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Nos Lecteurs ont la Parole

Le vrai défi de Nagib Mikati

Ayman GEORGES
Cela fait des mois que le Hezbollah réclame l'abrogation des protocoles signés entre le gouvernement libanais et le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), le retrait des juges libanais et le non-versement de la part libanaise du budget du TSL. Après avoir entraîné la chute du gouvernement de Saad Hariri, ces conditions auraient largement influencé le processus de nomination du nouveau Premier ministre. Mais est-ce vraiment la voie que le prochain gouvernement va suivre ?
Il n'est plus besoin de démontrer que le Liban ne peut arrêter le travail du TSL. Nabih Berry, en fermant les portes du Parlement pendant 18 mois, a empêché son propre camp politique de détenir cette carte. Au lieu d'un tribunal créé par un traité bilatéral entre le Liban et l'ONU, l'obstination de Nabih Berry à rejeter - sélectivement - les décrets du gouvernement de Fouad Siniora a poussé le Conseil de sécurité à établir le TSL de manière unilatérale, par une résolution émise sous l'égide du chapitre 7 de la Charte des Nations unies, dont la révocation ne nécessite pas moins qu'une nouvelle résolution, hautement improbable. Arrêter le financement libanais du tribunal et demander aux juges libanais de se récuser ne sont pas non plus des actes suffisants pour bloquer le processus judiciaire.
L'annulation des protocoles d'accord entre le Liban et le bureau du procureur du TSL pourrait à la rigueur avoir quelques conséquences pratiques. L'une des dispositions de ce protocole est la protection du siège de l'équipe du TSL au Liban et des enquêteurs lors de leurs déplacements, par les forces de sécurité libanaises. Retirer cette protection n'est pas un acte fortuit. Les « ahali », auréolés de leurs interventions contre la Finul ou bien au cabinet de la gynécologue de la banlieue sud, pourraient alors décider d'ajouter un nouveau trophée à leur tableau de chasse : le véhicule d'une équipe d'enquêteurs, les ordinateurs du bureau du procureur au Liban... De tels actes seraient rapidement condamnés par la communauté internationale. Le Premier ministre, dont la signature figurerait sur le décret annulant les protocoles d'accord entre le Liban et le TSL, endosserait une grande responsabilité personnelle si de tels événements venaient à se produire.
Plus encore, si le Liban ne coopère pas avec le tribunal, le président du TSL serait chargé de rencontrer les responsables libanais en vue de les inciter à renouveler leur collaboration. En cas d'échec, le président du TSL en rendrait compte au Conseil de sécurité. Le secrétaire général de l'ONU devrait alors établir tous les contacts nécessaires pour rappeler au Liban ses obligations, faute de quoi, le Conseil de sécurité serait chargé d'étudier le non-respect, par l'un de ses membres, d'une résolution contraignante. Contrevenir à une résolution du chapitre 7 autorise le Conseil de sécurité à imposer un large éventail de sanctions, qui vont des mesures diplomatiques jusqu'à l'intervention militaire, en passant par des sanctions économiques. Le Liban ne pourrait pas alors prendre part à la décision ; un pays membre du Conseil de sécurité étant exclu du vote en cas de résolution le concernant. Le risque de sanction existe effectivement. Compter sur un veto russe ou chinois relève de la naïveté. Certes, nul n'envisage le recours à la force, mais il ne serait pas prudent de se croire à l'abri de mesures de rétorsion diplomatiques ou encore économiques, contre des institutions, mais également des responsables libanais. Quels responsables ? Encore une fois, ceux dont les signatures figurent sur les décrets ayant entraîné la non-coopération : le Premier ministre, voire le président de la République.
Le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, a beaucoup à perdre si ce processus venait à être enclenché. Parallèlement, et antérieurement à ses fonctions gouvernementales, M. Mikati est un homme d'affaires d'envergure internationale, avec des intérêts économiques, financiers et commerciaux sur tous les continents. Risquer des sanctions économiques, même si leur probabilité est minime, ne serait pas judicieux, sans parler des conséquences politiques et confessionnelles intérieures.
Voilà pourquoi les développements au Liban pourraient prendre une direction différente de celle promue par le 8 Mars, et redoutée par le 14 Mars. Le nouveau gouvernement, considérant la question du TSL comme controversée, défèrerait toute décision à ce sujet à la conférence du dialogue national, autant dire aux calendes grecques. En pratique, aucune mesure judiciaire ou policière ne serait prise contre les personnes mises en accusation, mais il n'y aurait pas non plus d'actes gouvernementaux officiels et signés explicitant la non-coopération avec le TSL.
Le Hezbollah savait qu'il ne pouvait pas mettre fin au tribunal. Après avoir promis, déploiements quasi militaires, images aériennes et explications technologiques à l'appui, une réaction radicale aux travaux du TSL, le parti de Hassan Nasrallah était acculé à lancer des représailles suffisamment fortes pour conserver son image omnipotente et contenter son public, habitué aux promesses tenues. Renverser Saad Hariri, avec toute la symbolique confessionnelle de cet acte, empêcher par tous les moyens son retour au Sérail, imposer un Premier ministre de son choix et former un gouvernement sous sa tutelle ; il est probable que les 24 et 25 janvier auront constitué l'apogée des mesures institutionnelles du Hezbollah contre le TSL.
Si cette interprétation se confirme, le 14 Mars n'aurait pas dû demander à Mikati de ne pas signer les décrets mettant fin à la coopération du Liban avec le TSL avant la publication de l'acte d'accusation, mais de faire face à toute réaction non institutionnelle que le Hezbollah déploierait juste après la publication de ce texte. C'est ainsi que Nagib Mikati accèdera au stade d'homme d'État, ou pas.

Ayman GEORGES
Analyste et consultant politique
Cela fait des mois que le Hezbollah réclame l'abrogation des protocoles signés entre le gouvernement libanais et le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), le retrait des juges libanais et le non-versement de la part libanaise du budget du TSL. Après avoir entraîné la chute du gouvernement de Saad Hariri, ces conditions auraient largement influencé le processus de nomination du nouveau...

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