Rechercher
Rechercher

Santé

Le cancer du sein et l’angoisse de la castration

Au-delà d’une maladie à potentiel létal, le cancer du sein est une atteinte à la féminité de toute femme, surtout si celle-ci est confrontée à une mastectomie. La femme qui perd son sein évoque souvent la « castration » et le « deuil ».

La femme vit ses seins comme un objet d’affirmation. Le fait de ne plus posséder cette partie du corps est vécu comme une castration. Photo tirée du site krakowfilmfestival.pl

Carole appartient à cette catégorie de femmes qui ne vous laissent pas indifférent. Calme et posée, elle inspire confiance. La vie ne l’a pas épargnée. Sa foi, son courage et son attitude positive, d’ailleurs contagieux, l’ont toutefois aidée à surmonter les épreuves. Mère de deux adolescentes, elle a été diagnostiquée avec une tumeur au sein à l’âge de 45 ans.
Avec un historique familial chargé, sa tante maternelle et sa mère ayant toutes les deux souffert d’un cancer de sein, Carole veillait, dès l’âge de 40 ans, à ne pas manquer son rendez-vous annuel avec la mammographie et l’échographie. Elle procédait également à une autopalpation, « mais pas aussi régulièrement que souhaitable ». Cinq ans plus tard, « entre deux mammographies, j’ai remarqué que le mamelon du sein gauche était rétracté », se souvient-elle. Le diagnostic n’a pas tardé à être confirmé. « Il fallait s’assurer que d’autres parties du corps n’étaient pas atteintes, ni l’autre sein, parce que la forme de cancer que j’ai eue est souvent bilatérale », poursuit-elle.
Cette expérience n’est pas des plus faciles, « surtout lorsqu’on a des enfants ». « J’ai préféré ne rien dire à ma famille avant que je ne sois fixée, explique Carole. Annoncer ma maladie à distance à mes parents qui vivent au Canada n’était pas facile. J’ai décidé de passer par mon frère et mes deux sœurs qui vivent également au Canada. Le plus dur a toutefois été de l’annoncer à mes filles, alors âgées de 15 et de 13 ans. Avec le soutien de mon mari, tout s’est toutefois bien passé. »
Carole a dû subir une mastectomie. « Il ne s’agissait pas uniquement d’une atteinte à ma féminité, souligne-t-elle. Cela a été tout aussi douloureux sur le plan physique avec toute la rééducation que je devais suivre pour retrouver la mobilité du bras. »
« Perdre un sein est un réel deuil, reprend-elle au bout de quelques instants. Je devais faire mon deuil avant de subir l’opération. Je me regardais dans le miroir et je me disais que je ne serais jamais plus pareille. »

Une castration
« Le sein revêt deux aspects, le sein de la mère et celui de la femme », explique Marie-Thérèse Khair Badawi, professeur à l’Université Saint-Joseph, psychanalyste. « C’est une partie du corps surinvestie tant par les femmes que par les hommes comme un objet de désir sexuel, ajoute-t-elle. Les seins sont ainsi fétichisés, dans le sens où c’est une partie du corps qui représente le tout. Dans ce cas précis, les seins représentent autant le maternel que le féminin. La femme les vit donc comme un objet d’affirmation. Le fait de ne plus posséder cette partie du corps est alors vécu comme une perte, une castration. » Une perte également mal vécue par le partenaire qui souvent « essaie d’annuler ce qu’il voit, ce qui n’aide pas beaucoup la femme ». Or pour Marie-Thérèse Khair Badawi, « le partenaire doit accompagner la femme dans sa souffrance et non pas l’annuler, d’autant qu’elle est réelle ».
Mais il ne faut pas oublier que le cancer constitue une crise que le couple doit affronter. « Chaque couple va vivre la maladie différemment, selon sa problématique, note Marie-Thérèse Khair Badawi. Certains hommes vont accompagner leur épouse, d’autres vont s’en désintéresser complètement. Les maladies à potentiel létal font resurgir l’angoisse de mort que nous avons tous, mais que nous refoulons pour pouvoir vivre. Devant la maladie de sa partenaire, l’homme va donc voir se concrétiser son angoisse de mort dans le corps de l’autre. Pour se protéger, et garder son propre équilibre, il pourrait montrer une indifférence apparente. C’est ce qui fait que dans certains couples, le cancer provoque des ruptures très grandes et un désintérêt manifeste du partenaire, même si ce dernier a pu aimer son épouse. Même s’il l’aime toujours. C’est une forme de protection inconsciente contre une angoisse de mort qui se concrétise par la maladie. Dans d’autres couples, le cancer pourrait au contraire rapprocher l’homme et la femme qui vont lutter ensemble contre ce qu’ils ressentent comme une menace qui les touche tous les deux. »

