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Liban - En dents de scie

Devenir Taëf

Vingt et unième semaine de 2009.
La dichotomie est effectivement impressionnante. D'un côté, les bruits et les fureurs, les tempêtes, les débordements, l'hystérie de tous ; de l'autre, l'impassibilité, l'impavidité absolue et la sérénité, fût-elle de façade, d'un homme pourtant sous le feu et le venin constants des putschistes d'une IIIe République sclérosée et métastasée avant même que ses plus petits contours ne soient dessinés : Michel Sleiman. Qui se contente exactement de faire ce pour quoi il est payé, ce pour quoi les Libanais le saluent : son métier - en balayant d'un presque imperceptible mouvement de sourcils chaque coup de boutoir dont l'opposition, avec une régularité et un stakhanovisme effrayants, le gratifie.
C'est exactement ça qui épuise les cadors du 8 Mars, qui les met hors d'eux, bien plus que tout le reste : le bien faire et laisser braire du chef de l'État. Bien plus, par exemple, que la simple présence de Michel Sleiman à Baabda ; bien plus que la personnalité, le caractère et la façon de faire, de voir et de concevoir les choses de Michel Sleiman. Bien plus, aussi, que ce fait scientifique : que Michel Sleiman est un de ceux les plus susceptibles de réduire, quel que soit le pourcentage, la popularité christiano-chrétienne de Michel Aoun - la différence avec le scrutin de 2005 et la partielle de 2007 est là, férocement, forcément là, et cette différence est énorme.
Aussi énorme que cette extraordinaire ironie : cet homme leur prouve jour après jour que leur bataille, stupidement menée en faveur, prétendent-ils, des prérogatives du président de la République, est, à l'image de toutes leurs batailles, une véritable supercherie. Pire : une escroquerie intellectuelle et politique. Jour après jour, en usant de ses prérogatives exactement comme il se doit, le locataire de Baabda incarne l'une des cibles (é)mouvantes, sinon l'hypercible visée par le camp du 8 Mars : l'accord de Taëf.
Le vice-président américain est arrivé à l'aéroport international de Beyrouth et s'est immédiatement rendu à Baabda pour, entre autres, mais surtout, afficher le soutien de cette administration Obama, qui rend le Hezbollah, le CPL et consorts de plus en plus nerveux, à cet exact accord de Taëf. Littéralement incarné, encore une fois, par Michel Sleiman. Pour afficher le soutien US à l'un des fondements absolus du concept de l'État, l'une des conditions nécessaires d'une application plus ou moins satisfaisante de la résolution 1701 de l'ONU : l'armée libanaise. Pour afficher, entre les murs du domicile de Nayla Moawad et en présence de tous les ténors de la majorité, le soutien US à une idée sans laquelle le Liban ne serait plus qu'une serpillière, sans laquelle le sang versé par mille et un martyrs aurait été vain : la révolution du Cèdre.
La visite de Joe Biden, arrivé à Beyrouth flanqué de l'indispensable Jeffrey Feltman, était certes courte, très courte, mais fondamentale : bien sûr, Washington, a-t-il assuré, respectera tout résultat électoral au lendemain du 7 juin ; bien sûr, Washington, a-t-il renchéri, n'accorde son soutien ni à un parti ni à un individu. Mais Washington, a-t-il prévenu, déterminera son programme d'aide au Liban en fonction de la composition et de la politique du futur cabinet. Ce qui est, un : d'une logique imparable : les États-Unis ne sont pas des commerçants d'armes, a rappelé un Élias Murr décidément de plus en plus inspiré ; deux : leur droit le plus absolu ; et trois : on ne peut plus légitime : un gouvernement qui ne sacraliserait pas la 1701, le Tribunal spécial pour le Liban, l'équité absolue avec la Syrie et l'accord d'armistice de 1949 avec Israël sera par définition un gouvernement paria. Et criminel.
C'est cette escale fondamentale, la seule du n° 2 américain dans la région, que le Hezbollah a décidé de dénoncer par la voix de l'un de ses députés, l'inscrivant dans le cadre d'un soutien US à la campagne électorale d'une faction libanaise qui se sent menacée politiquement à l'aune des changements régionaux (lesquels ?) et des résultats prévus des législatives (les talents de voyant de Hassan Fadlallah sont saisissants...).
Cette raison est fallacieuse et hypocrite au possible : le Hezbollah se moque du soutien américain préélectoral au 14 Mars et sait pertinemment que même si Barack Obama en personne s'était déplacé à Beyrouth, cela n'aurait aucun impact sur l'électeur et son bulletin le 7 juin prochain. C'est rien d'autre que l'appui de Washington à l'accord de Taëf et à son garant, l'incontournable Michel Sleiman, qui gêne horriblement la formation de Hassan Nasrallah, obsédée par son coup d'État contre la Loi fondamentale, obsédée donc par l'obtention des trois tiers, obsédée donc par le renforcement à n'importe quel prix de Michel Aoun. Lequel n'est obsédé que par une chose : (re)prendre Baabda. Gouverner. À absolument n'importe quel prix : se transformer en marionnette, Élisabeth II sans sa tiare, et même régner, illusoirement, sur au mieux une principauté, au pire sur du néant, savamment fabriqué par le Hezb et ses armes.

P.-S. : Au cours d'un talk-show politique hier sur la MTV, un candidat aouniste a insisté sur l'urgence, pour le 8 Mars, de réformer, à partir du 8 juin, les médias en général et L'Orient-Le Jour en particulier, étape sans doute nécessaire pour l'aboutissement d'un processus très Fahrenheit 451, très putsch contre l'esprit et la lettre de Taëf : celui de formater et d'uniformiser la pensée des Libanais. Par pudeur, l'on se contentera du droit de réponse qui nous a été accordé en live. Mais un bon œil s'est demandé comment ceux qui marchent aujourd'hui, ne serait-ce que sur le plan politique, avec les assassins de Riad Taha, Sélim Laouzi, Samir Kassir et, last but not least, Gebran Tuéni, ceux dont les médias sont un parangon de propagande s'autorisent, avec un culot gargantuesque, à donner des leçons de déontologie aux journalistes et aux médias en général, au plus vieux quotidien libanais en particulier. Ce bon œil a parfaitement raison. Et Goebbels aurait adoré.
Vingt et unième semaine de 2009.La dichotomie est effectivement impressionnante. D'un côté, les bruits et les fureurs, les tempêtes, les débordements, l'hystérie de tous ; de l'autre, l'impassibilité, l'impavidité absolue et la sérénité, fût-elle de façade, d'un homme pourtant sous le feu et le venin...

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