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Nos Lecteurs ont la Parole

D’une ingérence décomplexée aux dérives néocolonialistes en Libye

Pierre PICCININ
Comment faut-il comprendre l'intervention onusienne surréaliste en Libye, qui crée un précédent lourd de conséquence pour l'avenir de la « gouvernance » ?
La « gouvernance » ? C'est cette tendance, dans le chef des puissances, à intervenir là où bon leur semble, sans plus tenir compte du droit international, dans le but officiel de gérer une crise « humanitaire ».
Elle s'est développée avec la fin de l'URSS et de la logique bipolaire qui régissait les relations internationales, chacune des deux superpuissances, États-Unis et URSS, protégeant ses alliés de l'ingérence de l'adversaire : depuis le début des années 1990, les États-Unis et les Européens, à travers l'OTAN, interviennent en fonction de leurs intérêts, sans tenir compte des prérogatives de l'ONU : en Afghanistan, en Irak, au Kosovo... en Libye.
C'est la France de Sarkozy, cette fois, qui a été le promoteur de l'intervention : après avoir lâché Mouammar Kadhafi et reconnu les rebelles comme nouveau gouvernement, Paris s'est retrouvée en mauvaise posture lorsque Kadhafi a repris la main ; d'où cet acharnement d'Alain Juppé à arracher au Conseil de sécurité une résolution autorisant l'intervention.
Une pirouette rhétorique : la rébellion armée, qui tente de renverser le régime de Kadhafi, s'est transformée en une révolte de civils sans défense, en proie à la vengeance meurtrière du chef de l'État libyen. C'était la condition à la légalité d'une intervention : le principe fondamental qui
régit les rapports entre les États consiste en la non-ingérence; chaque État est souverain à l'intérieur de ses frontières et seul le gouvernement, qu'il soit démocratique ou pas, a la légitimité pour user de la force.
De là, le discours de la France : « Nous intervenons pour protéger des civils, avec l'accord de la communauté internationale, y compris celui des nations arabes, et dans le cadre d'un mandat de l'ONU. »
Quelle « communauté internationale », sinon un petit club d'États occidentaux ? La résolution n'a été avalisée ni par l'Inde, ni par la Chine, ni par la Russie, ni par le Brésil. Elle est critiquée par la Turquie et par l'Allemagne. Les nations arabes ? Trois monarchies pro-occidentales : l'Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis, qui laissent leur voisin, le roi du Bahreïn, massacrer son peuple.
En outre, plusieurs des leaders des rebelles ne sont pas à proprement parler des démocrates « épris de liberté » : le secrétaire du « Conseil national de transition » qui ambitionne de remplacer le gouvernement Kadhafi n'est autre que Moustapha Mohammad Abed al-Jalil, ancien ministre de la Justice de Kadhafi (en décembre 2010, Amnesty International l'avait dénoncé comme l'un « des plus effroyables responsables de violations des droits humains en Afrique du Nord » ). Et, à la tête des « forces armées civiles », on trouve le général Abdel Fattah Younis, ancien ministre de l'Intérieur et chef de la police politique de Kadhafi, dont il semble qu'il ait décidé de prendre le trône.
Enfin, le mandat de l'ONU. À l'origine : créer une zone d'exclusion aérienne. Par la suite, la France a obtenu l'autorisation de « tout mettre en œuvre », dans un but toutefois précis : protéger les civils.
Or la coalition s'est empressée d'attaquer l'armée libyenne et de détruire ses infrastructures. Des missiles, qui ont fait des victimes civiles, ont été tirés depuis des navires ; certains visaient la résidence du chef de l'État libyen.
À présent, devant « l'incapacité des rebelles à profiter de l'aide de la coalition pour remporter la victoire », certaines chancelleries ne sont-elles pas en train de proposer de « fournir des armes lourdes aux insurgés », car « il est évident que la population civile ne pourra être en sécurité qu'une fois Kadhafi parti » ?
L'objectif poursuivi est bien le renversement du gouvernement libyen et son remplacement par les leaders de la rébellion.
En d'autres termes, la coalition « internationale » est en train d'appuyer un coup d'État. C'est un acte de guerre, illégal, envers la Libye.
C'est aussi une ingérence patente dont les motivations, évidemment liées à la question pétrolière, s'inscrivent sans ambiguïté dans le cadre d'une politique néocolonialiste qui crie son nom.
La question pour l'avenir : après l'Irak, après la Libye, à qui le tour ?
Pierre PICCININ
Professeur d'histoire et
de sciences politiques
Comment faut-il comprendre l'intervention onusienne surréaliste en Libye, qui crée un précédent lourd de conséquence pour l'avenir de la « gouvernance » ?La « gouvernance » ? C'est cette tendance, dans le chef des puissances, à intervenir là où bon leur semble, sans plus tenir compte du droit international, dans le but officiel de gérer une crise « humanitaire ».Elle s'est...

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