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Moyen Orient et Monde - Conflit

Quelle diplomatie pour les talibans ?

Le mouvement radical afghan profite de sa forte implantation territoriale et de la menace de l'EI pour tenter d'acquérir une légitimité régionale.

En parallèle de la lutte armée, les talibans soignent leurs relations internationales Noorullah Shirzada/AFP

« La Russie et l'Iran, en légitimant publiquement (les talibans), ne font pas avancer la cause de la stabilité de la région. » Les propos tenus le 2 décembre par le général américain John Nicholson, commandant de la mission de l'Otan en Afghanistan, ont mis le feu aux poudres. Le président du Sénat afghan, Fazal Hadi Muslimyar, a déclaré trois jours plus tard que « des preuves d'une coopération russe et iranienne avec les talibans ont été trouvées ». En réalité, selon plusieurs experts de la région, les contacts de multiples chancelleries et services secrets avec le mouvement islamiste chassé du pouvoir en 2001 seraient un secret de Polichinelle. Ce groupe armé qui mène une guérilla face à l'État afghan multiplie de plus en plus les contacts, afin de développer une véritable stratégie diplomatique.

« Tout le monde a des contacts avec les talibans, même les États-Unis ont des contacts », assure Clément Therme, chercheur à l'IISS (Institut international pour les études stratégiques), institut de recherche britannique. Les Américains ont été les premiers à discuter avec le groupe islamiste en rencontrant à Munich en novembre 2010 Tayyab Agha, représentant du mollah Omar, alors à sa tête.

Cependant, il est possible que les Américains perdent de l'influence dans les affaires afghanes. « Avec l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, et les atermoiements de l'Union européenne, l'avenir du pays se discutera lors des réunions de l'Organisation de coopération de Shanghai », affirme de son côté Georges Lefeuvre, anthropologue et ancien conseiller politique de l'UE à Islamabad (Pakistan). Ce groupe de pays regroupe les États de l'ex-URSS et la Chine depuis 2001, ainsi que l'Inde et le Pakistan depuis cette année. « L'Iran, aujourd'hui État observateur, sera la prochain entrant », ajoute Georges Lefeuvre.

Les talibans, en établissant des contacts avec les pays de ce groupe, cherchent à ne pas reproduire leur erreur passée : en étant exclusivement liés au Pakistan, ils en étaient devenu dépendants. « Le processus de paix tenté en 2016 par Islamabad a déraillé précisément car les talibans ont voulu faire comprendre qu'ils n'étaient pas à la botte des services secrets pakistanais », analyse Didier Chaudet, président du groupe de réflexion CAPE (Centre d'analyse de la politique étrangère) et attaché scientifique à l'Institut français d'études sur l'Asie centrale, à Bichkek, au Kirghizistan.

 

(Pour mémoire : Les talibans face à la concurrence de l’État islamique)

 

L'EI, une opportunité ?
Les talibans jouent sur la peur de l'État islamique, apparu dans la région en 2014, pour apparaître comme un rempart dans la région contre le groupe jihadiste. En 2015, un groupe de hazaras, minorité chiite victime des talibans par le passé, leur a demandé protection face à l'EI. Des dirigeants talibans ont compris leur intérêt à se poser en défenseur des Afghans, plutôt qu'en défenseur de l'islam sunnite. L'émergence de l'EI a donc été une forme d'opportunité pour le mouvement islamiste afghan. « Lutter contre l'EI est un intérêt partagé nouveau avec les talibans pour la Russie, l'Iran et la Chine », explique Clément Therme. Cet intérêt a poussé les différentes parties à établir des contacts.

L'implantation de l'EI au nord du pays a poussé les Russes, d'abord fermés à cette idée, à échanger avec les talibans des informations sur la présence du groupe ultraradical dans la région. Le Kremlin cherche ainsi à être en mesure de protéger son arrière-cour d'Asie centrale. « Il s'agit pour les Russes de protéger la frontière tadjiko-afghane », confirme Clément Therme. Ces évolutions tiennent plus à une acceptation de la part des acteurs régionaux de la situation interne à l'Afghanistan qu'à des mutations de leurs objectifs. « Il ne faut pas penser pour autant que la Russie a changé sur le fond, leur changement est plus tactique que stratégique. Elle prend en compte un nouveau rapport de force. L'Iran et la Russie demeurent des ennemis des talibans sur le plan idéologique », précise le chercheur.

L'Iran a également fait preuve de plus de réticences avant de nouer des contacts avec le mouvement radical, contrairement aux allégations avancées aux États-Unis. « Des think tanks américains soutiennent qu'une relation forte existe entre Téhéran et les talibans depuis 2002. Autant qu'on le sache, c'est faux. Ce type d'information montre surtout la manipulation de ceux qui veulent faire de l'Iran un ennemi », affirme Didier Chaudet. De nombreuses rumeurs étaient alors propagées par des lobbyistes américains, telle celle de l'existence de la « mine dragon », explosif en réalité imaginaire que l'Iran était accusé de fournir aux talibans.
Cependant, la puissance chiite a tout de même établi le contact avec des chefs talibans. La dimension anti-américaine du mouvement, comme son rôle anti-EI y ont joué un rôle. « Les Iraniens sont passés par l'intermédiaire de grandes familles liées aux talibans, d'abord à Herat, ville de l'ouest du pays, proche de la frontière entre les deux pays », explique Didier Chaudet.

Le positionnement des talibans comme rempart face à certains groupes jihadistes internationaux lui a également permis d'établir des contacts avec la Chine. Celle-ci craint l'embrasement du Xinjiang, que pourraient causer des groupes islamistes ouïghours, ethnie peuplant cette région de l'ouest chinois. Allié de longue date du Pakistan, Pékin a noué avec les talibans des liens discrets mais bien réels. Des cadres du mouvement se sont même rendus dans le pays. « La Chine ne fait pas de sentiment dans le choix d'un camp. Il suffit de montrer qu'on peut protéger les intérêts chinois », résume Didier Chaudet.

 

Des tiraillements internes
Toutefois, cette stratégie de présentation d'une image fréquentable ne fait pas l'unanimité au sein du groupe. Le mouvement est disparate. Des chefs de guerre plus proches d'el-Qaëda restent partisans de la seule lutte armée. Les talibans n'ont jamais contrôlé autant de territoires depuis leur chute du pouvoir en 2001. Près de 30 % du pays serait directement ou indirectement sous leur contrôle. Les avis des spécialistes divergent sur la possibilité d'un abandon de la lutte armée. « Une chose est certaine, ils ne sont pas prêts à se mettre à la table des négociations dans la mesure où ils gagnent du terrain », affirme Georges Lefeuvre. Didier Chaudet est plus nuancé : « Dans le cadre d'un Afghanistan décentralisé, beaucoup de chefs de guerre talibans seraient d'accord pour déposer les armes, et se mueraient en gouverneurs régionaux. » La stabilité et la pacification en perspective pourraient amener leurs nouveaux partenaires à envisager de les soutenir.

 

 

 

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