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Nos Lecteurs ont la Parole - L’allocution d’Ibrahim Najjar au Salon du livre

La francophonie, synonyme de liberté

À l'inauguration, jeudi au BIEL, du Salon du livre, M. Ibrahim Najjar, ministre de la Justice, a prononcé une allocution sur le thème de justice et culture, évoquant à cette occasion « le mot, qui est acte de création ». Voici le texte de cette intervention :
Madame le représentant du président de la République,
Monsieur l'ambassadeur de France,
Monsieur l'ambassadeur de la Confédération helvétique,
Chers amis, ceux du Liban et de la francophonie, Mesdames, Messieurs,
Je suis reconnaissant à mon ami, M. Salim Wardy, ministre de la Culture, de me donner l'occasion de dire un
 mot de plus pour inaugurer ces « Mots de la Méditerranée », à l'occasion de la 17e édition du Salon du livre francophone.
Qu'est-ce, en effet, que la « justice » en l'absence de la « culture » ?
En passant en revue la liste des auteurs, des livres et des maisons d'édition de ce Salon du livre francophone 2010, on ne peut s'empêcher de saluer à la fois l'excellence de l'organisation des conférences, des rencontres, de la variété des titres qui sont proposés. J'y retrouve à la fois des amis, des poètes inspirés, souvent admirés, des romanciers, des essayistes, des historiens, des philosophes, des voyageurs, bref des créateurs immenses.
Sans vouloir citer les uns sans les autres, je voudrais vous dire le bonheur que nous éprouvons à vous compter parmi nous ; en acceptant de vous déplacer jusqu'ici, vous avez redessiné toutes les rives de cette mer familière, vous qui êtes de presque toutes les nationalités de la Méditerranée.
Puisque je remplace un ministre de la Culture je renonce, en cette fête des mots, à vous parler de ceux du droit de cette Méditerranée.
Pourtant, les mots du droit sont ceux de votre langage : transformés en concepts, ils se chargent d'une valeur, grâce à leur pouvoir de désignation. Un mot devient soudain commercial, une marque, une dénomination, déclinée par le consommateur, reflétant son image. Même en renonçant à évoquer le langage du droit, je ne peux oublier que vos mots sont générateurs de concepts, de produits, de ralliements, de logos, de slogans, mais aussi d'une certaine culture... Le choix du logo est parfois un choix de personnalité. Comme le signe ou l'alphabet, ces mots ont pu codifier le comportement, autant que le langage.
Au fur et à mesure de l'évolution des techniques, une véritable ingénierie des mots, porteurs de sens, de non-sens ou, comme le disait Ricœur, de sens du sens, a pu investir la linguistique, les mots-clés, le pouvoir des mots.
Parce que le mot est un acte de création. Il y a plus de deux millénaires, on a proclamé ce pouvoir : « Que la lumière soit, et la lumière fut » ! Ce n'est pas par hasard, qu'il y a quelques jours, en date du 12 octobre 2010, un éminent quotidien français, Le Monde, dans ce qu'il a appelé « Les rencontres du monde des livres », a organisé des débats et des échanges sur le pouvoir des mots.
Dans quelques jours, seront organisés, à Beyrouth, des débats intitulés « Les liaisons dangereuses », où seront évoquées, en particulier, les relations des mots et du droit.
Pour nous, Mesdames, Messieurs, il est clair que les mots ont un pouvoir immense. Nous disons, dans nos villages, « parle-moi plutôt que me donner à manger à ma faim ».
Dans les litiges, qu'ils soient politiques ou commerciaux, il y a des mots pour sauver la face.
Mon professeur d'économie politique n'avait de cesse d'insister sur le fait que Saladin se battait pour « Allah », alors que Richard Cœur de Lion le combattait pour « Dieu ».
Les Mots de la Méditerranée sont plus réels, certes. Au Liban, ils meublent notre langage, ils alphabétisent notre expression, je veux dire notre liberté.
Laissez-moi le dire encore une fois. Le mot de francophonie est synonyme de liberté. Non pas parce que la francophonie est seulement la langue française, mais parce qu'elle est le véhicule d'une culture supplémentaire, une culture de différence, de liberté.
À la limite, francophonie est synonyme d'anglophonie, voire de toute autre langue qui nous permette de ne pas nous confiner dans la pensée unique ou le refus de l'autre.
C'est en ce sens que la Méditerranée est notre langage.
Elle est faite de mots bleu ciel, de vert azur, de rose couchant, de mots tus, de dits, de non-dits. Surtout de non-dits.
Bref, la Méditerranée a une rive ; elle a une couleur pour ses mots : notre alphabet ? Peut-être ! Mais sans aucun doute la rencontre autour du partage des mots.
Les mots qui nous unissent dans la dignité, dans la libanité, dans la francophonie.
Cela me ramène près de cinq décennies en arrière, écoutant Etiemble évoquant Ferdinand De Saussure.
Un enfant qui ne connaît que deux mots : blé et herbe, va dans un champ. Ces deux mots désignent tout le contenu du champ. Lorsque l'enfant grandit, il connaît plusieurs mots : blé, herbe, avoine, orge, seigle ; son pouvoir de nomination grandit. Pourtant rien n'a changé : le champ est le même. Mais pour désigner l'orge, par exemple, il est amené à rétrécir le domaine des autres termes. Le même phénomène se reproduit ici : pour évoquer une institution ou une catégorie nouvelle, il faut les différencier.
Leur plus exacte caractéristique est d'être ce que les autres ne sont pas.*
Il en va ainsi de nous ce soir :
Nous utilisons des mots et des langages différents pour marquer nos identités et nos différences.
Mais notre champ de blé est unique : la Méditerranée.
Mieux, ce soir c'est la francophonie.
Vive les mots !
Vive la francophonie !
Vive la Méditerranée !
Vive le Liban !


* V. F. Saussure, « Cours de linguistique générales », 5e éd., Payot, 1960, pp. 331 et suiv.

Madame le représentant du président de la République,Monsieur l'ambassadeur de France,Monsieur l'ambassadeur de la Confédération helvétique, Chers amis, ceux du Liban et de la francophonie, Mesdames, Messieurs,Je suis reconnaissant à mon ami, M. Salim Wardy, ministre de la Culture, de me donner l'occasion de dire un
 mot de plus pour inaugurer...

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