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À La Une - Opinion

Lettre ouverte de Nabil Khalifé à Benoît XVI : Les chrétiens d’Orient doivent initier la troisième Renaissance arabe

Le pape Benoît XVI devrait effectuer une visite au Liban dans le courant de cette année, l’objectif étant, entre autres, de rendre publique l’Exhortation apostolique des Églises d’Orient. À cette occasion, le Dr Nabil Khalifé, spécialiste en questions géopolitiques, a adressé au souverain pontife une lettre ouverte dans laquelle il expose les appréhensions et les préoccupations des chrétiens d’Orient, ainsi que les défis auxquels ils sont confrontés, notamment dans le cadre du printemps arabe. Nous publions dans les lignes qui suivent une première partie de cette lettre ouverte qui aborde le volet des défis et des appréhensions des chrétiens, ainsi que le cas particulier du Liban.

Le pape Benoît XVI pourrait visiter le Liban cette année.

Du plus profond de l’amour chrétien et maronite, et de l’authenticité de l’identité libanaise, je m’adresse à Votre Sainteté, mû par cinq considérations :


1 – Parce que vous êtes le pape de la foi et de la raison dans l’Église. L’étendue et la profondeur de votre pensée liturgique, dans ses dimensions spirituelles, religieuses, philosophiques, morales et sociales constituent une richesse qui a marqué la pensée de l’Église catholique durant près d’un tiers de siècle et qui la marquera pendant au moins les deux prochains siècles.
C’est en cette qualité, celle du penseur avant tout, que j’ai estimé qu’il est de mon devoir de m’adresser à Votre Sainteté, non pas en tant que personne qui a une fonction ou un pouvoir ecclésiastique, mais plutôt en tant qu’homme conscient, engagé et responsable. Tout en ayant foi profondément en votre autorité, celle de saints Pierre et Paul, dans la gestion de l’Église du Christ, je pense qu’en définitive la crédibilité de l’Église ne réside pas dans un charisme papal et humain qui éblouit, mais elle repose avant tout sur un potentiel spirituel, humain et rationnel fructueux : c’est cela qui est pérenne et utile pour les croyants, l’Église et l’humanité entière, comme cela fut le cas durant toute l’histoire de l’Église.


2 – La possibilité, voire la confirmation, de votre visite au Liban en 2012 afin d’annoncer l’Exhortation apostolique des Églises d’Orient. Je n’ai eu de cesse, lors des réunions de la commission de préparation du jubilé des 1 600 ans de saint Maron, de souhaiter cette visite. À chaque réunion de la commission, je suggérais que vous soit adressée une invitation à visiter le Liban, soit pour clôturer la célébration du jubilé, soit pour proclamer l’Exhortation apostolique. Le rêve que j’avais durant l’année 2011 se réalisera ainsi si Dieu veut.


3 – La situation et les bouleversements dont sont le théâtre le monde arabe et le Moyen-Orient. Ces bouleversements imposent, surtout aux chrétiens, d’avoir un haut degré de foi, de conscience et de sagesse afin de comprendre ces développements et de les traiter à la lumière de leur foi, de leur histoire, de leur rôle, de leur patrimoine et de leur vision d’avenir. Toute erreur dans l’analyse, dans la compréhension, dans la vision et le comportement constitueraient une catastrophe pour eux.


4 – Nous avons le sentiment que notre Église fait face à une situation délicate et difficile du fait des pressions extérieures auxquelles elle est confrontée et en raison de ses structures internes et de l’attitude vaticane à son égard. Je ne fais pas allusion ici aux échelons ecclésiastiques uniquement, mais à l’Église dans la conception du concile Vatican II en tant que peuple de Dieu. J’écris ces lignes en ayant à l’esprit la situation à laquelle est parvenue notre Église maronite, comme l’illustrent les déplorables positions adoptées lors de la dernière réunion de Bkerké.


5 – Vos liens directs avec nos Églises d’Orient permettent de vivre la réalité et de la comprendre. Ils permettent d’explorer l’avenir des Églises d’Orient dans ses dimensions géographiques et humaines. Votre présence sur la terre du Liban, terre de sainteté en Orient, avec tout ce que cette présence représente comme poids au niveau spirituel, moral et de la pensée, constitue l’un des principaux facteurs du dialogue interreligieux qui contrôle les effets géopolitiques des religions monolithiques dans notre région. Cette géopolitique est explosive et présente trois aspects, les rivalités, les disputes et les conflits autour de Dieu, de l’homme, de la terre, des valeurs et de l’histoire en même temps.

