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Liban - Musée national

Les arts funéraires comme vous ne les avez jamais vus...

Véritable plongée au cœur de l'art funéraire et des modes d'inhumation depuis le paléolithique jusqu'à la période ottomane, l'exceptionnelle collection de sarcophages anthropoïdes et les momies de Asi el-Hadath, vestiges maronites du Moyen Âge, sont présentées pour la première fois au public.

D.R.

Après la restauration en 2010-2011 des fresques de la tombe de Tyr, un chef-d'œuvre de l'art funéraire romain du IIe siècle de notre ère, le gouvernement italien débloque une nouvelle enveloppe de 1 020 000 euros, gérés directement par son bureau de coopération au Liban, pour étendre l'aménagement muséographique à tout l'étage du sous-sol du Musée national de Beyrouth. Aujourd'hui, les 700 m2 rénovés par l'architecte-muséologue Antonio Giannarusti sont dédiés aux rites et pratiques funéraires, du paléolithique jusqu'à la période ottomane. Une sélection de 520 pièces archéologiques – notamment des sarcophages, des stèles, et du mobilier funéraire qui accompagnait les défunts dans l'au-delà – illustre les croyances, les cultes et l'art funéraire au fil des millénaires. Provenant des réserves de la Direction générale des antiquités, et des fouilles réalisées ces dernières années, une grande partie de la collection s'offre au regard pour la première fois.

L'espace a été inauguré hier en grande pompe par le ministre de la Culture Rony Arayji, en présence du Premier ministre Tammam Salam et du ministre italien des Affaires étrangères Paolo Gentiloni, ainsi que de nombreux invités, dont les ministres Gebran Bassil et Nabil de Freige, le nonce apostolique, les ambassadeurs de France et d'Italie, la coordinatrice de l'Onu pour le Liban Sigrid Kaag, l'ancien président de l'Assemblée Hussein Husseini, les anciens ministres de la Culture Tarek Mitri, Sélim Wardy et Gaby Layoun, ainsi que le directeur général des antiquités, Sarkis el-Khoury, et la présidente de la Fondation du patrimoine, Mona Hraoui.

Époustouflant
Le clou du spectacle ? Ce sont les 31 sarcophages anthropoïdes (VIe au Ve siècle avant J-C) de marbre blanc de Paros. La manière dont ils sont disposés et l'emploi judicieux des miroirs donnent à ces œuvres toute leur puissance. Une impression de monumentalité et de sacralité, à (littéralement) couper le souffle. Découverts dans les nécropoles de la région de Saïda, à Aïn el-Héloué, Dakermann et Mgharet Abloun, leur poids varie entre deux et trois tonnes chacun. Caractéristiques de la sculpture funéraire phénicienne, ils illustrent la synthèse entre le modèle du sarcophage égyptien qui reproduit la configuration du corps humain et les formes et techniques de l'art grec pour les têtes sculptées. Tous étaient peints et colorés. Des traces de polychromie sont encore visibles à certains endroits : noire pour la pupille des yeux, ou rouge vermillon pour les lèvres et les cheveux. Les yeux sont accentués par des paupières ourlées. Les lèvres esquissent quelquefois un sourire discret. On remarque aussi une femme, la main posée sur le cœur, tenant une fleur de lotus. « C'est la plus grande collection au monde », signale la conservatrice du musée Anne-Marie Afeiche, qui indique que le Louvre en possède une vingtaine et le musée d'Istanbul en conserve quelques-uns des plus beaux.


(Lire aussi : Beirut City Museum : Rony Arayji met les points sur les « i »)

 

L'enfant qui suce son pouce
Mais la visite débute par les plus vieilles pièces, notamment une prémolaire datant du paléolithique (70 000 ans avant l'ère chrétienne), appartenant à un individu d'une vingtaine d'années. Elle a été exhumée à Ksar el-Kalb (Nahr el-Kalb). Selon Mme Afeiche, « c'est le premier exemple de l'Homo sapiens libanais ». Datant également de la même période, une partie d'un crâne (au niveau du sinus, selon une illustration présentée) récemment découverte à Mgharet Kroum el-Jabal, à Jezzine, ainsi qu'une tombe (17000-14000 avant J-C) provenant de Mgharet el-Ahmar-Qadisha.
À l'honneur également, le néolithique (sixième millénaire avant J-C), qui donne à voir le premier exemple d'une « tombe en berceau », renfermant le squelette d'un enfant qui, dans son éternel sommeil, suce son pouce.

Et après la mort ?
Le musée peut s'enorgueillir d'une étonnante collection de céramiques, presque intactes. Une vitrine de dix mètres de long regroupe tout un mobilier funéraire et des objets personnels qui témoignent de la subsistance (temporaire ou pas) de l'esprit du défunt dans sa sépulture. L'essentiel du matériel découvert provient des nécropoles de Sidon et de Rachidiyeh (région de Tyr), des tombes de Byblos, de Bint Jbeil, de Khaldé, de Wadi Laymoun (région de Jezzine), de Mgharet el-Hourieh (grotte découverte par des spéléologues en 2002, à Qadisha), de Tell Hardine (région de Baalbeck) ou Kamed el-Loz, dans la Békaa, qui a livré des encensoirs.

Pour ne citer que quelques exemples, le chalcolithique ou âge de la pierre (quatrième millénaire avant J-C) est illustré par des grandes jarres en terre cuite provenant du site de Byblos dans lesquelles était déposée la dépouille du défunt. Elle était accompagnée de colliers, de bracelets, de figurines en os et d'une variété d'amulettes en pierre à décors animaliers ou géométriques. L'âge du bronze dévoile des éléments de placage en forme de tête, des peignes à décor incisé, des manches en forme de fleur, une pyxide, une coupe tripode (à trois pieds) et d'autres poteries d'importation chypriote. Des notices explicatives, des vidéos, des signalétiques, des reproductions graphiques de tombes et de squelettes et des cartes géographiques indiquent les divers sites archéologiques, mettant en perspective tous les objets.

Œil d'Horus et peignes
Les rites changent. Entre 900 et 600 avant J-C, on pratique la crémation. Des urnes cinéraires portent des inscriptions phéniciennes, dont une gravée Beit Lebe' (BT Lebe'). À côté de ces urnes étaient déposés des coupes à boire, des amulettes de satyre, des scarabées, des armes en bronze, une hache avec collet, des poignards quelquefois munis de pommeau en os ou à pierre décoré avec de l'or, des figurines de divinités égyptiennes, un œil d'Horus, des peignes ou encore des bijoux en cornaline, faïence, or ou pâte de verre. Des stèles, dont celle représentant le chef potier Na'rechmoun (Ve siècle avant notre ère), et qui semblent liées à la pratique de la crémation, sont également exposées. Elles sont en pierre couverte d'inscriptions phéniciennes, visant le plus souvent à ne pas troubler le repos du défunt. Un film d'animation, réalisé par la mission archéologique espagnole, montre une cérémonie d'incinération.
Focus également sur un sarcophage de marbre pour Batno'am, mère du roi Oziba de Byblos, avec inscription phénicienne datée du IVe siècle avant J-C.


(Pour mémoire : À Sidon, une ville disparue qui n'a pas fini de livrer ses trésors)

 

L'orant au pigeon
On ne saurait retracer un tableau exhaustif des 520 pièces exposées. Aussi, on citera, de la période romaine, une plaque de mosaïque et de marbre ayant servi de couvercle de sarcophage. Elle est gravée d'une épigraphie grecque au nom de Theodros et Alaphata (Saïda, 64 avant J-C-395 après J-C). Datant de la même époque, une stèle funéraire de marbre, avec inscription latine mentionnant le nom de Caius Julius Verus, fabriquant d'épées.
On remarque également des statuettes masculines et féminines. Celle en pierre calcaire déterrée à Harbata, dans la région de Baalbeck, porte une dédicace grecque de Tertia, qui l'avait fait exécuter pour le salut de sa fille Margalé. Le coup de cœur revient toutefois à la magnifique statuette d'un orant (un prêtre de l'Antiquité) tenant une colombe à la main. Et à celle du dieu Mercure tenant le caducée, ainsi qu'au masque de satyre en terre cuite, peint. Présentés également : une merveilleuse fresque de Dédale et de son fils ; un sarcophage d'enfant décoré de têtes de Gorgones, ou des cippes funéraires en pierre calcaire.
Les objets personnels sont aussi très nombreux : objets de toilette, coffrets, amulettes et bijoux.

Byzance présente...
La période byzantine est illustrée par la façade peinte d'une tombe provenant de Tyr. Le buste de la Vierge auréolée est représenté dans un médaillon entre deux croix stylisées. Une porte en marbre gravée d'une inscription grecque au nom de Praüllios date la tombe du 12 août 440 après J-C. En face s'est installé un polycandelon, une couronne de lumière en bronze ajourée et rehaussée de dorures. Et issus des fouilles de Chhim, des encensoirs en bronze gravés de scènes de la vie de Jésus, de l'Ancien et du Nouveau Testament.

 

(Pour mémoire : « La Vierge et l'Enfant» sort de l'ombre et s'installe au Musée national)

 

Silence : les momies dorment
Pour la première fois, Maryam, Yasmine et Sadaka sont exposées au musée. Reposant dans une pièce qui leur assure de bonnes conditions de conservation, elles font partie des huit momies découvertes en 1989-1991 dans la grotte de Asi el-Hadath, dans la vallée de la Qadisha, par le groupe des spéléologues Gersl. Dormant d'un sommeil profond depuis 800 ans, ces momies sont les premières (et peut-être les seules) du peuple maronite médiéval : trois femmes adultes, cinq fillettes (18 mois à quatre ans) et un nourrisson (quatre mois), naturellement momifiés. Fuyant le massacre des Mamelouks, ils s'étaient réfugiés dans la grotte où le faible taux d'humidité et l'absence d'organismes végétaux dans son sol avaient ralenti la décomposition totale de leurs corps, ainsi que celle des vêtements et tissus dont l'ensemble est resté en bon état de conservation. Ces derniers présentent un intérêt exceptionnel car, pour la première fois au Proche-Orient, des habits de l'époque médiévale sont retrouvés dans leur contexte historique.

