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Liban - Universités

Recherche scientifique universitaire : le Liban à la traîne

Une très grande partie des enseignants et des diplômés libanais ne se consacrent pas assez ou pas du tout à la recherche scientifique. Une analyse de la situation dans ce domaine permet de dégager une stratégie nationale moderne de recherche susceptible d’être appliquée par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.

Une analyse de la situation de la recherche au Liban et dans son entourage (pays du Moyen-Orient) réserve bien des surprises. Cette analyse, fruit de mes travaux, permet à la société libanaise d’optimiser l’efficacité du potentiel de scientifiques dont elle s’est dotée, tout en reconnaissant à ceux-ci la position sociale qui correspond à leur rôle et à leur qualification. La recherche étant devenue un enjeu économique comme un enjeu de société, elle détermine à la fois le niveau intellectuel d’un pays, la valeur de son enseignement, son rayonnement culturel, politique ou économique et, plus prosaïquement, son aptitude à s’adapter ou à tirer parti des avancées des autres.


La répartition quantitative et l’évolution des travaux de recherche dans les diverses institutions du Liban (voir encadré), l’énumération des enseignants libanais qui pratiquent une certaine activité de recherche, l’illustration de l’étendue de la coopération entre les différentes universités au Liban en termes de publication des travaux de recherche communs, la supervision de la rédaction des articles publiés ainsi que la localisation du Liban sur la carte de recherche arabe, d’une part, et du Moyen-Orient, d’autre part, sont des mesures représentant une chance historique qui doit permettre d’envisager des évolutions structurelles de l’appareil de recherche national.


L’analyse de l’étendue de la coopération entre les différentes universités et centres de recherche au Liban montre que seuls 9,5 % du total des articles sont le résultat d’accords et de traités, ou découlent plus probablement de la communication personnelle entre enseignants appartenant à différentes universités.

Beaucoup d’étudiants, recherches modestes
La coopération entre les organismes et les universités du secteur public varie entre 0 et 35% du nombre total des travaux de recherche, et elle atteint 38% entre les institutions du secteur privé. La totalité de la coopération de recherche entre les institutions libanaises privées et publiques peut atteindre 49 %. Il est à noter que la collaboration entre l’UL et les diverses universités privées oscille entre 0 et 57 % (selon l’université en question) en termes de recherches publiées.


L’accroissement significatif du nombre d’étudiants inscrits dans les universités libanaises privées au cours des dernières années dans diverses disciplines n’a pas été accompagné d’une augmentation du nombre d’articles publiés. À titre d’exemple, en 2011, quelque 61 183 étudiants (ou l’équivalent de 51 % de l’effectif total des étudiants) ont été inscrits dans les universités privées en gestion, économie et sciences humaines. Cependant, la proportion des recherches publiées dans ces domaines est minime, ne dépassant pas 0,14 % du total des travaux publiés pour l’année en cours. Il en est de même des étudiants inscrits durant cette même année (2011) en informatique (24 943 étudiants), tandis que le pourcentage des travaux de recherche publiés dans ce domaine ne dépasse pas 1,65 % du total des articles publiés durant cette année.


Cette mauvaise correspondance entre l’effectif des étudiants, la pluridisciplinarité des spécialisations et le nombre de recherches publiées s’applique également aux étudiants inscrits à l’UL en 2011. La plupart d’entre eux se spécialisent en sciences de base, ingénierie, gestion et sciences humaines, mais la majorité des recherches publiées à l’UL a comme thématique les sciences informatiques et la médecine.


Cela indique que la plupart des projets appliqués au cours des années de spécialisation dans les diverses universités au Liban – comme condition pour l’acquisition des diplômes (surtout en gestion, économie et sciences humaines) – manquent de créativité. Ces projets n’aboutissent pas à des recherches publiées à l’échelle internationale bien qu’ils traitent de sujets nationaux importants.

Moins de 10 % des enseignants sont des chercheurs
Plus important encore que l’énumération des articles publiés est la valorisation de leur contenu à l’échelle internationale. En d’autres termes, la question est de savoir si ces articles sont devenus de véritables références pour les chercheurs dans le monde entier et s’ils ont abouti au développement des sociétés. L’augmentation de l’indice H est un indicateur de l’accroissement du nombre de chercheurs ayant utilisé l’article publié comme une référence dans leurs travaux de recherche. Ceci affecte positivement l’université à laquelle appartient l’enseignant-chercheur, auteur de l’article. Cet indice varie dans les institutions publiques entre 14 (Institut libanais de recherches agronomiques, IRAL) et 29 (UL), et il atteint 45 dans le cas de l’AUB.


Quoi qu’il en soit, notre analyse statistique approfondie montre que le nombre d’articles publiés sous la supervision des universités au Liban reste très limité. Il varie entre 0 et 30 % du nombre total des travaux de recherche. La plupart des articles s’inscrivent dans la continuité des travaux de recherche menés par des enseignants-chercheurs venant des pays occidentaux.