Adversité de passage
Cela a été le cas de Carole, dont le mari a été « d’un grand soutien ». « Le lien qui nous unit mon mari et moi a toujours été pluridimensionnel, fait-elle remarquer. Nous nous intéressons mutuellement à ce que nous faisons. Nous partageons beaucoup de choses. La vie du corps est une partie de ce qui nous unit. Lorsqu’une dimension prend un coup, une autre dimension prend la relève pendant la phase transitoire. J’insiste sur ce point, parce qu’au Liban il y a une partie de femmes à qui on demande d’être des poupées et je trouve que cela est horrible. Je le dis aussi parce que j’ai des filles et je n’aimerais pas qu’elles soient amenées à jouer ce rôle. C’est terriblement réducteur comme vision. Lorsque ces femmes vieillissent, elles n’auront plus de valeur ? »
Et Carole de reprendre : « Le cancer n’est pas une maladie que l’on peut vivre seul. Il y a d’une part l’atteinte du corps, mais aussi le traitement qui est long et fatigant. On est lessivé. Lorsque je perdais mes cheveux, mon mari ne cessait de me répéter qu’il me trouvait plus belle ainsi. Il m’accompagnait aux consultations médicales. Cela faisait du bien, d’autant que la charge émotive était tellement grande que je comprenais seulement la moitié de ce que j’avais à faire et pourtant je ne suis pas bête. Pour moi, c’était une présence inestimable. Par ailleurs, une meilleure connaissance de la maladie peut nous aider à ne pas la vivre comme une fatalité, mais comme une adversité de passage. Je n’ai jamais été une femme assistée, mais en même temps j’étais accompagnée, et c’était ce dont j’avais besoin. »

Tendance à la médicalisation
Les réactions à une maladie à potentiel létal diffèrent selon la situation de la personne, « dans le sens où chacun va réagir selon son fonctionnement mental, mais aussi selon son partenaire, sa famille, ses relations amicales, constate Marie-Thérèse Khair Badawi. Ainsi, certaines femmes vont vivre la maladie d’une manière “courageuse”, surtout si elles ont une famille, des enfants. Elles sentent qu’elles ne peuvent pas démissionner. Le soutien de la famille les aide à mieux gérer leur maladie. »
Si la femme n’a pas d’enfants, un cancer du sein peut prendre une autre forme de dramatisation, constate Marie-Thérèse Khair Badawi, « parce qu’elle se sent touchée dans cette partie de sa féminité qui est potentiellement maternelle ». Dans ce cas, « le deuil est encore plus difficile à vivre ».
« Dans ce malheur, la plus grande grâce a été d’avoir eu mes filles et de les avoir déjà allaitées, confie Carole. La partie maternelle avait été assumée. Il restait la partie féminine. Jusqu’aujourd’hui cela m’énerve, mais j’ai essayé de vivre la mastectomie courageusement parce qu’il est important pour mes filles de réaliser que la vie continue. J’ai détesté la reconstruction qu’on m’a faite, en partie en raison du chirurgien pour qui je représentais un but commercial. Il ne prenait pas en considération ce que cela représentait pour moi. Mais heureusement que mon mari était là pour me soutenir. »
« Le corps est lié à la psyché, insiste Marie-Thérèse Khair Badawi. Les médecins l’oublient souvent. Actuellement, il y a une tendance à la médicalisation qui fait qu’on n’accorde de l’importance qu’au corps. Or la santé mentale est tout aussi importante. Et une ablation du sein peut menacer la santé mentale. »
« Chez la femme qui a subi une mastectomie, il y a tout un travail à faire pour réconcilier le corps réel, c’est-à-dire celui que l’on voit dans le miroir et que les autres voient, avec le corps imaginaire, c’est-à-dire l’image qu’on se fait de ce corps et qui souvent n’est pas en accord avec le corps réel, indique Marie-Thérèse Khair Badawi. Cette réconciliation peut passer par une reconstruction mammaire et par un travail sur soi. La femme pourra finir par s’approprier cette prothèse et la sentir comme étant une partie d’elle-même, mais cela nécessite du temps. C’est tout un processus qu’il faut laisser se déployer. »

Un accompagnement humain
Carole est sortie la tête haute de son combat avec la maladie. « Peut-être que tout se passe pour une raison, relève-t-elle. Mon aînée suit des études de médecine et a décidé de se joindre à un groupe de recherches sur le cancer du sein. C’est un choix qu’elle a fait, alors que je ne l’ai jamais poussée à étudier la médecine ni à choisir cette thématique. Quant à ma benjamine, elle est très impliquée au niveau du mouvement des guides. À deux reprises, elle m’a invitée à témoigner sur les différents accidents de santé que j’ai eus et sur ce qui m’ai aidée à les surmonter. J’étais touchée de constater que j’ai pu atteindre ces jeunes, sachant que de nos jours cela n’est pas toujours aisé. »
Et Carole de conclure : « Il est important que les femmes ne négligent pas leur corps. Mon médecin m’avait dit que dans la majorité des cas, le cancer du sein est découvert par la femme elle-même. Il ne faudrait pas donc se fier uniquement à l’examen annuel, mais faire l’autopalpation. Par ailleurs, il est important de se prendre en charge, d’autant qu’il s’agit d’un long parcours. Il est surtout très important de bien choisir ses partenaires de santé, parce que l’accompagnement humain est tout aussi important que celui médical. »
Carole appartient à cette catégorie de femmes qui ne vous laissent pas indifférent. Calme et posée, elle inspire confiance. La vie ne l’a pas épargnée. Sa foi, son courage et son attitude positive, d’ailleurs contagieux, l’ont toutefois aidée à surmonter les épreuves. Mère de deux adolescentes, elle a été diagnostiquée avec une tumeur au sein à l’âge de 45 ans.Avec un...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut