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Liban - Manifestation

Des milliers d’enseignants des secteurs public et privé paralysent la capitale

Les protestataires, auxquels se sont joints les fonctionnaires, menacent d’une grève ouverte au cas où l’échelle des salaires n’est pas immédiatement transmise au Parlement.

Photo Mahmoud Assaf

Les syndicats des enseignants des secteurs public et privé avaient promis une manifestation historique. La réalité a dépassé leurs espérances. « Du jamais-vu depuis 1975 », comme le note un enseignant du privé. Des milliers d’enseignants et de fonctionnaires des différents ministères sont descendus dans la rue, hier, bloquant les grands axes routiers de la capitale, formant un serpent long de plusieurs centaines de mètres, s’étalant à perte de vue, depuis le siège du ministère de l’Éducation, devant le palais de l’Unesco, jusqu’au Grand Sérail. Unis pour l’adoption de la nouvelle échelle des salaires et pour le transfert immédiat au Parlement de cette échelle, décidée en Conseil des ministres. Arborant banderoles et slogans de leurs revendications salariales. Hurlant ces revendications d’une même voix, sous l’œil attentif des passants et des habitants, massés sur leurs balcons. Menaçant d’escalade au cas où l’échelle des salaires n’est pas transférée illico au Parlement. Invitant les autorités à mettre fin au gaspillage, à la corruption, aux privilèges et au clientélisme, pour financer le projet et donner leurs droits aux enseignants. Un droit qu’ils attendent depuis le dernier réajustement de leurs salaires, qui remonte à plus de 16 ans.

Toujours pas d’augmentation de vie chère
 « Est-il juste que les augmentations des enseignants ne dépassent pas 65 000 LL en deux ans ? » demande une enseignante du Grand Lycée franco-libanais, Ghada Fahd Rached, manifestant en compagnie de nombreux collègues de l’institution. « Un enseignant gagne un échelon tous les deux ans, conformément à la loi, explique-t-elle. Nous n’avons pas d’autre augmentation ni même d’augmentation de mérite. C’est la raison pour laquelle nous réclamons que l’échelon soit revu à la hausse et plafonne à 135 000 LL. D’où la nécessité de l’adoption de l’échelle des salaires. »
Odette a fait le déplacement depuis Tripoli, où elle enseigne les mathématiques dans le primaire, dans une école catholique privée. « Après 32 ans d’enseignement, mon salaire se limite à 1 226 000 LL (815 dollars environ), pour 23 heures de cours par semaine, sans compter les corrections, les formations et les réunions de coordination », déplore-t-elle. « Pire encore, nous, enseignants du privé, n’avons toujours pas obtenu la vie chère. Nous ne l’obtiendrons que si la nouvelle échelle des salaires est adoptée », observe-t-elle. Propos confirmés par des enseignantes du Collège des Carmélites de Fanar, venues en masse, encouragées par leur direction. C’est d’ailleurs avec satisfaction que le secrétaire général du syndicat des enseignants, Walid Jrady, constate la participation massive des enseignants du privé. « Contrairement aux enseignants de l’école publique, ceux du privé n’ont pas obtenu l’augmentation liée à la vie chère. Les écoles privées ont pourtant déjà augmenté les scolarités », souligne-t-il.

 

(Lire aussi : Chammas : Le recours à la rue n’est pas une solution)


Même participation massive de la part des enseignants du secteur public. Mêmes complaintes, à quelques différences près. « Nous venons tout juste d’obtenir l’augmentation de vie chère, affirme Basma Soueid, enseignante à l’école publique. Mais cela n’empêche qu’après 23 ans de métier, mon salaire n’est que de 1 500 000 LL. » Sofiane, un enseignant de l’école publique de Denniyé, qui a fait le trajet en famille pour participer à la manifestation, est certain que seule la force permettra aux enseignants d’obtenir leurs droits, comme de coutume. « Mais je crains que l’échelle des salaires soit amendée, avoue-t-il. Nous voulons pourtant pousser le gouvernement à mettre fin au gaspillage des fonds publics, pour financer le projet. »

 

 

 



Halte au gaspi ! 
Les propos de Sofiane sont vite couverts par les slogans hurlés en chœur par les manifestants en marche, ponctués d’applaudissements. « Que sont devenues tes promesses, Mikati ? Tu avais promis l’adoption de l’échelle des salaires pour le Fitr. Mais la fête de l’Adha approche », lancent-ils, à proximité de Dar el-Fatwa. Ils ne manquent pas de lancer un appel à la troupe, par un « Allez, soldat du Liban », l’invitant à se solidariser avec eux.


