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Nos Lecteurs ont la Parole

Se réconcilier avec soi-même

Par Fady CALARGÉ
Loin de dénoter une théorie théologique, le titre de ce texte propose de renvoyer à une réalité humaine. La situation actuelle du monde ne peut laisser indifférent un individu doté d’un minimum de bon sens. On assiste en effet à une vague d’endurcissement des «convictions» et à un repli sur ce que Amin Maalouf appelle «les identités meurtrières». Ce repli s’exprime de plus en plus clairement, et pas seulement dans les pays touchés par ce qu’on a appelé le «printemps arabe».
«La révolution du jasmin», «le printemps arabe», etc., autant d’appellations «pacifiquement colorées» qui avaient, au départ, pour but le renversement pacifique de gouvernements longtemps usurpés par des dictateurs peu soucieux du bien-être de leurs populations. Mais ce printemps s’est avéré plein de «faux espoirs»; il prouve pour la énième fois que l’homme mène l’histoire à une irréversibilité existentielle. Depuis les philosophes grecs, nous essayons de comprendre les fondements rationnels de nos sociétés, et pourtant les hommes ne se lassent toujours pas d’explorer les possibilités de leur autodestruction. L’histoire des guerres le montre, le démontre. Une vocation? Une malédiction? La nature humaine? Les théories sont nombreuses qui tentent d’expliquer la propension humaine à la violence. Ce qui est sûr, c’est que les dieux ont déjà commis l’erreur de créer l’homme.
Depuis un certain temps, la Terre se sent mal à l’aise et s’efforce de rejeter cette espèce «en excès». Il est déjà prouvé scientifiquement que l’humanité consomme la production naturelle annuelle en 9 mois. D’où cette évidence: un déficit au niveau des ressources. Et personne ne réagit. Il existe une autre preuve scientifique, celle qui consiste à dire que toutes les espèces vivantes – l’être humain excepté – protègent l’environnement dans lequel elles vivent afin d’assurer leur survie. Elles travaillent ainsi à y perdurer le plus longtemps possible, contrairement à l’homme, parasite opportuniste qui vit aux dépens de toutes les autres espèces afin de combler son existence mesquine de confort et de loisirs. Un Libanais réagirait en disant: «Si la Terre parlait, elle dirait...» En réalité, si la Terre ne parle pas, c’est parce qu’elle a, coincée dans sa gorge, une créature qu’elle s’efforce de vomir. N’est-elle pas en quelque sorte condamnée à rejeter inlassablement cette humanité dont la survie nécessite une existence meurtrière?
Lorsque l’agent subit lui-même l’acte violent et meurtrier qu’il mène à terme, la logique qualifie cela de suicidaire. Les gouvernements, partis politiques de gauche ou de droite, révolutions, castes militaires, etc., tous ces mots sont des expressions déguisées de l’agressivité, rendue légitime et acceptable, de l’homme; des manifestations désolantes de l’exercice du pouvoir de l’homme sur l’homme. Une volonté psychopathe de gouverner, de posséder, de profiter, de détruire, en un mot de se suicider.
Ce qui me pousse à prendre la plume, c’est la réaction des jeunes d’aujourd’hui. Je me limiterai à la situation des jeunes universitaires libanais. En effet, depuis quelques semaines, j’entends de plus en plus des étudiants dire qu’ils sont prêts à porter des armes et à tuer toute personne qui oserait contredire leurs convictions idéologiques. Ce qui me choque, c’est le fait que ces jeunes le disent le plus naturellement du monde! Annihiler l’existence d’une autre personne! On dirait que cela leur est aussi facile que d’effacer un mot dans un essai philosophique. Quand je parle avec eux des droits de l’homme, ils sont tous d’accord sur le fait que chacun a deux droits sacrés: celui de s’exprimer librement et celui d’être écouté respectueusement. Cependant, quand il s’agit de mettre en pratique ces droits, les limites de leur bonne volonté sont mises à rude épreuve.
Comment faire comprendre alors à ces jeunes innocents que l’Autre est une personne à part entière? Comment leur faire comprendre que leurs homologues sont en devenir? Ils sont des créatures qui sentent, qui respirent, qui souffrent, qui ont des droits, les mêmes droits qu’eux. Comment leur expliquer que l’Autre n’est que «moi», mais dans une apparence physique différente? Comment leur apprendre à respecter sa différence, à être tolérant? Tant de questions qui nous interpellent, nous les enseignants. Quel système éducatif devrions-nous adopter afin de faire de cette «espèce humaine» des générations futures? À mon avis, le moment est propice pour mener une réflexion de fond indispensable, qui repenserait les bases de notre système éducatif scolaire et universitaire.
L’option de la violence, le Liban l’a prise en 1975. Il l’a déclinée sous toutes les formes et conjuguée à tous les temps. La fin des combats, en 1990, ne représentait pas la paix pour autant. En l’absence d’une vision nationale de la guerre, les citoyens se sont repliés sur des mémoires collectives antagoniques, articulées autour de sentiments paranoïaques de persécution et de victimisation. La mémoire du trauma, absente du discours national, a été refoulée avec le souvenir de la guerre. Au lieu de quoi, une culture de la violence et de l’intolérance a continué à fleurir, faisant surface par intermittence, rappelant à tous que nous sommes loin de la paix véritable... Une nouvelle génération est née et a grandi depuis la fin de la guerre, qui n’a jamais connu les excès et les horreurs de ses aînés et qui est prête, aujourd’hui, à commettre les mêmes fautes.
Disons pour l’instant qu’il serait opportun d’agir selon la maxime de H. Jonas, qui proclame: «Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre(1)» Mais comment être authentiquement humain dans la vie? Question à laquelle chacun de nous devrait réfléchir pour en faire la base de son action. N’est-ce pas la même chose que de dire: «Agis de telle manière que tu réconcilies les dieux, la nature et l’Autre»? Ou, pour le dire autrement encore: «Agis de telle manière que tu te réconcilies avec toi-même»?


(1) JONAS H., «Le Principe de responsabilité», Flammarion, 2001, p. 40.
Loin de dénoter une théorie théologique, le titre de ce texte propose de renvoyer à une réalité humaine. La situation actuelle du monde ne peut laisser indifférent un individu doté d’un minimum de bon sens. On assiste en effet à une vague d’endurcissement des «convictions» et à un repli sur ce que Amin Maalouf appelle «les identités meurtrières». Ce repli s’exprime de plus...

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