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Pétrole off-shore : un casse-tête de droit international pour le Liban - Ressources naturelles

I -Les ressources énergétiques au large des côtes libanaises : l’État confronté à des enjeux juridiques complexes

Depuis que des gisements de pétrole et de gaz naturel ont été découverts au large du Liban et des pays voisins, ce dossier est devenu source de fascination et de spéculations. Mais au-delà de l'enthousiasme généré par la perspective du forage, quels en sont les véritables enjeux géostratégiques ?

Le Parlement a voté le 17 août une loi qui réglemente l'exploration des réserves pétrolières et gazières au large du Liban. Le projet était sur le tapis depuis longtemps. « La loi organise le processus d'évaluation, d'exploration et d'extraction des ressources énergétiques », avait déclaré le député Ali Hassan Khalil, proche du président du Parlement Nabih Berry. Certes, le débat continue de faire rage au sein du gouvernement au sujet de l'autorité de tutelle qui devrait être en charge du fonds souverain et la forme que doit prendre l'organisme de régulation de ce secteur. Ces deux points ont d'ailleurs été ajournés et devront faire l'objet de textes de lois séparés. La loi adoptée, elle, n'a pas encore été publiée dans le Journal officiel.
Toutefois, au-delà de ces tiraillements politiques quotidiens, qui alimentent les déclarations de certains responsables, quels sont les enjeux géostratégiques qu'implique la perspective du forage de pétrole et/ou de gaz pour le Liban, notamment avec le problème de la délimitation, ou de la démarcation, des frontières maritimes avec ses voisins ? L'Orient-Le Jour a interrogé sur le sujet des experts indépendants.
Sur la question de la loi et de la démarcation des frontières, Nasri Diab, professeur à la faculté de droit de l'Université Saint-Joseph, avocat aux barreaux de Beyrouth et de Paris, ancien membre de l' « Institute of Petroleum » de Londres, estime que « ce qui est dit au sujet de la "nécessité impérieuse" d'avoir un texte de loi interne (voté au Parlement) réglementant le forage pétrolier en mer, afin d'être en mesure de protéger nos ressources naturelles maritimes contre les convoitises des États voisins, n'est pas tout à fait exact ». « La protection de ces ressources ne dépend pas d'un texte de loi interne, mais d'un acte juridique international, qui est la délimitation de la mer territoriale, ajoute-t-il. Et cet acte juridique international peut être accompli indépendamment de l'existence, ou pas, d'un texte de loi interne réglementant l'exploitation des ressources. »
Selon M. Diab, « la question de l'exploitation des ressources pétrolières et gazières en mer met à contribution deux branches du droit, tout à fait différentes : d'une part, le droit de la mer pour la délimitation des espaces exploitables et, d'autre part, le droit pétrolier pour l'exploitation des ressources ». Il évoque un principe essentiel du droit de la mer : la souveraineté de l'État s'étend sur la mer territoriale, qui est d'une largeur de douze miles maximum. « D'une part, l'État peut librement exploiter la mer, son fond et son sous-sol, et d'autre part, seul lui peut le faire, précise-t-il. Ceci couvre, bien entendu, les ressources minérales en tous genres que le sous-sol peut comporter et s'applique de manière adaptée mais assez similaire à l'exploitation du plateau continental dans les cas où il existe. »

