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Liban

L’islamisme : un courant épuisé et sans avenir

Kamal Yazigi.

Les islamistes ont remporté des victoires électorales lors des élections qui se sont déroulées récemment en Tunisie et en Égypte. Les adversaires du printemps arabe se sont malicieusement réjouis, et ont saisi l’occasion pour affirmer que les bénéficiaires des soulèvements populaires seraient les mouvements islamistes. Même les partisans du printemps arabe se sont alarmés et ont donné des signes de découragement.


Dans les lignes qui suivent, je soutiens, ce qui paraîtra d’abord paradoxal, que l’islamisme n’est pas à craindre, et qu’en dépit de ses succès récents, c’est un mouvement épuisé et sans avenir.


Non pas qu’il soit bénin. Il est nocif, bien au contraire. D’aucuns veulent bien croire qu’il s’est assagi ou qu’il est devenu modéré. Mais il ne s’agit là que d’une modération de façade, reflétant une simple tactique. Les islamistes ont appris à modérer leurs idées pour ne pas offusquer. Mais le voile est mince et ne doit pas nous tromper.
Mais, d’abord, qu’est-ce que l’islamisme ? Et quelles sont ses racines profondes ?


L’explication la plus pertinente a été offerte par un historien canadien, Wilfred Cantwell Smith (Islam in Modern History, 1957). Sa théorie a été reprise et élaborée par Daniel Pipes et Bernard Lewis. Smith soutient que pendant leurs premiers siècles, les musulmans ont eu un énorme succès. Ils ont fait irruption triomphalement dans les pays voisins. La nouvelle communauté s’est étendue ; elle a prospéré ; et elle est devenue puissante. La domination politique a été suivie de richesse et de progrès social et culturel. Bref, un succès foudroyant qui semblait décrété par la providence.
Et puis tout a changé. Vers le treizième siècle, le déclin commence. Les siècles suivants seront marqués par le repli de l’islam et l’ascension de l’Occident. Cependant, le monde musulman reste inconscient de ce qui se passe. L’alerte est finalement donnée en 1798, quand Bonaparte, à la tête d’une force expéditionnaire réduite, débarque en Égypte et parvient à la conquérir avec une aisance stupéfiante. La suprématie de l’Occident, aussi bien militaire que culturelle, devient de plus en plus visible. L’âge de l’impérialisme suivra, et bientôt la plupart des musulmans se retrouveront sous domination européenne. Les musulmans finiront par se convaincre que quelque chose avait mal tourné.
Se sentir pauvres et faibles après avoir été riches et puissants, se retrouver à la queue du progrès après avoir été au premier rang : les musulmans avaient du mal à se l’expliquer. En fait, selon tous les critères du monde moderne – développement économique, alphabétisation, réalisations scientifiques, liberté politique et respect des droits de l’homme – ce qui jadis avait été une civilisation puissante était tombée bien bas.
Le malaise de l’islam moderne provient de ce contraste marqué entre les succès d’antan et les tribulations plus
récentes.


Que s’est-il passé ? Ou plutôt : qui est responsable de ce déclin ? Quand les choses vont mal, il est plus facile de rejeter la responsabilité de ses infortunes sur autrui. Ainsi, un certain nombre de coupables étaient successivement désignés. Pendant longtemps, les Mongols étaient les scélérats préférés. Ce rôle a été ensuite tenu par une série de boucs émissaires, entre autres l’impérialisme occidental, bien sûr, européen puis américain, sans oublier les juifs. L’histoire de ce jeu de blâme, avec ses fantasmes et ses théories du complot, est racontée de main de maître et avec une grande élégance par Bernard Lewis dans un livre qui, précisément, a pour titre : What Went Wrong (2003).


À cette question, deux réponses sont à présent apportées.


Les modernistes et les laïques pensent que les musulmans ne peuvent progresser qu’en imitant l’Occident. L’islam est un héritage estimable, certes, mais sa dimension publique doit être mise de côté.
Les islamistes rejettent les influences occidentales et préconisent un retour à un âge d’or mythique. Les échecs de l’islam seraient dus au fait que les musulmans se sont éloignés de l’islam authentique. Pour retrouver la gloire passée, les islamistes exigent l’application de la charia, ou loi de l’islam, dans son intégralité, comme c’était le cas, soi-disant, au premiers temps de l’islam.


