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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Vents du Nord

Le plus atterrant dans les événements du Liban-Nord, c’est le coup sévère qui vient d’être porté à plus d’un de ces mythes, ces tabous qui, vaille que vaille, entretiennent en nous la fragile espérance d’une reconstitution de l’État libanais.

 

Cela fait des décennies, ainsi, que l’on s’efforce de croire que la guerre de 1975-1990 était la der des ders, que les Libanais en sont revenus une fois pour toutes. Or le monstre est loin d’être mort et enterré, et il ne cesse ces derniers temps de montrer son hideux museau tantôt à Tripoli, tantôt dans la Békaa ou dans la capitale. On a fait semblant de croire aussi que si la plupart des institutions étaient en déglingue continue, il en subsistait tout de même une ou deux capables encore de faire barrage à la résignation. Nul pourtant n’a jamais été dupe des capacités limitées, pire encore des failles structurelles d’une armée qui n’est après tout que le reflet, couleur kaki, d’une population (et c’est à dessein que je n’écris pas peuple) livrée à toutes sortes de clivages.


Elle a dû, cette armée, livrer en toute hâte, à la frontière sud, de coûteuses batailles dont elle n’avait choisi ni les modalités ni le moment, la milice le faisant pour elle et allant même jusqu’à interdire à ses hélicoptères le survol de certaines zones sensibles. Trop souvent assignée à des tâches de police, elle a constamment eu à choisir entre les aléas de l’intervention et l’infamie de l’inaction. De ces dérives est née cette incroyable hérésie qu’est la sécurité à l’amiable, laquelle fait de toute faction politique – et même de chaque bande armée – l’interlocuteur agréé, et quasiment l’égal, de l’autorité étatique.


Tout cela, c’est de l’histoire ancienne. Ce qui est dramatiquement nouveau, c’est la révélation, avec le grave incident de dimanche dernier dans le Akkar au cours duquel deux hommes de religion sunnites ont été froidement abattus à un barrage de sécurité, de l’ampleur de ce mal sectaire qui empoisonne depuis longtemps la vie politique du pays et qui a fini par se glisser au sein de la troupe. Seul un châtiment exemplaire frappant les officiers et soldats coupables peut éviter la réédition de tels actes. Et, du coup, préserver l’honneur d’un commandement militaire que crises et impasses politiques ont transformé ces dernières années en antichambre de la présidence de la République ...


Mais que vaudrait l’autorité étatique si elle venait à être rétablie un jour sans la force du droit, sans le strict respect par les organes sécuritaires des libertés publiques, sans aussi la totale indépendance de la justice ? L’armée n’aura pas été seule en effet à pâtir des bourrasques soufflant du Nord. La semaine dernière, c’est l’arrestation, apparemment intempestive, par la Sûreté générale d’un jeune militant islamiste qui avait mis la ville de Tripoli en effervescence ; l’opération était cautionnée après coup par un mandat judiciaire qui a été lestement gommé hier. Or, de deux choses l’une : ou bien les motivations réelles de cette rafle restent à éclaircir, à la lumière des incidences locales de la crise syrienne ; ou bien alors Chadi Mawlaoui était effectivement affilié à el-Qaëda, et les responsables auraient donc cédé à la raison de non-État, à la nécessité d’apaiser les manifestants de Tripoli, pour faire marche arrière.


En tout état de cause, c’est sous une caution des plus modiques qu’après tout ce tumulte, Chadi Mawlaoui a été remis en liberté. Et c’est à bord de la voiture du ministre des Finances Mohammad Safadi qu’il a été triomphalement reconduit chez lui et accueilli en héros.


On se sera tout juste retenu de lui présenter des excuses...

 

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Le plus atterrant dans les événements du Liban-Nord, c’est le coup sévère qui vient d’être porté à plus d’un de ces mythes, ces tabous qui, vaille que vaille, entretiennent en nous la fragile espérance d’une reconstitution de l’État libanais.
 
Cela fait des décennies, ainsi, que l’on s’efforce de croire que la guerre de 1975-1990 était la der des ders, que les Libanais...

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