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Liban

La lettre ouverte de Nabil Khalifé au pape : Les chrétiens ne doivent être les garde-frontières d’aucune partie

À l’occasion de la visite projetée que le pape Benoît XVI pourrait effectuer au Liban dans le courant de cette année afin, entre autres, de rendre publique l’Exhortation apostolique des Églises d’Orient, le Dr Nabil Khalifé, spécialiste en questions géopolitiques, a adressé au souverain pontife une lettre ouverte dans laquelle il expose et analyse la situation et les perspectives d’avenir des chrétiens d’Orient. Dans une première partie que nous avons publiée dans notre édition d’hier, le document évoque les appréhensions et les défis des chrétiens du Liban et de la région. Nous publions aujourd’hui la seconde partie de cette lettre qui aborde notamment le problème de la situation des chrétiens à l’ombre du printemps arabe.

La messe marquant l’ouverture du synode consacré « au présent et à l’avenir » des chrétiens du Moyen-Orient, à Saint-Pierre de Rome.

Deux parties au moins, et pour des raisons idéologiques et géopolitiques propres à elles, ont des visions différentes du Liban en tant qu’entité. Il s’agit des deux pays voisins, Israël et la Syrie. Pour des considérations propres à chacun d’eux, ces deux pays perçoivent le Liban, en tant qu’entité et État, comme une erreur géographique et historique et non pas comme une réalité géographique et historique.


Les griefs d’Israël à l’égard des chrétiens libanais portent sur le fait qu’ils sont une collectivité ayant une pensée nationale (Youssef Sawda, Antoun Saadé, Constantin Zreik), une collectivité ayant une pensée démocratique, libérale et modérée (Michel Chiha), une collectivité ayant une pensée pluraliste dans un État pluraliste, antithèse de l’État juif monolithique (Michel Hayek, Youakim Moubarak), une collectivité entretenant des liens avec la civilisation occidentale (l’école maronite de Rome), une collectivité attachée à l’entité et la souveraineté libanaises (de Béchara el-Khoury à Gebran Tuéni).


Les frontières de la terre d’Israël, selon toutes les représentations idéologiques sionistes, s’étendent jusqu’au lit du fleuve Litani. Or l’État hébreu exprime ces idéologies depuis sa création à travers les attaques répétées contre les territoires libanais et la souveraineté du Liban, et en cherchant dernièrement à imposer la démarcation de la frontière maritime de la zone économique exclusive des deux pays en retranchant plus de 1 000 km2 de la mer Méditerranée, ce qui dépasse les comptes officiels libanais sur la frontière maritime avec Israël et Chypre à partir du point 23.
Les positions et les pratiques israéliennes s’inscrivent dans le cadre des objectifs stratégiques de l’État hébreu, parmi lesquels : mettre fin à la présence des forces modérées dans les sociétés et les régimes arabes modérés, encourager le remplacement de l’identité arabe par l’identité islamique pour transformer la lutte en une lutte entre les religions et non pas entre les nations, faire nourrir les courants extrémistes et les idées fanatiques pour perturber la relation entre les Arabes (musulmans) et l’Occident, encourager l’insurrection des armées chiites face aux armées sunnites et pour allumer l’étincelle d’un conflit sunnito-chiite dans une confrontation entre le croissant chiite et l’arc sunnite du Golfe à la Méditerranée. Chacun des ces objectifs a ses interprétations et ses répercussions sur le pays du Cèdre.
Les reproches de la Syrie à l’égard des chrétiens libanais ne se rattachent pas en principe à des considérations religieuses mais à des considérations nationales, d’entité et de souveraineté :


– Le régime syrien se considère comme une force régionale, et par la suite il a des ambitions dans son environnement. Au fond, il cherche à créer la Grande Syrie et avoir un rôle dans la décision des destins des pays environnants.


– Le Liban fait partie du territoire syrien qui s’étend des pays de Cham et le Rif du Damas. L’entité et la souveraineté du Liban déclarées par la France en 1920 sont illégitimes, mais il est une richesse stratégique pour la Syrie et un pont pour ses relations avec l’Occident, une façade maritime et un État tampon entre la Syrie et Israël constituant un facteur d’équilibre entre les intérêts des deux pays depuis « le système des lignes rouges » de Henry Kissinger en 1976. Pour toutes ces raisons, la Syrie a cherché et cherche toujours à imposer son hégémonie sur le Liban directement ou par procuration.


