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Culture - Vient de paraître

Souffle des jasmins contre poudre des canons

Pour cet été chaud, un livre d'une brûlante actualité. Les bouleversements du Moyen-Orient de 1919 jusqu'à 1956, sous la plume du romancier Gilbert Sinoué. Dans le premier volume d'un diptyque intitulé « Le souffle du jasmin »* (Flammarion, 436 pages) l'auteur brosse, à travers la saga de quatre familles de la région, une fresque historique mouvementée et richement documentée.

Comment expliquer les attentats du 11-Septembre aux États-Unis, quand on sait que tous les pirates de l'air venaient du Moyen-Orient ? C'est à cette question que l'auteur d'Erevan et de La Reine crucifiée tente de répondre, en interrogeant l'histoire. Une histoire qui devrait donner les clefs d'une politique où Occident et Orient n'ont pas fini de s'affronter. Et c'est peut-être pour cela que le surtitre de l'ouvrage est Inchallah. Cet « inchallah », par-delà toute religiosité, emphase ou lyrisme, si libérateur dans la langue arabe car, dans la traduction de ce « si Dieu le veut », il y a toujours de l'espoir. Espoir de dissiper les malentendus, contrecarrer les idées de domination, conjurer les mauvais esprits, arrêter les carnages des canons, rétablir décence et dignité, et faire régner un certain équilibre, une certaine équité.
Pour tailler dans le vif du sujet, c'est-à-dire la genèse de la poudrière au Moyen-Orient, Gilbert Sinoué jette dans les pages de ce volumineux opus, mêlant étroitement fiction et réalité, quatre familles entre Bagdad, Le Caire, Alep, Gaza, Tel-Aviv et Haïfa. Pour ces familles (les Palestiniennes Shahid et Tarboush, l'Égyptienne Loutfi, la Juive Marcus et l'Irakienne el-Safi), le destin, par-delà des moments d'opulence, de plénitude ou d'euphorie, a les couleurs tragiques de la violence, des malheurs, des déplacements et du sang. Ici, le cours de l'existence est bouleversé et le parfum du jasmin est soufflé par la poudre des canons qui tonnent.
Destins entrecroisés pour un horizon irrémédiablement embrasé. Avec des personnages fragiles et forts, sensibles et guerriers, pris dans l'étau d'une tornade mortelle qui laisse peu de place aux sentiments délicats ou énamourés. Des personnages, certes haut en couleur, mais qui seront, en dépit de leurs préoccupations matérielles d'hommes qui n'ignorent rien des affaires et des spéculations commerciales, des êtres confrontés aux séismes imparables et implacables d'une région.
De Hussein Shahid, armateur et producteur d'agrumes, à Fari Loutfi bey, gros planteur de coton, les remous sociaux sont des barrages qui font craquer l'ordonnancement, la quiétude et la stabilité d'une vie. De la déclaration de Balfour au réveil des nationalismes et fondamentalismes arabes, la blessure et la gangrène des conflits ne font que s'agrandir, s'aggraver et se détériorer.
Dans un Moyen-Orient partagé entre Anglais et Français, l'État d'Israël est né, planté comme un couteau au cœur de l'arabité, avec son cortège d'aberrations et d'injustice. Un cortège roulant sur un incendie permanent dont les feux rougeoyants, fatals, sanglants et haineux n'ont pas fini de semer guerres, souffrances, destructions et morts.
C'est par conséquent cette tranche de l'histoire, allant de la Première Guerre mondiale jusqu'à la bataille du Sinaï, en passant par la création de l'État hébreu, que ce roman se propose d'éclairer, à travers un « docu-roman », mené tambour battant, avec un vrai souffle de conteur oriental aux dialogues alertes et fins. Mais il arrive aussi que cela frise la leçon géopolitique malgré une érudition savamment coulée dans le texte.
Si la langue française utilisée est claire, simple et fluide, elle ne manque pas non plus parfois, par-delà dates précises, accords, traités et autres sournoiseries, accusations ou révélations de la diplomatie, d'un certain lyrisme ou de quelque poésie. Pour Gilbert Sinoué, auteur déjà de plus d'une vingtaine d'ouvrages, né en 1947 en Égypte, élève des pères jésuites et formé dans l'art de pincer les cordes d'une guitare dans les normes de la musique classique, ce livre est aussi en quelque sorte un regard analytique sur le passé, une sorte d'arbitrage et d'explication pour le rôle dont chacun s'est emparé, un retour aux sources et un besoin de retrouver les origines et les racines. Les racines d'un mal qui ronge une région entière et dévaste ses populations.
Docte et prenante leçon d'histoire, avec des exergues soigneusement choisies au début de chaque chapitre, attestant d'une belle culture pour lever les voiles, à travers personnages de fiction, événements marquants, faits irréfutables et documents, aux dessous, sous-entendus et pièges de l'histoire... Un livre sérieux où l'on ne s'ennuie pas.
Mais, pour terminer, quelle meilleure conclusion que de citer Gilbert Sinoué dans le sillage de son Inchallah : « Il faut garder en mémoire nos rêves, avec la rigueur du marin qui garde l'œil rivé sur les étoiles. Ensuite, il faut consacrer chaque heure de sa vie à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour s'en approcher, car rien n'est pire que la
résignation. »

* Ouvrage en vente à la librairie Orientale

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