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Nos Lecteurs ont la Parole

I.- Les nouveaux penseurs de l’islam

Par Sami Antoine KHALIFÉ
Au début des années 1970, l'islam n'était pas nécessairement un sujet de préoccupation (dans le sens positif du terme) pour le monde occidental.
Les 16 et 17 octobre 1973, premier choc pétrolier. Lors de la guerre israélo-arabe, Richard Nixon approvisionne en armement Israël, réduit à la défensive face aux Égyptiens et aux Syriens ravitaillés par les Soviétiques. En réponse, les pays arabes pétroliers relèvent unilatéralement de 70 % le prix du baril de brut, décident une réduction mensuelle de 5 % de la production pétrolière, puis le 20 octobre, le roi Fayçal d'Arabie saoudite décrète un embargo total sur les livraisons destinées aux États-Unis puis aux Pays-Bas. (L'année suivante, le roi Fayçal est assassiné par un neveu, rentré des États-Unis).    
Il a fallu le second choc pétrolier qui s'est produit suite à l'instauration de la République islamique en Iran, le 11 février 1979, pour que l'Occident prenne la mesure du réveil de l'islam militant.
En 1973, c'était l'islam sunnite qui a « choqué économiquement » l'Occident ; en 1979, c'est l'islam chiite qui le « choque politiquement ».
Depuis, l'islam occupe en permanence le devant de la scène médiatique internationale.
L'islam obsède et déconcerte un monde occidental qui le connaît mal, le comprend peu, et multiplie à tort et à travers les étiquettes : « islamique », « islam radical », « jihadistes », « salafisme », « wahhabisme », etc. Rarement l'islam est approché comme une foi et une spiritualité pour des centaines de millions d'individus qui le vivent en paix avec eux-mêmes et avec les autres. On revient aux auteurs anciens comme si l'islam n'avait pas de production intellectuelle contemporaine ou comme s'il était incompatible avec le monde moderne dans lequel évoluent des intellectuels qui nous interpellent : les « nouveaux penseurs de l'islam ».
Afin de mieux comprendre ce mouvement, il serait utile de revenir sur certains précurseurs à partir du début du XIXe siècle jusqu'à la fin des années 1970 et de replacer les différents courants de pensée dans leur contexte historique.

Les précurseurs
Dans son livre al-Aakl wa ach-Charia, le Dr Mahdi Fadlallah établit une revue exhaustive des courants fondamentalistes et réformistes dans la pensée arabe moderne. Il cite parmi les réformateurs religieux du XIXe siècle Ch. Rifaat al-Tahtawi (1801-1873), Jamaleddine al-Afghani (1838-1897) et cheikh Mohammad Abdo (1849-1905) qui a déclaré la guerre à toutes sortes d'héritages désuets, d'illusions qui font du tort aux musulmans et préconisé avec force l'enseignement des sciences modernes qu'il introduisit à l'Université al-Azhar. Un contemporain de Abdo, cheikh Abdel Rahman al-Kawakibi (1848-1905), attribue le retard des musulmans à trois raisons :
Raison religieuse : la division,
Raison politique : l'absence de liberté, de justice, d'égalité et l'inaptitude des dirigeants, Raison morale : l'ignorance, l'épidémie de la dépendance ( « tawakol » ) et la non-éducation des femmes.
Le 3 mars 1924, Mustafa Kemal abolit le califat en Turquie et décrète la sécularisation totale dans tous les domaines de la société.
Dans le deuxième quart du XXe siècle, le monde arabo-islamique vivait une lutte intellectuelle entre les « conservateurs traditionnels » ou « réformateurs islamiques », qui appelaient au retour du califat sur des bases saines, d'un côté, et de l'autre, ce qu'on peut appeler les « rénovateurs » ou « modernisants » qui défendaient la séparation de la religion de l'État.
Les réformateurs traditionnels :
1.    Cheikh Mohammad Rachid Rida (1865-1935). Pour lui, la oumma islamique ne pourra atteindre le progrès et un meilleur niveau de civilisation qu'en associant les connaissances religieuses et terrestres selon les méthodes modernes de l'Occident.
2.    Cheikh Jamaleddine al-Quasimi (1865-1914) considère que les régimes dictatoriaux sont la raison fondamentale du retard des Arabes et des musulmans.
3.    Cheikh Hassan al-Banna (1903-1949) crée le mouvement des Frères musulmans dont le slogan résume toute sa doctrine : « Dieu est notre but, le Prophète notre chef, le Coran notre Constitution, le Jihad notre voie, la mort pour Dieu notre plus grand souhait. » Les Frères musulmans rencontrent un grand succès auprès du peuple car ils ont créé des institutions sociales, médicales, économiques et éducatives.
4.    As-Sayed Mohsen al-Amin (1862-1952) appelle à l'unité des Arabes, qu'il incite à apprendre les sciences et à considérer la « charia » à travers la raison et de la logique.
5.    As-Sayed Abedel-Hussein Charafeddine (1873-1957) attribue le retard des musulmans à leur soumission aux colonisateurs, à leur division religieuse, à leur manque d'éducation et à la tyrannie de leurs dirigeants.
Les « rénovateurs :
Les « rénovateurs » ou « modernisant » considèrent que l'islam est une religion vraie, mais cela n'implique pas que la civilisation islamique est la meilleure. Les musulmans doivent donc reconsidérer leur patrimoine, ils prennent ce qui est bon pour leur époque et laissent de côté ce que ne l'est pas, d'autant plus que l'islam encourage à la réflexion, l'analyse, l' « ijtihad » et pousse au progrès.
Parmi ceux-là :
1.    Quasseem Amin (1965-1908) attribue le retard des musulmans à l'ignorance et préconise la reconstruction des sociétés, en se basant sur les sciences modernes, en libérant la femme totalement par l'éducation afin qu'elle puisse assumer une liberté responsable.
2.    Ahmad Lotfi as-Sayed (1873-1963) sépare la religion du temporel en préconisant d'armer les hommes par les sciences et les connaissances afin qu'ils puissent se débarrasser de la tyrannie des colonisateurs.
3.    Cheikh Ali Abdel-Razzak (1888-1966). Le plus fervent des « rénovateurs » et un des savants d'al-Azhar, qui réclame la séparation de la religion et de l'État, et approuve la décision de Mustafa Kemal. Il s'appuie sur le Coran pour montrer que la religion ne doit pas s'occuper des affaires de ce monde. À cause de ses idées, il est dépouillé de toutes ses fonctions et de sa qualité de musulman en 1926 par un tribunal de 24 hauts dignitaires religieux. Toutefois, il est réhabilité ultérieurement et reprend toutes ses fonctions, précise le Dr M. Fadlallah.
4.    Taha Hussein (1889-1975) refuse de prêter aux textes religieux des significations qu'ils ne portent pas, et considère que les connaissances et la religion ont chacune son domaine propre.
5.    Khaled Mohammad Khaled établit avec force la séparation entre la religion et l'État. Il s'attaque aux hommes de religion, aux traditions et avantages qui les entourent.
Au milieu de ce débat orageux, le milieu du XXe siècle voit la naissance d'un penseur pour qui religion et politique sont des jumeaux inséparables : Sayed Qotb (1906-1966). Sa pensée se retrouve dans tous les mouvements islamiques fondamentalistes qui ont émergé et continuent d'émerger dans plusieurs pays. Dans la conception de Qotb, le régime vient de Dieu et l'homme doit suivre ses principes. Il se révolte contre tout dans ce monde et a une position fortement antagoniste à la civilisation moderne « ignorante » et des régimes qu'elle produit.

Sami Antoine KHALIFÉ
Ing. physique
(à suivre)
Au début des années 1970, l'islam n'était pas nécessairement un sujet de préoccupation (dans le sens positif du terme) pour le monde occidental. Les 16 et 17 octobre 1973, premier choc pétrolier. Lors de la guerre israélo-arabe, Richard Nixon approvisionne en armement Israël, réduit à la défensive face aux Égyptiens...

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