Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

La Tunisie entre salafisme et ennahdisme... Sur fond de benalisme latent

Par Pierre PICCININ
Si la révolution tunisienne a triomphé des pièges qui ont eu raison du soulèvement égyptien, sa marche vers la démocratie est aujourd’hui menacée par deux fléaux incontrôlables.
Tandis qu’en Égypte les Frères musulmans se sont entendus avec l’armée et l’establishment, même si le bras de fer persiste, chacun tirant la couverture à lui, en Tunisie, en revanche, la société civile a su s’affirmer en créant la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, qui a évincé l’ancien gouvernement qui, Ben Ali parti, continuait cependant de gérer le pays.
Mais la révolution tunisienne est aujourd’hui menacée : par Ennahda, qui tente d’imposer toutes ses volontés au sein d’un gouvernement où elle occupe une place prédominante ; et par la mouvance salafiste, qui refuse le jeu politique et n’a pas hésité, en juin, à appeler à l’insurrection générale, quelques jours après qu’a circulé un discours d’Ayman al-Zawahiri, le leader d’el-Qaëda, qui incitait le peuple tunisien à défendre la charia.
S’en sont suivis des troubles violents, dans plusieurs quartiers de Tunis, d’abord, les 11 et 12 juin, qui ont contraint le gouvernement à imposer le couvre-feu dans plusieurs villes de Tunisie. Et le phénomène est résurgent: en janvier, des salafistes s’étaient rendus maîtres de la ville de Sejnane, jugeant publiquement les personnes coupables d’actes contraires à la charia. Certains condamnés, pour avoir bu du vin ou n’avoir pas été présents à la prière, ont été roués de coups. En mai, à Jendouba, un califat indépendant avait été proclamé ; les cafés, hôtels, restaurants et cinémas, avaient été fermés, les commerces d’alcool, vandalisés. À Kairouan, le 20 mai, cinq mille salafistes avaient occupé le centre-ville.
Face aux islamistes de tous poils, les deux partis socio-démocrates et laïcs, qui forment avec Ennahda la troïka du gouvernement transitoire, font difficilement le poids. Le parti Ettakatol de Moustapha Ben Jaafar et le parti du Congrès pour la République de Moncef Marzouki tentent tant bien que mal, au prix de concessions parfois extrêmes, d’éviter le conflit avec Ennahda, dont l’aile radicale partage avec les salafistes un certain nombre de revendications, en matière de justice, de droit de la famille, des droits de la femme et d’enseignement...
Les partis laïcs doivent faire face aux attaques des ennahdistes, dont la plus audacieuse fut l’extradition de Baghdadi Mahmoudi, l’ancien Premier ministre de Mouammar Kadhafi.
Le président Marzouki, ancien chef de la Ligue des droits de l’homme tunisienne, avait refusé cette extradition vers la Libye, pays actuellement en plein chaos. Et c’est par la presse que, le 2 juin, le président tunisien avait appris comment le Premier ministre ennahdiste, Hamadi Jebali, avait outrepassé son veto.
Cet épisode a porté un coup dur à l’image du président. Le peuple tunisien n’a semble-t-il pas encore tourné la page et conserve de la présidence l’idée de l’homme fort, celle du raïs.
Le fait est aussi que, tapis dans l’ombre, les fonctionnaires de l’ancien régime restent en place. Et, tandis que le médecin humaniste travaille du matin jusqu’au soir au palais de Carthage, dans les restaurants huppés de Tunis, les grands commis de l’État ne se privent pas de festoyer comme au « bon vieux temps » de la dictature. Et les médias, comme grisés par leur toute nouvelle liberté d’expression, s’en donnent à cœur joie, critiquant l’ancien hôte des geôles bénalistes tout en brocardant le président, souvent affublé de sobriquets peu flatteurs par une jeunesse impatiente de changements et qui n’a pas compris qu’elle assiste peut-être au naufrage de son seul atout.
À l’aune de l’incompréhension populaire, le geste du président tunisien, soucieux de préserver la coalition et de faire aboutir les travaux de l’Assemblée constituante, pourrait bien lui coûter l’élection de mars 2013 ; et livrer la Tunisie, pieds et poings liés, à un islam radical ainsi débarrassé de toute forme de contre-pouvoir.
Bien que... S’il faut en croire la rumeur, Ennahda a beaucoup déçu ; et le nom de Béji Caïd Essebsi, ancien membre du RCD, le parti de Ben Ali, revient fréquemment dans les conversations des Tunisiens, pour qui il incarne la promesse du rétablissement de l’ordre. « La rue veut un chef ! »
La Tunisie postrévolutionnaire, si elle échappait à l’islamisation, pourrait ainsi goûter à l’amertume d’une manière de retour à l’ancien régime.

Pierre PICCININ
Historien et politologue
Mohammad Ali al-CHAMTOURI Rédacteur en chef du site de presse tunisien TIWINOO
Si la révolution tunisienne a triomphé des pièges qui ont eu raison du soulèvement égyptien, sa marche vers la démocratie est aujourd’hui menacée par deux fléaux incontrôlables.Tandis qu’en Égypte les Frères musulmans se sont entendus avec l’armée et l’establishment, même si le bras de fer persiste, chacun tirant la couverture à lui, en Tunisie, en revanche, la société...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut