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Moyen Orient et Monde - Tribune

Une nouvelle année de conflits globaux

Javier Solana préside le Centre Esade pour l’économie globale et la géopolitique

Dans le monde d’aujourd’hui, il faut bien plus qu’une simple carte géographique pour identifier et gérer les foyers sensibles, repérer les incendies et doter les diplomates de moyens pour éteindre les flammes. Pour comprendre les principaux conflits et confrontations de notre époque, il nous faut clairement déterminer comment les conditions politiques globales les ont rendus possible. La probabilité de voir des conflits surgir et durer est beaucoup plus grande lorsque ceux qui ont les moyens de les prévenir ou d’y mettre fin ne le peuvent ou ne le veulent pas. Cela sera malheureusement le cas en 2013.


Aux États-Unis, à moins d’une crise de politique étrangère qui menacerait directement la sécurité nationale, l’administration du président Barack Obama concentrera le plus clair de son temps, de son énergie et de son capital politique sur la réduction de la dette et les autres priorités intérieures. En Europe, les responsables politiques continueront de lutter pour restaurer la confiance dans la zone euro. Et en Chine, même si les exigences de la croissance économique et de la création d’emplois obligeront les nouveaux dirigeants du pays à développer de nouveaux liens dans la région, ils sont bien trop préoccupés par les complexités de la réforme économique pour assumer des coûts et des risques inutiles hors de l’Asie. C’est pourquoi les foyers s’embraseront plus longtemps et plus intensément cette année.


Cela ne veut pas dire que les puissances mondiales n’infligeront pas leurs propres dégâts. Aujourd’hui, ces gouvernements seront plus enclins à utiliser leurs drones et leurs forces spéciales pour frapper ceux qu’ils perçoivent comme des ennemis. Le monde est habitué aux frappes de drones américains en Afghanistan, au Pakistan et au Yémen ; mais comme l’a récemment suggéré la presse, la Chine et le Japon investissent eux aussi dans ces aéronefs automatisés – en partie pour optimiser leur avantage dans le différend qui les oppose sur les îles de mer de Chine de l’Est. En réduisant les coûts et les risques d’une attaque, ces innovations technologiques augmentent la probabilité d’un recours à l’action militaire. Il se pourrait que le moyen le moins cher de contrecarrer ses rivaux et d’attaquer l’ennemi soit de lancer des attaques dans le cyberespace. C’est pourquoi de nombreux gouvernements dotés d’une large surface financière – et certains qui ne sont pas si riches – investissent lourdement dans la technologie et les compétences pour améliorer ce potentiel.


Cette forme de guerre est particulièrement inquiétante pour deux raisons. D’abord, contrairement au principe de « destruction mutuelle assurée » de l’époque de la guerre froide, les cyberarmes permettent à ceux qui les utilisent de frapper de manière anonyme. Ensuite, compte tenu des constantes évolutions technologiques, aucun gouvernement ne peut connaître le degré de dégâts que ces cyberarmes peuvent provoquer ni même la force de leur dissuasion, avant de les avoir utilisées. Les gouvernements jaugent donc quotidiennement leurs défenses mutuelles, ce qui augmente le risque d’hostilités accidentelles. Si John Kerry et Chuck Hagel sont confirmés à leur poste, respectivement de secrétaire d’État et de secrétaire à la Défense, l’administration Obama comptera deux éminents sceptiques de l’intervention militaire. Les importants investissements américains en matière de drone, de cyberoutils et d’autres armements non conventionnels seront tout de même probablement maintenus.


Ces avancées technologiques établissent un contexte de concurrences et de rivalités qui agitent les deux plus importantes zones géopolitiques sensibles de la planète. Au Moyen-Orient, les responsables américains et européens hésiteront à s’engager plus avant dans les troubles régionaux cette année, abandonnant les pouvoirs locaux – la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite – à leurs luttes d’influence. Modérés et militants, factions sunnites et chiites s’opposent dans plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Les dirigeants américains ont des raisons de penser qu’avec le temps, cette région et ses problèmes seront moins une source d’inquiétude. Selon les projections actuelles, les innovations technologiques dans le domaine des énergies non conventionnelles permettront aux États-Unis d’assurer 80 % de leurs besoins en pétrole à partir de sources d’approvisionnement en Amérique du Nord et du Sud d’ici à 2020. Mais la dépendance de la Chine sur le pétrole du Moyen-Orient devrait, elle, croître.


Dans le même temps, l’Asie de l’Est reste une source de troubles potentiels en 2013. De nombreux voisins de la Chine craignent que son expansion économique et militaire constitue une menace grandissante pour leurs intérêts et leur indépendance, et se tournent vers les États-Unis pour diversifier leurs partenariats sécuritaires et se protéger des bonnes intentions de la Chine. Les États-Unis, désireux de dynamiser leurs perspectives économiques à long terme en établissant de nouveaux partenariats commerciaux dans cette région dont la croissance est la plus rapide du monde, affectent désormais leurs ressources en Asie – même si les dirigeants américains (et européens) étaient aussi bien avisés d’avancer sur le projet d’un accord de libre-échange transatlantique.


La nouvelle direction chinoise pourrait interpréter ce renforcement de la présence américaine dans la région comme une tentative pour contenir l’ascension de la Chine et sa croissance. Nous avons déjà constaté une série de confrontations inquiétantes dans la région, opposant la Chine au Vietnam et aux Philippines en mer de Chine méridionale, et au Japon en mer de Chine de l’Est. Ces différends n’engendreront probablement pas d’hostilités militaires, mais l’utilisation de drones et de cyberarmes constitue une menace réelle.


Le plus grand risque en 2013 est un conflit économique de grande échelle en Asie, ce qui non seulement nuirait aux pays directement impliqués, mais menacerait aussi la reprise globale. Les premiers coups de cette bataille ont déjà été portés.
L’été dernier, les différends à propos d’un ensemble d’îles contestées en mer de Chine de l’Est ont provoqué un furieux échange d’accusations entre la Chine et le Japon, respectivement seconde et troisième économie mondiale. Il n’a jamais été question d’une guerre entre ces deux pays, mais les responsables chinois ont laissé des manifestations nationalistes se muer en boycott des produits japonais et autorisé des actes de vandalisme contre les sociétés japonaises. Les exportations japonaises d’automobiles en Chine ont chuté de 44,5 %, et les importations japonaises en Chine de près de 10 % – en à peine un mois.


Cela constitue un coup dur pour l’économie japonaise déjà fragilisée. C’est aussi un avertissement clair au reste d’entre nous qu’un combat ne requiert pas forcément des troupes, des tanks ou des roquettes pour engendrer de très lourdes conséquences.

 

Javier Solana préside le Centre Esade pour l’économie globale et la géopolitique. Ian Bremmer préside le Groupe Eurasia.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats.
© Project Syndicate, 2013.

Dans le monde d’aujourd’hui, il faut bien plus qu’une simple carte géographique pour identifier et gérer les foyers sensibles, repérer les incendies et doter les diplomates de moyens pour éteindre les flammes. Pour comprendre les principaux conflits et confrontations de notre époque, il nous faut clairement déterminer comment les conditions politiques globales les ont rendus possible....

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