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Culture - Portrait

Rayyane Tabet : entre objets et espaces, d’autres histoires

À 28 ans, Rayyane Tabet a signé pas moins de six créations et installations - dont deux à venir, en juillet prochain - présentées à Sfeir-Semler à Beyrouth, Darat al-Funun à Amman et The Third Line à Dubaï. Bien en place aux États-Unis où il poursuit ses études depuis 2006, il fait partie de Younger than Jesus : The Artist Directory, une sélection parue en 2009 qui recense les 500 artistes de moins de 33 ans, comme le titre l'indique, à suivre dans les prochaines années. Rencontre avec un architecte de formation pour qui objets et espaces racontent des histoires cachées.

L’installation « How to Play Beirut », impression par jet d’encre sur papier d’archives, dimensions 152,5 x 274 cm, 2009.

La Biennale de Sharjah, qui fête cette année sa dixième édition, n'a pas attendu plus de deux ans pour commissionner «Home on Neutral Ground», l'installation de Rayyane Tabet sur site en trois parties (projection, présentation par l'artiste et publication) et le récompenser du Prix du meilleur artiste émergent. «Avant mon départ pour l'Amérique du Nord, j'étais tourné vers moi-même et ma famille, et mon travail reflétait, sous la forme d'objets, des histoires personnelles, très proches de moi. Pendant la guerre de 2006 et avec la distance géographique, je me suis concentré sur les objets intimes et une façon de regarder les villes.» C'est ainsi que sont nées ses valises (Suitcases), coulées dans du béton. Cependant, ces créations sont alors encore représentatives de ce que Rayyane Tabet qualifie d'à «petite échelle, et qu'on ne voit pas vraiment hors du champ de l'intime, comme un lit ou un savon». «Je n'utilise pas de symboles et mes superpositions sont de l'ordre du syllogisme: si votre valise est votre maison, alors votre valise est en béton. Et pendant ces années de guerre, la valise a été la pierre angulaire de chaque maison.»
Après Cooper Union, où il développe «une relation entre art, architecture et ingénierie», il arrive à l'Université de San Diego en tant que bénéficiaire de la bourse de la Russell Foundation jusqu'en juillet 2011. Il y est l'assistant-professeur de ses quatre directeurs de thèse en beaux-arts, respectivement cinéaste, architecte, historien et sculpteur. Engagé dans un «processus multidisciplinaire de l'art», il y affine la forme, la vision et la présentation de ses projets. Mais c'est à l'AUB, dans le département d'architecture et d'urbanisme, qu'il a pris contact avec la recherche sociopolitique sur un site donné. «Je n'étais pas intéressé par la construction. J'ai découvert que transformer une somme de recherches et une analyse de site en une forme était un processus artistique, sur lequel j'ai choisi de me concentrer et de travailler.» Aujourd'hui, ses «conversations intenses» avec ses directeurs de thèse lui permettent d'«affiner l'utilisation des matériaux».

Pas le centre,
la périphérie

Ces pratiques interdisciplinaires le mènent vers le rôle d'«enquêteur multifonctions» et le font «sortir de son cadre»: «Une fois en possession de tous ces matériaux et recherches, comment faire de l'art et pas écrire un essai?», s'attache-t-il à se demander systématiquement. Surtout que l'artiste est clairement conscient d'être «le produit d'une école, de mentors et de langues, ce qui est à la fois un avantage et un inconvénient». Sa réponse est claire: «L'art est apte à traverser les frontières spatio-temporelles et à raconter le présent.» Armé de sa ligne de mire conceptuelle, sa méthode de travail s'appuie sur son «intérêt à partir à la recherche d'événements, d'anecdotes qui ne s'intéressent pas au centre, mais à la périphérie». Il s'attache à raconter une «histoire alternative des espaces», tout en essayant d'en «comprendre les plus récentes, celles qui ne sont pas encore écrites parce que très proches de notre époque, celles qui sont latérales, l'autre formule étant des figures centrales avec des récits annexes».
Cette autre formule correspond à son travail sur le stade de cricket de Sharjah: «Quand la Biennale m'a invité, j'ai demandé, en juin dernier, à passer trois jours sur place. Connaissant sa thématique générale de trahison, transition et transaction, je voulais attraper une série de moments étonnants dans le développement du stade de la ville, qui raconterait une partie de l'histoire de Sharjah tout en étant une métaphore de la Biennale.» À partir de l'anecdote qui retiendra son attention - le stade de cricket de Sharjah a été offert par son propriétaire à l'équipe d'Afghanistan qui, pour les raisons politiques que l'on connaît, ne peut pas accueillir des matchs internationaux à domicile -, Rayyane Tabet a créé le titre de son travail, «Chez soi en terrain neutre». «Il se trouvait que l'une des salles de Beit al-Serkal avait les dimensions exactes d'un terrain de cricket. J'y ai tracé ses contours avec la craie blanche utilisée officiellement et j'ai projeté, de part et d'autre de l'espace dans le sens de la longueur et sur le matériau utilisé pour les écrans de projection géants du stade, un plan-séquence de 24 heures à l'intérieur de ce stade.» À la sortie de la salle, le visiteur se voyait offrir l'une des 740 pochettes cartonnées d'un pied carré chacune - les dimensions historiques du cricket étant d'origine britannique et la dimension totale du terrain étant de 740 pieds carrés. L'idée du don, du troc, de la transaction intrinsèques à l'histoire du stade de Sharjah est donc partie avec 740 personnes qui, eux aussi, partagent à présent ce récit pour y ajouter sans doute leurs données personnelles: taches, empreintes, récits, etc.

