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Moyen Orient et Monde - Le point

Le nouvel Afghanistan

Quand le général David Richards affirme, catégorique : « Le Yémen ne doit pas devenir un nouvel Afghanistan », il faut comprendre ce que parler veut dire. La dernière chose que voudrait le chef d'état-major britannique, c'est de voir les montagnes de l'Arabia Felix des Romains prendre la relève de l'Hindu Kuch où iraient se fourvoyer demain les Tommies et les GI. Voilà pourquoi, tient-il à préciser, « je ne pense pas qu'on veuille ouvrir un nouveau front là-bas. » On vous croit, mon général, on vous croit ; d'autant plus volontiers que, pas plus que vous, le grand frère yankee ne cherche à s'enliser dans cette lointaine contrée devenue le nouveau berceau d'el-Qaëda.
Dans sa conférence de presse de samedi, le président Ali Abdallah Saleh a été on ne peut plus clair : « Nous ne permettrons pas à des troupes étrangères, a-t-il souligné, de lancer des opérations contre-terroristes sur le sol national. Nous mènerons notre propre guerre suivant nos potentialités. » Le beau mouvement de menton que celui-là ! Malheureusement, ils ne sont pas nombreux ceux qui jugent possible, en tout cas gagnable, un tel combat et il faudra bien se résoudre, nolens volens, à faire appel à une aide, d'où qu'elle puisse venir, en supposant que d'ici là, le pouvoir aura réussi - hypothèse plutôt improblable - à se maintenir en place.
Sanaa avait fort à faire jusque-là avec une insurrection dans ses régions nord et un mouvement sécessionniste au sud. Si, en plus, il lui faut mener une guerre en bonne et due forme contre l'organisation islamiste numéro un, il y a fort à parier qu'il sera bien vite débordé, quelle que soit la position qu'adopteront les tribus encore fidèles. Les experts sont formels sur un point : oubliez Oussama Ben Laden,et même que sa famille est originaire du pays. L'étoile qui monte dans le firmament terroriste a pour nom Anouar el-Awlaki, « l'idéologue le plus dangereux du monde », selon des sources concordantes. L'homme serait lié à trois des auteurs des attentats du 11 septembre, à la tuerie de Ford Hood, au ratage à bord du vol Amsterdam-Detroit des Northwest Airlines, et à la découverte in extremis d'une bombe à Times Square, au soir du réveillon de Noël passé. C'est encore lui qui aurait monté les deux tentatives du week-end dernier, quand deux colis piégés ont été saisis à l'intérieur d'envois via l'un UPS, l'autre FedEx, visant des lieux de culte juifs à Chicago. Le plus inquiétant aux yeux des enquêteurs et des spécialistes de la Central Intelligence Agency, c'est que les deux dispositifs n'étaient nullement de fabrication artisanale. Les systèmes utilisés étaient hautement sophistiqués et l'une des bombes avait été cachée dans une imprimante d'ordinateur, la commande devant être déclenchée à partir d'un téléphone portable. Plus grave : leur découverte n'est pas due à un contrôle de sécurité, mais à des renseignements obtenus auprès des services compétents d'Arabie saoudite, des Émirats arabe unis et de Grande-Bretagne.
Depuis deux ans, les mises en garde se sont multipliées partout dans le monde contre le risque de voir le Yémen devenir un sanctuaire d'el-Qaëda, la plus notable venant du directeur de la CIA, Leon Panetta. C'est chose faite désormais. D'exportateur de terrorisme, la fragile république est devenue la destination privilégiée des apprentis émules de Omar Farouk Abdel Mouttaleb. En janvier 2009, un ex-lieutenant de Ben Laden, Nasser Abdel Karim el-Wouhaychi, proclamait la naissance d'une nouvelle formation, la Qaëda de l'organisation du jihad dans la péninsule Arabique. Ses principaux faits d'armes, depuis : la tentative d'assassinat, en août 2009, de l'émir Nayef Ben Abdel Aziz, ministre saoudien de l'Intérieur, le détournement manqué du vol 253, les attentats (manqués, eux aussi ) contre l'ambassadeur britannique à Sanaa, Tim Torlot, puis contre Fiona Gibb, numéro 2 de la chancellerie. Ces temps-ci, indiquent divers rapports diplomatiques concordants, on se bouscule dans les camps d'entraînement yéménites. Les recrues viennent d'Europe, des USA mais aussi d'Afrique et de divers États membres de la Ligue arabe. Si au soir de la journée d'aujourd'hui mardi les républicains remportaient la bataille des midterms puis dans deux ans celle de la présidentielle, il leur faudrait élargir leur notion de l'« Axis of Evil » pour y inclure le Yémen.
À moins qu'entre-temps, sécessionnistes nordistes et tribus chiites sudistes ne réussissent à éclipser leurs concurrents terroristes.
Il restera que, dans une société, l'une des plus pauvres du globe, où 40 pour cent de la population vit avec moins de deux dollars par jour, où le chômage est le plus élevé du Proche-Orient et le taux d'alphabétisation le plus faible, où le qât tient lieu de principal coupe-faim, il sera toujours difficile de résister à la tentation de recourir à la violence. Avec la désolante perspective d'une Amérique incapable de se lancer dans une nouvelle aventure guerrière qu'elle serait certaine, là encore, de perdre.
Quand le général David Richards affirme, catégorique : « Le Yémen ne doit pas devenir un nouvel Afghanistan », il faut comprendre ce que parler veut dire. La dernière chose que voudrait le chef d'état-major britannique, c'est de voir les montagnes de l'Arabia Felix des Romains prendre la relève de l'Hindu Kuch où...

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