– Mais la cause libanaise prend une dimension tragique pour une raison essentielle : la Syrie et Israël ne se contentent pas de leur vision particulière de l’entité libanaise, qu’ils perçoivent comme une erreur géographique historique, mais ils cherchent par tous les moyens, par le biais de deux stratégies claires, à confirmer la « véracité » et la « légitimité » de leur vision, en prétendant que cette erreur doit être corrigée. Cette correction se fait pratiquement en essayant de détruire l’expérience libanaise, en affirmant que c’est une expérience illégitime, non documentée et non viable, et que de ce fait l’erreur géographique doit être corrigée en ne reconnaissant pas la frontière internationale du Liban, en refusant sa démarcation et en violant la frontière démarquée. Quant à l’erreur historique, elle doit être corrigée par la non-reconnaissance effective de l’État libanais en violant ses frontières et sa souveraineté, et en exploitant ses richesses.


– Cette violation se fait d’une manière systématique et se manifeste par l’implantation des réseaux d’espionnage à l’intérieur du Liban et la violation de son espace aérien et de son territoire géographique. Sa seconde facette se manifeste par l’implantation de différentes organisations militaires libanaises et non libanaises dans plusieurs régions, en vue d’empêcher l’autorité libanaise d’étendre sa souveraineté sur ses territoires géographiques. Que dire si l’une de ces organisations a une idéologie, des ambitions, des objectifs, des pouvoirs et un soutien qui pourraient saper l’État même, ce qui bouleverserait son entité « artificielle », en attendant le « remplacement » de cette entité et d’autres entités du Proche-Orient qui « furent inventées par la colonisation » parce qu’elles constituent des « résidus » des accords de Sykes-Picot. Donc, il est nécessaire d’instaurer de nouvelles entités dans la région, créées par la force de « notre volonté », « en projetant nos esprits et nos cœurs sur de nouvelles cartes » et non pas sur base de frontières et de cartes inventées par « la colonisation occidentale ». « Nous aurons ainsi dans une décennie une carte meilleure que celle à l’ombre de laquelle nous vivons aujourd’hui », comme l’a déclaré clairement le président Bachar el-Assad (voir les quotidiens al-Akhbar et al-Hayat du 26/02/2010). Ces deux visions utopiques qu’ont Israël et la Syrie du Liban et les positions régionales et internationales qui s’y rattachent ainsi que les forces locales afférentes confirment que l’enjeu du conflit est la terre, le territoire. Par voie de conséquence, les chrétiens souverainistes, enracinés dans la terre libanaise, font face à un plan qui vise à les affaiblir en éradiquant le Liban comme lieu de refuge souverain et définitif, le but recherché à long terme étant d’éliminer la présence chrétienne.


De ce fait, la crédibilité de toute personnalité ou institution chrétienne, et en particulier maronite, qu’elle soit religieuse ou civile, est liée à sa fidélité et son engagement total et clair envers la cause libanaise, telle qu’exposée ci-dessus... Tout le reste n’est que déviationnisme et, comme disait Heigel, « un bavardage politique sans valeur face au sérieux de l’histoire » !

IV

Votre Sainteté,
- Le cas des chrétiens du Moyen-Orient et du monde arabe à l’ombre du printemps arabe vous préoccupe ainsi que beaucoup d’autres.
- Les peuples de la région font face à de grandes mutations à tous les niveaux. Le dénominateur commun entre tous ces mouvements a été résumé par un penseur arabe connu qui a dit que « c’est un peuple qui annonce en une seule voix son appartenance à la liberté... C’est le mouvement d’allégeance à la vie avant la nourriture et le travail » (Adonis).
- L’aspect sérieux, global et profond de ces mutations et les interrogations qu’elles ont engendrées jusque-là dans les esprits, les cœurs, les consciences, les institutions et les régimes concernant les constantes et la finalité ne font pas de ces mutations un simple printemps arabe, exprimant la naissance de la vie, sa beauté et son rayonnement uniquement, mais elles font d’elles, et ce qui est plus important encore, un printemps islamique qui constitue un nouveau départ, radical et ferme, dans l’histoire de la pensée islamique.
- Les choix des chrétiens d’Orient ne peuvent pas être partisans, sectaires ou même politiques. Et à plus forte raison ils ne peuvent pas être impulsifs, basés sur les instincts et les sentiments, dans le cadre de « l’alliance des minorités ». Ces choix doivent être, au contraire, des choix existentiels, sociaux, historiques, fondés sur deux points fondamentaux :

