À quoi jouent donc exactement les protagonistes dans le dossier de la réforme électorale ? À la veille de la reprise aujourd’hui des tractations dans le cadre parlementaire en vue d’un accord sur ce dossier, il est assez difficile d’y voir clair et encore plus de séparer le bon grain de l’ivraie.
La sous-commission parlementaire ad hoc, formée il y a plus de deux mois dans le but de tenter un rapprochement des points de vue des divers protagonistes sur les deux points essentiels de toute loi électorale, à savoir le mode de scrutin (majoritaire ou proportionnel) et le découpage des circonscriptions, va donc reprendre ses réunions dès aujourd’hui au siège du Parlement sous l’égide du président de la commission de l’Administration et de la Justice, Robert Ghanem.
Paradoxe à souligner, cette reprise des contacts entre les deux camps en présence intervient alors même que le président de la République vient de reporter sine die le dialogue national.
La sous-commission est, rappelons-le, formée de dix membres : cinq du 14 Mars (en comptant M. Ghanem), quatre du 8 Mars et un du bloc joumblattiste. La reprise des tractations a été rendue possible dès lors que l’exigence de sécurité des membres du 14 Mars a été prise en compte : dès hier soir, les membres quatorze-marsistes et leur collègue joumblattiste (Akram Chehayeb) ont emménagé dans un établissement voisin du bâtiment de l’Assemblée, l’hôtel « Suites Étoile », en vertu d’un accord négocié avec le président de la Chambre, Nabih Berry. Cela va leur permettre de répondre sans risque sécuritaire majeur au besoin d’intensification des réunions de la sous-commission.
Trois textes à l’étude
Pour l’instant, trois formules de législation électorale ont été soumises à la Chambre : tout d’abord le projet de loi présenté par le gouvernement, fondé sur le mode de scrutin proportionnel et un découpage en treize circonscriptions. Cette formule fait la part belle au 8 Mars, en particulier au tandem chiite Hezbollah-Amal, et est totalement rejetée par le 14 Mars et les joumblattistes. Elle n’a donc pratiquement aucune chance d’être adoptée.
La deuxième formule est celle présentée sous forme de proposition de loi par les Forces libanaises et les Kataëb et qui a été avalisée dans le principe par le courant du Futur. Elle porte sur une division du pays en une cinquantaine de circonscriptions et se fonde naturellement sur le mode majoritaire. Les détails du découpage n’ont, jusqu’ici, pas été rendus publics, mais cette mouture, censée corriger dans une large mesure la représentation chrétienne, suscite bien évidemment l’hostilité des milieux chiites et prosyriens. Il semble aussi que le chef du PSP, Walid Joumblatt, n’y soit pas non plus favorable, ce qui est tout à fait compréhensible si le découpage prévu dans la Montagne soustrait de façon totale ou quasi totale les sièges chrétiens au leadership joumblattiste.
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Jusqu’ici, tout paraît logique et plus ou moins clair, mais c’est avec la troisième formule que les choses se compliquent. Il s’agit de la proposition – radicale – mise au point par le Rassemblement orthodoxe et présentée à la Chambre par des députés membres du bloc du Changement et de la Réforme. Personne au sein de ce bloc n’a tenté jusqu’ici la moindre explication plausible sur les raisons qui le poussent à parrainer deux textes situés aux antipodes l’un de l’autre pour ce qui est de l’exigence de correction de la représentation chrétienne.
La formule du Rassemblement orthodoxe, qui prévoit l’élection exclusive des députés de chaque communauté par les électeurs de la communauté concernée, rétablit, en effet, une parité totale et parfaite entre les communautés et corrige donc à 100 pour cent la représentation chrétienne (les 64 députés chrétiens élus par des électeurs chrétiens). Ce faisant, cette proposition viole toutefois clairement l’esprit et la lettre de la Constitution et du système politique libanais, qu’elle pousse vers un fédéralisme communautaire.
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Le projet présenté par le gouvernement s’inscrit en revanche dans la lignée des lois électorales favorables aux fameux « bulldozers » ou rouleaux compresseurs des années quatre-vingt-dix. De ce fait, et malgré l’introduction de la proportionnelle, ce texte aggraverait manifestement, s’il était adopté, le déséquilibre dont souffrent les chrétiens.
Le comité de Bkerké
Accusé par les chrétiens du 14 Mars de se livrer à de la démagogie électoraliste en se faisant le champion de la proposition du Rassemblement orthodoxe après avoir avalisé le projet gouvernemental, le bloc aouniste a rétorqué en affirmant que ses alliés – Hezbollah et Amal – sont disposés à le soutenir en retirant leurs griefs contre le texte dit « orthodoxe ». – Chiche, ont semblé répondre (en substance) les FL et les Kataëb. Dont acte : le comité de Bkerké, formé des représentants des quatre principales formations maronites (CPL, FL, Kataëb et Marada) et donné pour moribond tout au long des dernières semaines, a soudainement ressuscité dimanche soir et s’est réuni sous l’égide du patriarche Béchara Raï et de deux évêques maronites pour avaliser une nouvelle fois « unanimement » le projet « orthodoxe ». Mais, dans cet accord subit, le marché de dupes est patent, dans la mesure où personne ne croit réellement aux chances de succès de ce projet et où chaque partie cherche manifestement à piéger l’autre.
Les propos tenus hier après-midi par le chef des FL, Samir Geagea, ne laissent aucun doute à ce sujet : M. Geagea a lancé promptement le ballon dans la cour du général Michel Aoun et de ses alliés chiites, mettant au défi ces derniers de définir clairement leur position. Le 8 Mars s’est naturellement efforcé de le lui rendre un peu plus tard lors d’une réunion qui a regroupé le bloc aouniste et ses alliés au domicile du ministre de l’Énergie, Gebran Bassil, à Rabieh. Point de communiqué à l’issue des tractations (et pour cause : on ne veut rien entériner de façon claire et définitive), mais quelques indications filtrées à la presse, à savoir que les participants attendent à présent de connaître la position des alliés (sunnites) des FL et des Kataëb à l’égard du projet du Rassemblement orthodoxe.
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Dans cette partie de cache-cache, le courant du Futur se distingue pourtant. Il se dit irréversiblement hostile à ce projet, mais aussi à la proportionnelle sous toutes ses formes dans les circonstances actuelles. D’autre part, les FL et les Kataëb n’ont à aucun moment prétendu que leurs alliés musulmans étaient disposés à accepter ce projet. C’est donc bien dans la cour du Hezbollah que le ballon se trouve à présent, que ce dernier veuille l’admettre ou pas.
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En tout état de cause, l’importance de la question devrait être relativisée dans la mesure où l’on continue, dans les rangs de ce parti, à littéralement mépriser le vote des électeurs. Comment, en effet, voir autre chose que du mépris dans les propos tenus hier par le vice-président du conseil exécutif du Hezb, cheikh Nabil Kaouk : « L’équation armée-peuple-résistance est solide comme une montagne, a-t-il lancé lors d’une cérémonie. Elle n’est secouée ni par des raids ni par des élections »...
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commentaires (6)
La formule du Rassemblement orthodoxe, qui prévoit l’élection exclusive des députés de chaque communauté par les électeurs de la communauté concernée, reste le meilleur choix surtout dans cette phase critique que traverse le pays . Antoine Sabbagha
Sabbagha Antoine
09 h 42, le 08 janvier 2013