Le cas des gisements transfrontaliers
Avec le droit pétrolier, les choses peuvent se compliquer. « L'exploitation des gisements de pétrole et de gaz soulève des problématiques spécifiques qui peuvent se superposer ou se distinguer des problématiques du droit de la mer, explique M. Diab. Il est aisé de dire que  sur douze miles, l'État exerce sa souveraineté. Il est également aisé de dire que cette souveraineté s'exerce aussi sur le sol. Dans les deux cas, il suffit d'établir des coupes claires pour savoir à quoi s'en tenir. Par contre, pour ce qui est de l'exploitation du sous-sol, les choses sont plus complexes. Qu'en est-il, par exemple, si le gisement est à cheval sur la frontière maritime séparant deux États ? Quid de la règle anglo-saxonne de la "capture" selon laquelle le propriétaire d'un terrain  qui obtient, en forant son propre terrain, du pétrole et du gaz ayant migré d'un terrain voisin détient valablement la propriété de ce pétrole ou ce gaz ? »
Mais il n'y a pas que les eaux territoriales. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), adoptée en 1982 et à laquelle le Liban a adhéré en 1994, donne aux pays le droit de délimiter d'autres zones exploitables. Hady Rached, avocat à la Cour, et conférencier en droit international et droit des affaires, explique que « cette convention permet à tout État côtier de délimiter des zones propres à lui ». « Outre les douze miles des eaux territoriales, l'État a ainsi la possibilité de créer une zone appelée contiguë, de douze miles également, dans laquelle il lui sera possible d'exercer, à titre d'exemple, une surveillance du trafic maritime, une lutte contre la contrebande, etc., poursuit-il. Au-delà de cette zone, il est également possible de définir ce qu'on appelle une zone économique exclusive (ZEE), pouvant aller jusqu'à 200 miles marins (en tout), mais cela dépend des vis-à-vis, bien sûr. »
Me Rached révèle qu'un projet de loi avait été élaboré au Liban en 1996 pour permettre la délimitation de pareilles zones. « À l'époque, les autorités avaient en tête d'autres ressources que le pétrole, souligne-t-il. Pour la ZEE, le texte l'a habilement fixée à 55 miles marins, étant donné que la distance qui nous sépare de Chypre est de 110 à 120 miles. Il était possible donc de baser des pourparlers avec ce pays sur ce chiffre, puisqu'il coupe la distance en deux. Malheureusement, ce projet de loi n'a pas été adopté. Il faudrait qu'il le soit pour que la loi sur le pétrole récemment votée devienne applicable. C'était la recommandation du Comité de légifération et de consultation du ministère de la Justice, quand le ministère de l'Énergie et des Ressources hydrauliques lui a récemment demandé son avis concernant son projet de loi sur l'exploitation du pétrole. »  Et M. Rached d'ajouter : « Il faudrait aussi délimiter le plateau continental. Sur ce plan, les autorités libanaises avaient également suggéré la superficie de 55 miles. »
Il restera, cependant, l'épineuse question de la délimitation des frontières maritimes. Chypre à l'Ouest, Israël au Sud, la Syrie au nord. Trois défis totalement différents les uns des autres, la relation du Liban avec certains de ses voisins étant, pour le moins, compliquée. Or la démarcation des frontières est une nécessité sans la perspective du forage, et elle devrait se faire, selon les règles, en accord avec les voisins, sachant que le Liban reste en état de guerre avec l'un d'eux. Les responsables libanais disent avoir déjà envoyé tous les documents aux Nations Unies. Cela suffira-t-il à protéger le Liban des convoitises de certains de ses voisins ? Rien n'est moins sûr.

Un « leadership historique »
En tenant compte de toutes ces difficultés potentielles, que changerait le forage de pétrole pour le Liban ? « Une telle ressource représente en même temps une bénédiction et une malédiction », estime le chercheur Nabil Khalifé, auteur du récent ouvrage Géopolitique du Liban, la stratégie libanaise, consacrant  l'un de ses chapitres au pétrole.
  « D'un point de vue positif, une telle ressource donne au pays un atout puissant et une crédibilité, souligne M. Khalifé. S'il est confirmé qu'il  peut exploiter jusqu'à plusieurs milliards de barils de pétrole, le Liban devient un facteur influent dans l'économie mondiale. Notre dette de 50 milliards de dollars ne représentera alors qu'une petite partie des bénéfices que nous pourrions en tirer. De plus, les États-Unis auront une motivation pour préserver ce pays, sans jamais plus le considérer comme une monnaie d'échange, comme par le passé. D'un point de vue plus négatif, cela éveillera de nouvelles visées sur le territoire libanais de la part des voisins. Je prévois donc des tiraillements, et peut-être une répartition des concessions entre différentes sociétés. Et c'est là qu'il faut se poser la question autrefois soulevée par le grand homme politique Hamid Frangié : les Libanais feront-il preuve de l'éveil nécessaire pour contrer toutes ces convoitises et protéger leurs intérêts ? »
Interrogé sur sa vision de la manière avec laquelle le Liban devrait se préparer à l'extraction du pétrole dans ses eaux, M. Khalifé répond : « Je dirais à la population et à l'intelligentsia libanaises que le Liban a toujours eu, à travers les âges, des chances de se sortir d'un pétrin. Le pétrole est une chance à ne pas laisser passer et dont il faut profiter. Cette fortune que nous avons entre les mains est à la fois considérable et dangereuse. Ce qu'il faut, c'est un éveil et un leadership historiques. Un leader dit hisorique est capable de concentrer en lui ses espoirs et les espoirs de son peuple, afin d'aller de l'avant. Il est conscient de sa mission et a une véritable vision, une vision qu'il doit suivre jusqu'au bout en n'importe quelles circonstances. Il doit aussi fonder ses décisions sur les conclusions des chercheurs et des penseurs. »

Prochain article : Estimations et risques écologiques
Le Parlement a voté le 17 août une loi qui réglemente l'exploration des réserves pétrolières et gazières au large du Liban. Le projet était sur le tapis depuis longtemps. « La loi organise le processus d'évaluation, d'exploration et d'extraction des ressources énergétiques », avait...