais il est très différent de celui d'une personne atteinte d'une maladie grave, par exemple. Ce qui fait la dignité de l'homme, c'est le fait d'être responsable de ses actes (même si cette responsabilité n'est jamais de 100%). Andréa est responsable de ce qui l'a conduite à être enceinte. Elle est responsable de son choix d'avorter. Or être responsable, c'est accepter les conséquences de ses actes. Bien entendu, il y a une injustice dans le fait que c'est elle qui supporte tout et non son petit ami, mais - hélas! - c'est la nature et nous n'y pouvons rien.

Yves Prevost

07 h 21, le 23 décembre 2016

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Commentaires (1)

  • Je ne dira pas que le cas d'Andréa me laisse insensible, mais il est très différent de celui d'une personne atteinte d'une maladie grave, par exemple. Ce qui fait la dignité de l'homme, c'est le fait d'être responsable de ses actes (même si cette responsabilité n'est jamais de 100%). Andréa est responsable de ce qui l'a conduite à être enceinte. Elle est responsable de son choix d'avorter. Or être responsable, c'est accepter les conséquences de ses actes. Bien entendu, il y a une injustice dans le fait que c'est elle qui supporte tout et non son petit ami, mais - hélas! - c'est la nature et nous n'y pouvons rien.

    Yves Prevost

    07 h 21, le 23 décembre 2016

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