Il y a là trois problèmes majeurs qui se posent.
D’abord, malgré leurs efforts visant à se débarrasser des influences occidentales, les islamistes restent imprégnés par l’Occident beaucoup plus qu’ils ne sont prêts à l’admettre. Ainsi, l’ayatollah Khomeyni, pourtant très hostile à l’Occident, voulant fonder un gouvernement sur des principes soi-disant islamiques, a fini par établir une république, basée sur une Constitution, et qui représente une nation, à travers un Parlement, choisi par des élections populaires : cinq notions typiquement occidentales.
Ensuite, la charia est un vaste corpus de règles dont plusieurs vont à l’encontre des pratiques ou des sensibilités modernes. Même pendant la période classique de l’islam, les musulmans n’ont pas réussi à vivre en conformité avec la charia. Si les prescriptions concernant le rituel de la vie religieuse, les interdits alimentaires, et le statut personnel (mariage, divorce, pension, héritage) étaient généralement observés, l’application était beaucoup moins rigoureuse, et dans certains cas inexistante, quand il s’agissait de la loi pénale, la fiscalité et la vie politique. Une grande partie de la charia, surtout celle qui a trait à la vie publique, était soigneusement passée sous silence. Pendant la plus grande partie de leur histoire, les musulmans ont toléré cet écart entre l’idéal et le réel, et se sont contentés d’une application imparfaite de la charia.
Enfin, l’islamisme n’est pas l’islam. Et cela, les musulmans le savent. C’est une idéologie du vingtième siècle, agressive et bornée. Et, ce qui est peut-être le plus important, son succès a été limité. Bien qu’il exhale sa rage depuis plus de trente ans, l’islamisme n’a jamais joui d’un large soutien populaire. Il n’a pas vraiment accroché. On peut raisonnablement estimer à 10 % le nombre de musulmans qui y adhèrent. Son influence disproportionnée s’explique par le fait que les islamistes sont une minorité dévouée et bien organisée. La majorité des musulmans sont modérés et s’accommodent des conditions du monde moderne. Ils apprécient même la civilisation occidentale et la trouvent séduisante.


L’avenir du printemps arabe sera l’enjeu d’une âpre bataille entre les islamistes, d’une part, et les libéraux, les laïques, et les progressistes, d’autre part.
L’islamisme a pour le moment une longueur d’avance. Mais il n’est pas invincible. Après les régimes policiers, les barbus anachroniques, avec ou sans cravate, seront dépassés à leur tour.

Les islamistes ont remporté des victoires électorales lors des élections qui se sont déroulées récemment en Tunisie et en Égypte. Les adversaires du printemps arabe se sont malicieusement réjouis, et ont saisi l’occasion pour affirmer que les bénéficiaires des soulèvements populaires seraient les mouvements islamistes. Même les partisans du printemps arabe se sont alarmés et ont...

commentaires (7)

Pas d'accord, il s'agissait de sciences modernes, logiquement c'était eux qui apportaient la religion, et qui revenaient avec la poudre, la boussole et des medecines chinoises. N'oublie pas aussi que les arabes ont été les inventeurs de l'irrigation et de la pâte d'amande, où vois tu du religieux là aussi ? L'Europe en a tiré meilleur profit indeed.

Jaber Kamel

14 h 05, le 24 janvier 2012

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Commentaires (7)

  • Pas d'accord, il s'agissait de sciences modernes, logiquement c'était eux qui apportaient la religion, et qui revenaient avec la poudre, la boussole et des medecines chinoises. N'oublie pas aussi que les arabes ont été les inventeurs de l'irrigation et de la pâte d'amande, où vois tu du religieux là aussi ? L'Europe en a tiré meilleur profit indeed.

    Jaber Kamel

    14 h 05, le 24 janvier 2012

  • Citation exacte kamel....mais pas à propos de la science au sens moderne du terme....le ilm...la science religieuse,mon ami...