Au premier rang du cortège, les responsables syndicaux, notamment Hanna Gharib, président du Comité de coordination intersyndicale, et Nehmé Mahfouz, président du syndicat des enseignants des écoles privées, mènent la marche, à l’instar d’autres représentants syndicaux, comme Mahmoud Haydar, Mahmoud Ayoub ou Maroun Harb. Courte pause devant la Chambre du commerce et de l’industrie, à Sanayeh, où une véritable clameur s’élève des rangs des manifestants. Ils interpellent les ministres Abboud, Nahas ou Bassil, les invitant à faire cesser le gaspillage et les commissions, pour financer l’échelle des salaires. Les manifestants n’hésitent pas à lancer des attaques directes à l’adresse des commerçants, principaux détracteurs de l’échelle des salaires, les accusant d’avoir recours à la contrebande et d’enfler les prix, au détriment de la classe moyenne.

 

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« Il suffirait de mettre fin aux privilèges financiers des députés, ministres et présidents, pour financer cette échelle », propose aussi le responsable des affaires des fonctionnaires au ministère de l’Information, Adham Mansour. Un couple d’enseignants du public venu de Saïda dénonce, lui, le gaspillage au niveau de l’Électricité du Liban. Il invite le gouvernement à taxer les empiètements sur les biens-fonds maritimes et fluviaux. « Que d’impôts injustes pour les pauvres », lance Nicolas Saliba. 

L’échelle des salaires, sans échelonnement
C’est sous un imposant dispositif sécuritaire que la manifestation arrive place Riad el-Solh, devant le Grand Sérail. L’ambiance reste bon enfant, même si les slogans sont forts et agressifs. Une enseignante s’adresse aux éléments des forces spéciales des FSI. « Nous manifestons pour vos droits à vous aussi », leur lance-t-elle, avec le sourire. Des membres d’associations de la société civile sont présents, comme Chamel, Nassawiya ou l’Agenda juridique, pour soutenir ou observer le mouvement.
Place aux discours.


Nehmé Mahfouz donne le ton, écorchant au passage les directions d’établissements privés, « dont certaines ont eu recours à la menace pour empêcher leurs enseignants de manifester », dit-il. « Les enseignants du privé n’ont pourtant pas obtenu la vie chère. Ils ne pourront l’obtenir que si l’échelle des salaires est transmise au Parlement ». Le syndicaliste réclame alors le transfert immédiat au Parlement de l’échelle des salaires, reprochant au Premier ministre, Nagib Mikati, de ne pas avoir tenu ses promesses. Il demande « l’adoption de celle-ci sans échelonnement, tout en tenant compte des droits des contractuels et des retraités ». « Autrement, la bataille sera ouverte », assure-t-il, promettant « l’escalade » et même « la paralysie totale du secteur éducatif ».


S’adressant aux instances économiques, M. Mahfouz les invite à revoir leurs comptes. « L’échelle des salaires coûtera au Trésor 1,1 milliard de dollars environ, et non pas 4 milliards comme ils l’ont dit », assure-t-il. Il souligne aussi que ce dossier est « un prétexte pour les autorités de créer de nouveaux impôts et de taxer le peuple, dans l’objectif d’adopter le nouveau budget ». Nehmé Mahfouz ne peut s’empêcher de dénoncer le gaspillage, la corruption et le vol, notamment au port de Beyrouth, au niveau des télécommunications ou du registre foncier. « Qu’ils comblent donc le déficit et empêchent le gaspillage ! Cela financera l’échelle des salaires. »


Les propos de Hanna Gharib clôturent la manifestation. Tout aussi véhéments à l’intention de l’État. « C’est la politique des autorités successives depuis de nombreuses années qui nous a menés là, qui a causé le déficit public et pousse la jeunesse à l’émigration », accuse-t-il. Refusant les prétextes lancés par les responsables, il invite le gouvernement à combattre la corruption pour trouver le milliard de dollars nécessaire au financement de l’échelle des salaires. « Taxez les biens-fonds maritimes et les placements rentiers, faites cesser la contrebande, luttez contre le déficit d’EDL », dit-il, refusant catégoriquement le versement de l’échelle des salaires à tempérament. 
L’échelle des salaires ou l’escalade. Autrement dit, la grève ouverte, voire la paralysie de l’année scolaire. C’est sur cette note que les milliers de manifestants se sont dispersés, dans le calme, avec la satisfaction d’avoir fait entendre leurs revendications et l’espoir d’obtenir très bientôt leur droit à une vie plus décente.

 

 

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Et que dire des droits des anciens propriétaires ,ou le parlement cache toujours la nouvelle loi dans ses couloirs sombres . Antoine Sabbagha

Sabbagha Antoine

04 h 25, le 11 octobre 2012

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Commentaires (1)

  • Et que dire des droits des anciens propriétaires ,ou le parlement cache toujours la nouvelle loi dans ses couloirs sombres . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    04 h 25, le 11 octobre 2012

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