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Moyen Orient et Monde - Conférence

La question de l’identité, un des problèmes fondamentaux du monde arabe

Débat à l’Unesco, à Paris, sur la démocratie et le renouveau dans le monde arabe.

Une photo montrant un panel avec des intervenants de diverses nationalités.

Depuis trois mois, le « printemps arabe » anime bien des cénacles à Paris. Sous le titre « Démocratie et renouveau dans le monde arabe », l’Unesco a choisi, à son tour, d’« accompagner les transitions démocratiques » en organisant, à cette fin, une journée de débats regroupant diverses personnalités du monde politique, médiatique et universitaire, acteurs et observateurs des bouleversements en cours dans les sociétés arabes. Inaugurés en présence de la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, du ministre des Affaires étrangères de la Bulgarie, M. Nickolay Mladenov, de l’ancien secrétaire général des Nations unies, M. Boutros Boutros-Ghali, de l’ambassadeur de la Ligue arabe, M. Nassif Hitti, et du secrétaire général de la francophonie, M. Abdou Diouf, les travaux ont été regroupés en deux sessions thématiques abordant les enjeux et conditions des transitions démocratiques arabes. Parmi les participants, Robert Badinter, ancien ministre français de la Justice, Dominique Baudis, président de l’IMA, Joseph Maïla, directeur de la Prospective au Quai d’Orsay, Latifa Lakhdar, vice-président de la Haute Instance pour la réforme politique en Tunisie, Abdel Basset ben Hassan, président de l’Institut arabe des droits de l’homme, des journalistes venus de Jordanie, d’Égypte, des activistes pour les droits de la femme, comme Amal Basha, du Yémen, des professeurs et des chercheurs universitaires bulgares, mexicains, tunisiens, égyptiens, français, ont débattu des questions telles que la liberté d’expression et l’existence de médias forts et indépendants ;
les droits de l’homme et les valeurs démocratiques, l’impératif lié à une justice libre et indépendante ; le rapport entre le religieux et le politique ; l’éducation et la sensibilisation aux valeurs et principes démocratiques ; la nécessité de l’implication des femmes arabes dans les transitions en cours et dans le système démocratique ; le rôle des jeunes dans la construction de leur avenir démocratique ; la nécessité de penser un processus de réconciliation entre groupes opposés au sein d’une même population ;
la transparence des élections, des marchés publics, des archives et des bases de données ; le rôle crucial de la société civile dans l’enracinement de la démocratie sur le terrain.

Corruption économique et judiciaire
L’un des maux récurrents pointés par les intervenants est la corruption des classes dirigeantes dans les pays autocratiques arabes. L’absence de règles de droit et de transparence entraîne une absence d’investissements par manque de confiance ; le monde arabe est une région qui stagne depuis trois décennies, avec une croissance extrêmement molle de 0,5 % par habitant. Ce qui la relègue à l’avant-dernier rang devant l’Afrique subsaharienne en termes de croissance économique. La corruption économique et financière se double de corruption législative, avec des lois taillées sur mesure pour servir les intérêts des gouvernants et une justice arbitraire, non indépendante. D’où la nécessité, pour une transition démocratique réussie, de former des policiers anticorruption et des juges qui ne recourent pas à la justice expéditive, comme ce fut le cas avec la condamnation de Ben Ali.
La question de la santé a également été soulevée pour dire combien des individus fragilisés, sans couverture médicale et sécurité sociale, sont à la merci des dictateurs, du chantage politique, d’une part, et des courants fondamentalistes, d’autre part, alors que les soins médicaux figurent parmi les droits de l’homme les plus fondamentaux. Enfin, l’accent a été mis sur la nécessité d’une solidarité internationale avec les pays arabes en état de transition démocratique comme la Tunisie a été relevée, afin d’empêcher un effondrement de leur économie. En effet, la révolution est un moment d’explosion de demandes sociales longtemps frustrées (grèves, emploi...) et les révolutions échouent le plus souvent car les dirigeants même légitimes sont incapables de répondre à ces besoins sociaux, d’où le risque de chaos. Enfin, la question des médias a été soulevée, ainsi que la nécessité de la formation des journalistes jusque-là habitués à se voir dicter le journal télévisé ou leurs articles sous des régimes despotiques.

C’est l’État qui était figé, pas la société
Clôturant les débats, Joseph Maïla a fourni une synthèse remarquable et dégagé une « feuille de route » pour une transition démocratique. Il a d’abord espéré que la transition du monde arabe sera effectivement démocratique et a noté que « la force de cette transition dépendra de la force de mobilisation », et que « les sociétés arabes ne sont pas seules » mais qu’elles seront accompagnées par les grands bailleurs de fonds internationaux, la Banque mondiale, l’Union européenne (plan Ashton-Barroso pour la solidarité) et le G8. Tout en relevant que le monde arabe est une zone traversée de conflits, il a rappelé « l’obligation impérative pour la communauté internationale de faire en sorte que les conditions de paix et de stabilité accompagnent la transition », car le problème israélo-palestinien et les tensions dans le golfe Persique « vont peser d’une manière ou d’une autre sur les transitions arabes ». « Nous sommes devant trois questions fondamentales », a-t-il ajouté : « Les défis de l’histoire, les enjeux de la politique et les tâches de la culture. » Pour Maïla, les sociétés arabes ne font que renouer avec leur histoire, qui est celle d’une civilisation ayant donné de grands penseurs réformistes, à l’instar de Tahtaoui, Khaireddine el-Tunisi, Amine Rihani, Ahmad Farès el-Chidiac... « C’est l’État qui était figé, mort, pas la société », a-t-il martelé. Il faudrait par ailleurs « revenir sur les conditions de l’oppression, pour que plus jamais elle n’ait lieu d’être », et donc étudier les mécanismes de la violence, afin d’éviter de retomber dans l’histoire de la violence, celle-ci reflétant la nature de la société. Maïla a indiqué qu’une transition réussie est celle où la solidarité joue (santé, économie, lutte contre la corruption). D’où l’importance du développement solidaire, « où les critères du développement humain sont pris en compte, et pas seulement le développement politique ».
Enfin, le directeur de la Prospective aux AE devait relever les enjeux politiques du moment : construction de l’État de droit, avec une indépendance de la justice, garante de la citoyenneté, vitalité de la société civile, avec le respect du droit d’association, d’expression libre, de mobilisation, d’information et d’interpellation du pouvoir ; et enfin, formation du citoyen. Sur ce dernier point, Maïla a été prolixe. Il a rappelé la nécessité de la participation politique et du respect des droits de l’homme, sans lesquels il n’y a pas de citoyenneté ; il a également insisté sur la distinction nécessaire entre le civil, le civique et le religieux. Celui qui a piloté le « Pôle religion » au Quai d’Orsay a estimé que le vrai débat sur la religion tient à « la capacité de construire un État dont les fondements ne sont pas religieux, mais capables de garantir la diversité religieuse ». Il a appelé à distinguer entre le processus de sécularisation et le processus de laïcité. « Le premier concerne les idées, les mœurs, le comportement des individus. La laïcité, elle, est institutionnelle, comme en France ou en Turquie. Dans ce dernier pays, si la société est croyante et qu’elle vote pour un parti à connotation religieuse, ce parti n’imprime pas pour autant un tour religieux aux institutions. » Maïla a souligné que deux écueils doivent être évités : « 1- il ne faut pas que l’expression de la contestation sociale soit religieuse ; 2- faire en sorte que la coexistence entre les communautés soit telle qu’on ne puisse pas l’instrumentaliser à des fins politiques. » Enfin, abordant la question de la femme et de ses droits, il a déclaré que « c’est par elle que viendra le progrès et l’égalité ».
Maïla devait conclure sur « l’un des problèmes fondamentaux du monde arabe : la question de l’identité (arabe, islamique, nationale, communautaire) ». Il a estimé qu’un « processus d’apprentissage qui consiste à déterminer le plus grand dénominateur commun » entre les groupements pouvait aider à construire une identité citoyenne. Et qu’en tout état de cause, seule l’éducation peut former au jugement et contribuer à une autonomie de pensée chez le citoyen.
L’accent a été mis sur la nécessité d’une solidarité internationale avec les pays arabes en état de transition démocratique
Pour Maïla, les sociétés arabes ne font que renouer avec leur histoire.
Depuis trois mois, le « printemps arabe » anime bien des cénacles à Paris. Sous le titre « Démocratie et renouveau dans le monde arabe », l’Unesco a choisi, à son tour, d’« accompagner les transitions démocratiques » en organisant, à cette fin, une journée de débats regroupant diverses personnalités du monde politique, médiatique et universitaire, acteurs et observateurs...

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