    GEDEON Christian

    08 h 43, le 24 janvier 2012

  • L'idée maítresse du professeur Yazigi est que "même dans la période classique de l'Islam d'essor politique, de prospérité et de richesse des premiers siécles, les musulmans n'ont pas réussi à vivre en conformité avec la charia". "Pendant la plus grande partie de leur histoire, les musulmans ont toléré cet écart entre l'idéal et le réel et se sont contentés d'application imparfaite de la charia". "La charia est un vaste corpus de règles dont plusieurs vont à l'encontre des pratiques ou des sensibilités modernes". A mon humble avis, il est nécessaire d'aller plus loin et de se demander en toute franchise "What always goes wrong" dans l'histoire de la société musulmane ? Le fait est que celle-ci s'est toujours heurtée à l'impossibilité d'appliquer la charia en son intégralité, mais l'a détournée en cachette. Pourquoi ? Parce qu'il est impossible de changer un iota de la charia. Je me permets un exemple : l'égorgement des animaux -vivants- selon les règles Halal. C'est un point extrêmement exploité dans le monde entier par les ennemis de l'islam, accusé de "grande cruauté". Peut-on y changer quelque chose ? Non. C'est cette immutabilité absolue de la charia qui permet aux islamistes de "voler les révolutions", comme on le voit au vif. C'est la lutte pour les changements nécessaires, sans toucher aux fondements théologiques de l'islam, que démocrates, libéraux et laiques doivent mener. Sinon ils ne feront jamais la vraie révolution.

    Halim Abou Chacra

    03 h 59, le 24 janvier 2012

  • Et en conclusion tout comme toi, je réfute cette idée qu'une religion puisse servir de modèle de modération à une autre, sinon il faudra déterrer les archives de leur Histoire. Tout le reste , les 10% de ceci ou 90% de cela , c'est du vent de remplissage.

    Jaber Kamel

    03 h 42, le 24 janvier 2012

  • J'ai bien lu ton commentaire Robert, ce que tu dis est juste dans ce qu'on lit ligne par ligne. Je vais essayer de sortir des sentiers battus et rappeler aux musulmans qu'aux 1eres lueures de l'Islam, il leur était demandé de rechercher la science même s'il fallait aller en Chine. Ce qu'ils ont fait en apportant la civilisation odorante aux occidentaux qui pataugeaient encore dans la boue du temps de Charlemagne.De nos jours dis moi Robert quel est le pays arabe, qui depuis 1492, a crée ou inventé une seule donnée scientifique ? Avec la puissance des moyens de financement et d'éducation , tout au plus ils construisent des tours , achètent des hotels et viennent au secours des firmes occidentales en faillite, Dubai avant , qatar aujourd'hui. La faute à qui, Yazigi nomme pêle mêle mongols, europeens ou yanky comme bouc emissaires, et même les juifs et je rebondis sur cette vérité pour dire que si les musulmans s'avanturaient à se développer scientifiquement, ces derniers leur feraient une guerre sans merci, la preuve en est donnée par l'Iran, certes non arabe mais différemment musulman qui se voit assassiné ses scientifiques. Pour la simple raison que les perses ont voulu allé jusqu'en Chine pour se développer.

    Jaber Kamel

    03 h 38, le 24 janvier 2012

  • ??? Il faut voir les pays qui on fait leur révolution, ils sont tous diriger par des islamistes. Et ils veulent imposer leur vision de l'islam. Voir pour l'université, attaque contre un film en Tunisie....

    Talaat Dominique

    01 h 13, le 24 janvier 2012

  • Je ne suis pas historien mais je pense que cet article sert ceux qui veulent se voiler la face. L'islamisme est en grande partie la conséquence des conditions dans lesquelles l'Etat d'Israël a été créé et du permanent conflit israélo-palestinien qui s'en suivit. Et avec ce conflit qui perdure, l'islamisme a malheureusement encore de beaux jours devant lui. Dire qu'il est sur le déclin peut rassurer mais les événements qui se déroulent aujourd'hui dans le monde démontrent, au contraire, qu'il ne s'essouffle pas et qu'il s'internationalise. Il a pris une autre forme en affichant désormais la destruction d'Israël et des Etats-Unis comme motivation première des radicaux islamistes qui, sur leur lancée, n'hésitent pas à mettre parfois tout le monde occidental sur le même plan. La cause palestinienne reste évidemment présente, même sous-jacente. Par ailleurs, je ne suis pas du tout d'accord avec cette phrase : "Les modernistes et les laïques pensent que les musulmans ne peuvent progresser qu’en imitant l’Occident. L’islam est un héritage estimable, certes, mais sa dimension publique doit être mise de côté". Attention M. Yazigi, la loi contre le négationnisme est passée ! Plus sérieusement, je réfute cette idée que le christianisme ou quelqu'autre religion modérée doive être un modèle pour une autre religion modérée.

    Robert Malek

    20 h 30, le 23 janvier 2012

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