D'autres objets sont également présentés dans une vitrine : agrafes de turban, colliers, bracelets, boucles d'oreille, base d'un récipient avec inscription en arabe, pièce de monnaie en bronze, peigne en bois, lampe à huile, pot à cuire, canif, des bottes de blé, des feuilles de laurier, des écorces de grenade, de noisette, d'amande, des graines d'olive, des grappes de raisin, un titre de propriété, des manuscrits arabes et syriaques, des amulettes, une clé en bois, etc.
Le parcours s'achève avec trois belles stèles ottomanes de marbre blanc, découvertes à Wadi Abou Jmil.
Voici fondamentalement une remarquable exposition qui résonne comme une mélodie douce et entêtante, bien après que les visiteurs ont quitté le musée. Un hommage en bonne et due forme à un patrimoine culturel qu'on a tendance à oublier de plus en plus rapidement.

 

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commentaires (2)

Une inauguration en grande pompe ,avec tout ce beau monde, nos fameux politiciens mécènes, hyper cultivés et amateurs d'arts (sic) un long article détaillé sur la richesse et la beauté de cette collection unique... Très beau, mais c'est dommage que pour une fois vous n'ayez pas relevé 3 facteurs très importants sinon plus que l'exposition elle-même et qui illustrent bien la réalité de notre pauvre pays: 1- Il a fallu que le gouvernement italien réalise l'importance de ce trésor historique pour qu'il voit le jour et non le nôtre! 2- vous auriez dû souligner le prix ridicule qu'il a coûté: 1 million d'euros seulement? Et argent géré directement par les italiens? Je comprend pourquoi peu de contracteurs ou hommes d'affaires Libanais y étaient mêlés: entre leurs mains, il aurait coûté 10 ou 15 fois plus avec possible querelle de partage des bénéfices qui l'aurait retardé indéfiniment! 3- Quel dommage que vous passiez sous silence le travail admirable de la conservatrice du musée, Mme Afeiche, qui sans elle et son travail assidu doublé d'une expertise unique dans le domaine historique, tout ceci n'aurait pas eu lieu: en effet , c'est elle qui a travaillle ardemment et en silence depuis plus de 5 ans à sélectionner parmi des milliers de pièces archéologiques la superbe collection que vous décrivez: c'est d'elle qu'on aurait dû parler et que ces Mesiieurs auraient dû décorer de l'ordre du mérite Libanais! Mais que voulez-vous, nul n'est prophète dans son pays

Saliba Nouhad

14 h 42, le 09 octobre 2016

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Commentaires (2)

  • Une inauguration en grande pompe ,avec tout ce beau monde, nos fameux politiciens mécènes, hyper cultivés et amateurs d'arts (sic) un long article détaillé sur la richesse et la beauté de cette collection unique... Très beau, mais c'est dommage que pour une fois vous n'ayez pas relevé 3 facteurs très importants sinon plus que l'exposition elle-même et qui illustrent bien la réalité de notre pauvre pays: 1- Il a fallu que le gouvernement italien réalise l'importance de ce trésor historique pour qu'il voit le jour et non le nôtre! 2- vous auriez dû souligner le prix ridicule qu'il a coûté: 1 million d'euros seulement? Et argent géré directement par les italiens? Je comprend pourquoi peu de contracteurs ou hommes d'affaires Libanais y étaient mêlés: entre leurs mains, il aurait coûté 10 ou 15 fois plus avec possible querelle de partage des bénéfices qui l'aurait retardé indéfiniment! 3- Quel dommage que vous passiez sous silence le travail admirable de la conservatrice du musée, Mme Afeiche, qui sans elle et son travail assidu doublé d'une expertise unique dans le domaine historique, tout ceci n'aurait pas eu lieu: en effet , c'est elle qui a travaillle ardemment et en silence depuis plus de 5 ans à sélectionner parmi des milliers de pièces archéologiques la superbe collection que vous décrivez: c'est d'elle qu'on aurait dû parler et que ces Mesiieurs auraient dû décorer de l'ordre du mérite Libanais! Mais que voulez-vous, nul n'est prophète dans son pays

    Saliba Nouhad

    14 h 42, le 09 octobre 2016

  • Pourquoi cette depense inutile. On n'a qu'a visiter le Parlement.

    SATURNE

    15 h 34, le 08 octobre 2016

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