– II –

Ce qu’endurent les chrétiens au Liban et au Moyen-Orient ce ne sont pas simplement des craintes ou des appréhensions, mais de véritables préoccupations. Ce à quoi ils sont confrontés ne se limite pas à des situations affectives (les craintes et les appréhensions). Il s’agit de quelque chose d’une tout autre dimension et de beaucoup plus profond, en l’occurrence des préoccupations et des inquiétudes qui incarnent des valeurs philosophiques, existentielles, morales se rapportant à la foi, à l’esprit, aux valeurs, à l’homme et à la patrie dans le cadre du mouvement de l’histoire. L’expression la plus significative de ces préoccupations se reflète dans les défis auxquels sont confrontés les chrétiens. Ces défis sont dus principalement au fait que nous sommes une « église frontalière » (entre l’Orient et l’Occident, entre le monde musulman et le monde chrétien, de l’Arménie à l’Égypte...). Cette position particulière nous place inexorablement dans une situation de confrontation, de conflit et de lutte, car ce qui est frontalier, dans le sens géopolitique, nous place « à la frontière du danger permanent », comme le soulignait notre grand penseur Michel Chiha.


Le premier défi est d’ordre spirituel, intellectuel et culturel, né du fait que nous sommes les enfants de la religion du fils, le fils de Dieu qui est entré dans l’histoire, ce qui s’exprime par la liberté, le pluralisme, la démocratie et la modernité. Nous sommes les enfants de la religion du père, en dehors de l’histoire, ce qui s’exprime par l’unicité et le fondamentalisme, par le retour au passé-modèle. Historiquement, nous avons été, et nous devons rester, la collectivité de l’enracinement et de l’ouverture : l’enracinement dans la culture arabo-syriaque d’Orient ; et de l’ouverture sur la civilisation occidentale. Grâce à l’enracinement, nous avons préservé l’authenticité, et par l’ouverture, nous avons initié la modernité. Ce dipôle nous a donné la possibilité de réaliser la première puis la deuxième Renaissance arabe, dans l’attente d’être, et de demeurer Paulistes, et d’initier la troisième Renaissance. Il s’agit là d’une promesse et d’un engagement.


Le deuxième défi est d’ordre géographique, démographique et géopolitique. Il pose le problème de la relation de notre Église avec la terre, et donc de la relation des religions et des confessions avec les symboles. Il pose le problème de l’impact du nombre, sans cesse décroissant, sur l’existence des Églises, leur présence et leur devenir, la question étant de savoir dans quelle mesure l’enracinement dans la terre pourrait compenser le facteur « nombre ». Le modèle sur ce plan est l’Église maronite et son lien avec le Liban, en tant qu’État et entité.
C’est dans ce cadre qu’apparaît le troisième défi : le défi internationalo-géopolitique et existentiel portant sur le Liban et ce qu’il représente comme refuge ancien, historiquement et géographiquement, pour les chrétiens et les minorités, et par conséquent comme signification et importance en tant que patrie définitive, souveraine, libre et indépendante, qu’il faut préserver du fait qu’elle représente une terre de convivialité, du pacte au service d’une cause ; un pacte avalisé implicitement par chaque minorité installée au Liban, un pacte qui a été par la suite rédigé par écrit, de manière à incarner le point de rencontre de ceux qui sont opprimés dans leur liberté, leurs espoirs, leurs aspirations à préserver la terre et la liberté « (le patriarche Sfeir, message à l’occasion de la saint Maron... le maronitisme... et le Liban – 2010).

– III –

La cause libanaise est, dans le fond, l’essence de ces défis et une réponse à ces derniers, de manière à affirmer deux constantes :


– L’homme libanais libre, tant sur le plan personnel qu’existentiel et de l’identité « car la liberté véritable est dans l’homme, le signe distinctif de l’image de Dieu en lui » (concile Vatican II, statut, clause 17).
– La patrie libanaise libre, en tant qu’entité, société et État, dans ses frontières historiques. De par la perception de la plupart de ses fils et la volonté de la légalité internationale, il représente une réalité historique et géographique, un espace de liberté, un laboratoire pour le dialogue religieux et l’interaction culturelle et de civilisations. Cela confirme l’existence d’une dialectique entre les Libanais et la liberté. Sans elle, les Libanais n’existeraient pas et la raison d’être du Liban disparaîtrait. La liberté est en effet le critère de l’existence des Libanais, de leur force, de leur culture, de leur avenir, de leur pérennité à travers l’histoire. Et la souveraineté de l’espace géographique libanais est la garantie internationale du maintien et du développement de cette liberté. Elle représente la relation entre l’homme, la terre et la liberté.

Prochaine partie : Le défi du printemps arabe

Du plus profond de l’amour chrétien et maronite, et de l’authenticité de l’identité libanaise, je m’adresse à Votre Sainteté, mû par cinq considérations :
1 – Parce que vous êtes le pape de la foi et de la raison dans l’Église. L’étendue et la profondeur de votre pensée liturgique, dans ses dimensions spirituelles, religieuses, philosophiques, morales et sociales...

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