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Moyen Orient et Monde - Le point

Morsi, ou l’interminable course de haies

Prendre le pouvoir ? Il faut pour cela de la patience, un concours de circonstances, et ce sens de l’à-propos qui permet de saisir la chance ainsi offerte. Mais conserver le pouvoir, c’est autre chose. Il y faut une solide expérience, de l’habileté, et encore et toujours l’instinct du timing. Trois qualités qui semblent manquer à Mohammad Morsi, président par défaut, encore que démocratiquement élu, d’une république qui en est encore à se chercher, confrontée aux lourds contentieux d’un passé douloureusement proche, à des adversaires décidés à tout et qui voit se dérober sous ses pieds ses jeunes fondations.
À peine le président avait-il franchi, du moins le croyait-il, le premier obstacle – ce fameux décret par lequel il s’attribuait bien maladroitement les pleins pouvoirs – que vient de surgir la haie du référendum sur le projet de Constitution, prévu ce samedi et dont le Front de salut national ne veut à aucun prix. Le chef de l’État a beau exciper du principe sacro-saint de la démocratie (« la liberté de se rendre aux urnes dans le cadre d’un scrutin libre et équitable »), ses adversaires voient dans le maintien de la date du 15 décembre « une déclaration de guerre ». D’ailleurs, cette consultation, ils n’en veulent pas. Manifestations et contre-manifestations sont prévues à partir d’aujourd’hui, avec tous les risques inhérents à ce genre de démonstrations de force. Le bilan des derniers jours est lourd : une dizaine de tués et près d’une centaine de blessés, dont certains sont victimes des baltagiyah, comme aux sinistres jours de l’ère Moubarak.
Les opposants disent rejeter le recours au peuple pour décider du sort de la Loi fondamentale parce qu’ils refusent d’octroyer « une légitimité à un processus qui mènera en définitive à la sédition et à la division », a déclaré Sameh Achour, l’un des porte-parole de la coalition. Il s’agirait plutôt de la crainte de voir le « oui » l’emporter que cela ne devrait étonner personne. D’où cette obstination à demander l’annulation du référendum, assortie de la menace d’un siège de la présidence de la République qui, en fait, n’a jamais été levé. Le raïs a beau avancer l’idée d’un dialogue entre les diverses parties, nul dans l’autre camp ne veut plus le prendre au mot, maintenant qu’il a donné la preuve de sa capacité à défaire le lendemain ce qu’il a tenté de faire la veille. La dernière en date de ses reculades aura consisté à annuler la hausse des taxes sur certains produits de base et de première nécessité et de demander à son Premier ministre, le falot Hicham Qandil, d’engager sur le sujet un dialogue social (encore un !). On attend de voir comment il pourra ménager la chèvre du Fonds monétaire international et le choux égyptien. En d’autres termes s’il lui sera indéfiniment possible de s’attirer les bonnes grâces des instances financières mondiales, dont il attend un prêt de 4,8 milliards de dollars pour combler en partie le déficit budgétaire, et l’appui de la masse du peuple mal préparée pour affronter des mesures d’austérité.
Depuis le 22 novembre, date de la promulgation du décret sur les pouvoirs du président, il est devenu évident que la donne n’est plus la même. « Nous avons brisé la barrière de la peur », répète ces temps-ci Mohammad el-Baradei. Il faut croire que l’armée est pour beaucoup dans les modifications intervenues dans les règles du jeu. En condamnant tout recours à la violence et tout refus de la négociation, l’institution militaire a fait un retour remarqué sur la scène politique après avoir observé un silence prudent depuis les changements apportés au sein de son commandement par le chef de l’État. Les mesures sécuritaires arrêtées le week-end dernier s’apparentent à un rétablissement de la loi martiale. Voilà donc l’autorité suprême dûment protégée, ce qui n’est que justice puisque l’actuel commandement avait été nommé, il y a peu, par le successeur de Hosni Moubarak.
Le régime peut rappeler que l’actuel projet de Constitution n’est pas plus « religieux » que l’ancien texte approuvé par les Égyptiens en mars 2011, que la confrérie des Frères musulmans dont il est issu a vu 28 de ses permanences à travers le pays vandalisées par des manifestants, que Amr Moussa, Baradei, Ahmad Saïd, Hamdine Sabbahi et leurs compagnons (exception faite pour Aymane Nour) continuent de rejeter la main tendue, enfin que des législatives doivent nécessairement se tenir dans les deux mois qui suivent l’adoption de la nouvelle règlementation de la vie politique. Ce n’est pas avec de tels arguments qu’il pourra convaincre un groupe qui a juré sa perte et qui rêve de refermer la boîte de Pandore.
Résister pied à pied ou continuer à céder point par point : tel est le dilemme de Morsi. Présidence à la dérive cherche désespérément troisième alternative.
Prendre le pouvoir ? Il faut pour cela de la patience, un concours de circonstances, et ce sens de l’à-propos qui permet de saisir la chance ainsi offerte. Mais conserver le pouvoir, c’est autre chose. Il y faut une solide expérience, de l’habileté, et encore et toujours l’instinct du timing. Trois qualités qui semblent manquer à Mohammad Morsi, président par défaut, encore que...

commentaires (1)

Et si la démocratie se consolidait avec les ikhwan !! comble de l'ironie. On va finir par avoir des ikhwans de toutes les tendances, du dictateur au musulman démocrate.

Jaber Kamel

08 h 45, le 11 décembre 2012

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Commentaires (1)

  • Et si la démocratie se consolidait avec les ikhwan !! comble de l'ironie. On va finir par avoir des ikhwans de toutes les tendances, du dictateur au musulman démocrate.

    Jaber Kamel

    08 h 45, le 11 décembre 2012

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