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Nos Lecteurs ont la Parole

En Libye, les démons et les ombres du « printemps arabe »

Par Pierre PICCININ
On est bien loin, sur le terrain en Libye, de l’image simpliste d’une rébellion populaire renversant la dictature féroce de Mouammar Kadhafi.
La société libyenne, en effet, se structure en un ensemble de tribus, elles-mêmes segmentées en plusieurs clans, dont les alliances se recomposent en permanence.
L’émergence de la contestation a ainsi rapidement servi de prétexte aux soulèvements de chefs de clan et de plusieurs mastodontes du régime qui ont pris le contrôle d’une partie de la rébellion.
Loin de constituer une force politiquement organisée, avec l’objectif d’instaurer une démocratie laïque et plus loin encore de former un ensemble uni sous la conduite du Conseil national de transition (CNT), qui se présente comme le nouveau gouvernement légitime, la rébellion a été menée par une tripotée de chefs de guerre, qui se disputent le contrôle du territoire, des champs pétrolifères et de l’eau.
Plus justement, il ne faudrait donc pas parler de « la » rébellion, mais « des » rébellions, et si l’OTAN a réussi à mener les rebelles à renverser Mouammar Kadhafi, c’est le contrôle du pays qui pose désormais problème.
Ces chefs de clan, indisciplinés, ont ainsi accru leur influence : leur but n’est pas de conquérir des régions traditionnellement sous le contrôle d’autres tribus. Dès lors, ils se sont montrés peu enclins à aller se battre contre les troupes gouvernementales. Ces bandes armées opèrent quelques sorties, qui se négocient entre eux et le CNT au coup par coup. Les gars, souvent ivres, d’alcool ou de haschisch, vident quelques caisses de cartouches et rentrent ensuite à leur bivouac pour y faire la fête. Tout le monde danse, tire en l’air des rafales entières. Les projectiles retombent... et font des victimes.
Parfois, certains clans ont changé de camp, généralement au détriment de Tripoli : imitant leurs voisins, ils se sont libérés de la tutelle du gouvernement pour « rejoindre l’opposition ». Et c’est en grande partie de cette manière que « la rébellion a progressé ».
Qui, à présent, parviendra à remettre au pas tous ces chefs de guerre, qui s’organisent déjà pour garder le contrôle de leur territoire et renforcent leurs milices ? Qui saura restaurer l’unité de l’État libyen ? Qui pourra représenter la Libye et en maîtriser les ressources ?
En outre, seuls les clans du Nord-Est se sont soulevés. Les tribus du grand Sud, du Nord-Ouest (Tripolitaine ; à l’exception des Berbères et de Misrata) et de Syrte (centre maritime) ont en revanche soutenu Kadhafi. Ce sont aujourd’hui les grandes perdantes de la « révolution ». Or, dans cette antithèse de l’État nation qu’est la Libye, une guérilla pourrait perdurer des années durant ; l’armée se confond avec la population ; chaque homme, chaque adolescent membre du clan est un guerrier potentiel.
Quant aux leaders du CNT, une poignée d’anciens ministres kadhafistes qui sont à peu près parvenus à s’entendre, on ne peut pas les qualifier de démocrates.
Son président, Moustapha Abdel-Jalil, était jusqu’il y a peu ministre de la Justice de Kadhafi, dénoncé par Amnesty International comme l’un « des plus effroyables responsables de violations des droits humains en Afrique du Nord ». Le commandant militaire, autre exemple, était le général Abdul Fatah Younès, ancien chef de la police politique de Kadhafi, assassiné en juillet dans le contexte de rivalités internes. Et les quelques militants des droits de l’homme qui y siègent leur servent péniblement de caution.
Bref, ce sera à qui mangera l’autre, s’ils parviennent à s’imposer par-delà les rivalités tribales et claniques.
Troisième composante, enfin, le mouvement islamiste : ses milices se soulèvent à présent, apparemment financées par le Qatar (très impliqué en Libye), au point d’inquiéter le CNT qui n’a aucun contrôle sur ces groupes armés, qui poursuivent leurs propres objectifs.
De plus, depuis l’annonce de l’assaut sur Tripoli, l’imam Sallabi, en exil à Doha, soutenu par la chaîne satellitaire qatarie al-Jazira, exhorte les Libyens à renvoyer chez eux les Occidentaux et les forces de l’OTAN.
La problématique n’est donc plus de savoir ce qu’il adviendra du régime, mais quel sera l’avenir d’un pays tiraillé de toutes parts.
Reste aussi la question du rôle singulier joué par le France. Mais peut-être, si Kadhafi bénéficie d’un vrai procès public devant la Cour pénale internationale, au lieu de finir pendu comme Saddam Hussein ou de trépasser dans sa cellule comme Slobodan Milosevic, en apprendra-t-on davantage à ce sujet...

Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques
On est bien loin, sur le terrain en Libye, de l’image simpliste d’une rébellion populaire renversant la dictature féroce de Mouammar Kadhafi.La société libyenne, en effet, se structure en un ensemble de tribus, elles-mêmes segmentées en plusieurs clans, dont les alliances se recomposent en permanence.L’émergence de la contestation a ainsi rapidement servi de prétexte aux...

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