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Nos Lecteurs ont la Parole

Peut-on être prosyrien et porter le cèdre au cœur ?

Par Mikå MERED*
Depuis le mariage d’Ivan le Grand, grand prince de Moscou, avec la nièce du dernier empereur byzantin en 1472, les élites moscovites se sentirent investies de la mission de libérer le potentiel de la « troisième Rome ». Mais comment peser sur le monde quand on est prisonnier des glaces nordiques et du Bosphore ?
Héritière de cette vison géostratégique, la doctrine Poutine cherche également à sécuriser un accès direct et durable à la Méditerranée pour exister face à l’OTAN. Or la situation est aujourd’hui grave : les bases militaires en Égypte ont été abandonnées en 1977, la Yougoslavie amie n’est plus et la Serbie est enclavée depuis l’indépendance du Monténégro pro-OTAN en 2006. Reste Tartous, pièce maîtresse de la politique pluridécennale de réarmement engagée par M. Poutine.
Pied de nez à l’OTAN, Tartous est aujourd’hui une base navale permanente sur la côte syrienne où mouillent quatre sous-marins nucléaires d’attaque, que le vaisseau amiral Kuznetsov vint visiter le mois dernier en soutien officieux à Assad. Dès lors, le succès de toute mission « façon Libye » serait relatif tant les conséquences sont incalculables au vu des intérêts directs des puissants alliés de la Syrie baassiste.
Voyons plutôt : à l’inverse de la Libye, il est illusoire de parier sur un abandon d’Assad par ses alliés. D’une part, le coût d’engagement dans l’escalade diplomatique étant déjà énorme, les chancelleries occidentales ne feront aucune nouvelle concession et préféreront la force discrète. D’autre part, Moscou comme Pékin ne peuvent décrédibiliser leur parole diplomatique à travers le monde : une « trahison » d’Assad après celle de Kadhafi apparaîtrait aux yeux de leurs alliés comme une nouvelle stratégie internationale.
Dans ce cadre, quid du voisin libanais ?
Instantanément, la chute d’Assad provoquerait le rupture de l’axe régional Hamas-Hezbollah-Damas-Bagdad-Téhéran. L’intérêt des grandes puissances pro et anti-Syrie réside dans sa position de courroie de transmission politique, économique et militaire au sein de cet axe. En somme, pour les anti-Assad, retourner Damas, c’est passer le dernier obstacle à un remodelage profond de la région au profit de Washington et Tel-Aviv. Toutefois, pour le Liban dans un Moyen-Orient déstabilisé pour des décennies par la balkanisation de la Syrie en de multiples territoires sur des fondements ethnico-religieux, le maintien ou non de l’axe régional importe peu.
Le pays du Cèdre est en effet dans une situation perdant-perdant : si l’axe régional disparaissait, l’arsenal militaire syrien serait transféré au Hezbollah pour usage au Liban ou vers Israël – sombre perspective. De l’autre côté, le maintien d’Assad et de l’axe régional passera par une déstabilisation du Liban.
Dans cette optique, la crise syrienne est partie pour durer, vu que nous ne sommes qu’au stade de la proposition de réformes supposément démocratiques. C’est le stade où il est intéressant tant pour la dictature que pour ses alliés étrangers de provoquer des troubles ailleurs pour asseoir son pouvoir. En effet, quoi de mieux pour stabiliser la Syrie une fois pour toutes par la répression que de détourner l’indignation de la communauté internationale vers le voisin libanais que beaucoup voient comme chroniquement instable ? Voilà le scénario cyniquement réaliste auquel le Liban doit se préparer.
Tous les ingrédients sont réunis. Entre le 8 Mars et le 14 Mars, plus que jamais, la méfiance est totale, la défiance est constante, et, de plus, les troubles tripolitains ne sont qu’un début. Le débat fondamental qui s’impose aujourd’hui au Liban est de savoir si le peuple considère réellement le 8 Mars comme une force républicaine dont l’intérêt premier est l’avenir de la nation libanaise.
En somme, peut-on être pro-syrien et porter le cèdre au cœur ?
Si oui, le 14 Mars et le bloc du Changement, forces républicaines indiscutables, devront négocier dans l’intérêt premier de la survie de la nation pour dégager une union nationale, seule capable de relever les défis régionaux et internes. Si non, les tensions internes se cristalliseront davantage pour basculer dans l’affrontement armé. Dès lors, tout comme dans la perspective du transfert de l’arsenal militaire baassiste aux forces du 8 Mars, il faudrait s’attendre à des excès, tout comme à une réaction d’Israël trop soucieux de cette nouvelle menace en son nord.
Si les tensions actuelles s’amplifiaient sous l’impulsion de Damas, les forces politiques républicaines libanaises ne devraient perdre un temps précieux à s’unir dans un mouvement de convergence nationale, faute de quoi elles seraient responsables à terme d’une nouvelle guerre civile.
Aujourd’hui, nul ne doit omettre que le Liban ne requiert pas la chute d’Assad même pour effectivement voler en éclats. C’est donc avec un œil patriotique plus que politique que les dirigeants libanais doivent appréhender l’extension du théâtre syrien au Liban. Aujourd’hui, un pied au-dessus du précipice, la survie du pays leur incombe.

Mikå MERED*

*Étudiant-chercheur en prospective économique et relations internationales, spécialiste de la géopolitique des pôles, de l’énergie et des questions de gouvernance mondiale, Columbia University (New York). Il rédige actuellement une thèse intitulée Arctique-Antarctique : les enjeux de la gouvernance mondiale à travers la gouvernance énergétique.
Depuis le mariage d’Ivan le Grand, grand prince de Moscou, avec la nièce du dernier empereur byzantin en 1472, les élites moscovites se sentirent investies de la mission de libérer le potentiel de la « troisième Rome ». Mais comment peser sur le monde quand on est prisonnier des glaces nordiques et du Bosphore ? Héritière de cette vison géostratégique, la doctrine Poutine cherche...

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