Si l’on compare le nombre des enseignants qui pratiquent une certaine activité de recherche en 2011 et le nombre total des enseignants dans les diverses universités au Liban pour la même année, on constate que la proportion des enseignants-chercheurs au Liban est minime : elle ne dépasse pas 9,72 % du total des enseignants. Cela a un impact direct sur le rôle primordial du Liban, dans sa mission de transmission des connaissances à l’échelle du Moyen-Orient.

Un potentiel immense et inexploité
Si 50% des diplômés et des enseignants de toutes les universités au Liban contribuaient à la publication d’articles scientifiques (à facteur d’impact), cela augmenterait le nombre des recherches publiées annuellement dans une proportion de 22 % (ou l’équivalent de 25281 articles au lieu de 1124 publiés par les diverses universités en 2011). Si le pourcentage de contributeurs à la recherche atteint 70 %, le nombre d’articles publiés s’accroîtra jusqu’à atteindre plus de 35000, un chiffre qui serait un record à l’échelle du Moyen-Orient.


Pour pouvoir améliorer la productivité de la recherche au Liban, il est nécessaire de faire face aux divers problèmes auxquels les enseignants sont confrontés. En effet, les jeunes doctorants ont deux choix uniques quand ils lancent leur carrière professionnelle au Liban: ils peuvent enseigner dans plusieurs universités en même temps pour assurer leurs besoins quotidiens, ou enseigner dans une seule université si leur salaire leur garantit une vie décente.


Si les jeunes doctorants suivent la première option, ils peuvent soit se limiter à l’enseignement, soit y associer une certaine activité de recherche. Dans le premier cas, les enseignants sont incapables de suivre le cours du progrès au niveau des systèmes, outils et information (ex. en sciences informatiques et en médecine), ce qui aboutira à une baisse du niveau éducatif et influencera par la suite la qualité des diplômes délivrés par les universités. Dans le second cas, l’enseignant-chercheur peut être motivé au début de sa carrière par les perspectives de promotion, sans prêter une attention particulière à la qualité de la recherche produite. Mais une fois le titre de professeur acquis, l’enseignant s’arrête le plus souvent de publier faute de motivation. Cela est certes compréhensible, mais peut conduire à réduire la qualité des informations acquises sur le long terme. D’autre part, si les enseignants continuent de publier en faisant preuve d’une certaine créativité dans le domaine de la recherche et en l’absence de récompenses matérielles et morales, ils finiront par être démotivés, ce qui les incitera à émigrer ou à arrêter la recherche.


Deux types d’enseignants-chercheurs peuvent coexister dans les universités, l’un actif et l’autre ordinaire, en termes de productivité scientifique. La différence entre les deux catégories est visible par le nombre et la qualité des recherches publiées annuellement. Le problème le plus grave qui pourrait réduire la productivité scientifique des enseignants chercheurs actifs est celui de la bureaucratie administrative.

Rôle des universités au Liban dans l’activation de la recherche
Les diverses universités au Liban doivent appliquer des schémas stratégiques et des plans annuels en concevant de façon rigide la situation des enseignants. Il serait souhaitable d’embaucher (à plein-temps) les enseignants et de leur assurer les besoins essentiels de survie ainsi que de meilleurs revenus (de l’allocation de recherche au salaire de recrutement). Il faudrait aussi évaluer annuellement leurs travaux, par l’intermédiaire d’indicateurs de recherche transparents reconnus universellement. Il faut reconnaître le droit et le devoir de recherche des jeunes maîtres de conférences, surtout par l’allègement de leur charge d’enseignement en début de carrière. Il est également nécessaire d’avoir une vision prospective en s’appuyant sur la création d’équipes de recherche libanaises spécialisées (dans des thèmes bien définis) qui peuvent réussir à décrocher des financements pour des projets de recherche panarabes, européens et internationaux.


C’est sur cette base que les universités peuvent attirer un plus grand nombre d’étudiants libanais et arabes, ce qui contribuerait à leur prospérité sur le long terme, surtout si elles favorisent les coopérations entre les scientifiques et l’ensemble des acteurs sociaux et économiques, travaillant dans des hôpitaux, des usines et des entreprises privées.
Enfin, il convient de mettre en œuvre une politique nationale de recherche attractive à appliquer par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Une telle politique inclurait des mesures d’évaluation transparentes de toutes les activités au sein des universités au Liban (gouvernementales et privées) et de valorisation des enseignants (droit et devoir de recherche)... Mais surtout, elle permettrait d’adapter la recherche et son potentiel humain à l’évolution des besoins. Cela est crucial pour garantir la performance de l’enseignement supérieur au Liban dans le cadre d’un espace arabe et méditerranéen qui se renforce pour répondre aux interrogations croissantes de la société sur elle-même et pour assurer le renforcement et le renouvellement du potentiel national de recherche.

*Professeure en télédétection et environnement à l’Université libanaise, lauréate du Prix de la francophonie pour jeunes chercheurs en 2011, habilitée à diriger des recherches par l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI, qualifiée professeure par le ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.


Pour mémoire

L’Université libanaise, une institution en déclin, minée par le confessionnalisme politique et le clientélisme


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