Politique et poétique
du jeu

Quand l'artiste a présenté son travail au public lors de la semaine d'ouverture de la Biennale, il a, lui aussi, offert au stade une protection de terrain en plastique étanche sur lequel avait été imprimée la photo satellite d'un terrain vague en Afghanistan. Une superposition au pied de la lettre, et émotionnellement puissante. «L'idée de l'échelle, en relation avec les macro et microcosmes, m'intéresse particulièrement.» Échelle et règles se retrouvent dans «How to Play Beirut», une autre installation de Rayyane Tabet, réalisée en 2009. Anecdote: «Un soir à New York, un ami m'a demandé si je voulais jouer à "Beyrouth". J'ai découvert qu'il s'agissait d'un jeu à boire, inventé en 1983 par un diplômé en sciences politiques influencé par l'explosion, à Beyrouth, des bâtiments des marines un an auparavant. Sur une table de ping-pong sont placés, de part et d'autre du filet, douze verres de bière et deux autres aux deux extrémités diagonales de la table, faisant office de rince-balles. Les participants doivent viser les verres opposés en lançant les balles avec leur main et, s'ils gagnent, boivent.» L'artiste a donc mélangé jeu et topographie pour créer une saisissante table blanche de ping-pong, où tous les matériaux sont fidèles au jeu d'origine, recouverte d'une carte en relief de Beyrouth utilisée par les soldats américains lors de leur présence dans la capitale libanaise. Les 24 trous semblent attendre que le «jeu» commence... «Dans les sports collectifs comme le cricket et le ping-pong, je suis intéressé par la politique et la poétique du mouvement, du geste parfait, comme une chorégraphie.» Il rappelle le mouvement conceptuel en balancier qui l'a guidé sur ces deux projets très aboutis: «L'espace sans action et le moment dans l'action.»
Ses carnets de notes et de croquis ne le quittent jamais car «les histoires ne se perdent pas, elles se taisent un peu et s'aident l'une l'autre». Comme ce projet d'installation sonore qu'il souhaiterait installer dans le stade (sic) de Mexico. Deuxième anecdote: «Le premier son de mon enfance dont je me souviens parfaitement, c'est l'air qui a été joué à la radio pour nous signaler, pendant la guerre de 1975-1990, qu'il fallait immédiatement descendre aux abris, puis, immédiatement après, l'annonce du but marqué contre l'Angleterre par Maradona, celui de "la main de Dieu". Ce moment de l'action dure à peine un millionième de seconde.» Les histoires cachées de Rayyane Tabet sont à suivre dès juillet prochain, à San Diego puis à Dubaï.
La Biennale de Sharjah, qui fête cette année sa dixième édition, n'a pas attendu plus de deux ans pour commissionner «Home on Neutral Ground», l'installation de Rayyane Tabet sur site en trois parties (projection, présentation par l'artiste et publication) et le récompenser du Prix du meilleur artiste émergent. «Avant mon départ pour l'Amérique du Nord, j'étais tourné vers moi-même...

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