– L’établissement des meilleures relations possibles avec toutes les composantes des sociétés et des États dans lesquels les chrétiens vivent, que ces composantes soient minoritaires ou majoritaires, sachant que la solution ne peut se faire qu’avec la majorité arabe sunnite qui constitue 70 % des habitants du Moyen-Orient et du monde arabe. Force est de relever, en effet, qu’une minorité est incapable de résoudre le problème d’une autre minorité, car autrement elle aurait été capable de résoudre son propre problème.
– Prendre en considération la nouvelle vision islamique de l’homme, de la société, du pouvoir et de l’histoire, telle que rédigée par le document d’al-Azhar et des intellectuels ; ce document est considéré comme une révolution dans l’histoire de l’islam, depuis 1 400 ans. L’essence de ce document est le passage du dogmatisme unique au pluralisme. Par conséquent, l’islam ne reste plus la seule et unique solution ; à la volonté d’Allah (dans l’islam) vient s’ajouter la volonté de l’homme (dans la démocratie). L’autorité puise ainsi sa légitimité, du point de vue religieux et constitutionnel, du consentement et du choix libre des peuples, à travers un scrutin public intègre, transparent et démocratique, lequel serait un substitut moderne au califat islamique. Le choix s’exprime aussi en se conformant à la charte des libertés essentielles de pensée et d’opinion, de sorte que la nation soit la source des pouvoirs (document d’al-Azhar et des intellectuels, le 02/11/2011). Donc si le califat en islam a été aboli par Atatürk en 1924, il a été légitimement aboli en 2011 par la déclaration du document d’al-Azhar et des intellectuels : « La démocratie comme substitut au califat. »
Nous sommes donc face à deux printemps et non pas un seul : le printemps arabe et le printemps islamique, et nous devons accueillir les deux printemps avec confiance et espoir.


Face à ce point d’inflexion crucial et dangereux dans l’histoire de notre région, de nos églises, de nos sociétés, de nos institutions (religieuses et civiles), nous ne bénéficions malheureusement pas de beaucoup de responsables qui font preuve de sagesse et de transparence dans le traitement de nos affaires religieuses, civiles et politiques. Dans le même temps, nous nous inquiétons du fait que certains responsables chez nous au sein de la curie romaine ne sont pas totalement conscients du préjudice que l’Église pourrait encourir si leurs décisions, leurs choix et leur opinion ne sont pas inspirés de la mission pauliste dans le cadre d’un « nouveau paulisme », plutôt que d’autres considérations. La ferveur de la foi et la persévérance de l’Église construite sur le rocher de saint Pierre, telles que vécue et édifiée par nos ancêtres fondateurs, ne sauraient être remplacées par la froideur des églises de pierre en Ukraine. Nous avons besoin d’une prise en charge pour renouveler notre existence, notre peuple et nos institutions, et non pas de relations qui visent apparemment à faciliter notre redressement mais qui en réalité visent à nous détruire. Nous avons besoin de reconsidérer jusqu’à quel point nous sommes responsables de nous-mêmes et jusqu’à quel point l’Église universelle est responsable de nous, pour ne pas payer le prix de fautes commises par l’intérieur et l’extérieur.
... Nous avons besoins d’une Église qui voit juste et à long terme.

Votre Sainteté
Saint Paul, l’apôtre des nations et comme vous l’aviez appelé « Apôtre de tous les âges », dit : « Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse, car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (Cor. 2, 12/9-10). Telle est exactement la situation des chrétiens du Liban et du Moyen-Orient en ces temps d’espérance chrétienne. Ces chrétiens sont les fils d’Églises qui se situent « à la frontière » ; ils ne doivent donc pas être les garde-frontières de l’Occident, ni d’Israël ni des régimes oppressifs, fussent-ils minoritaires ou majoritaires. C’est la « dignité de l’homme (qui) constitue l’essentiel de la morale chrétienne » (Joseph Ratzinger).

Deux parties au moins, et pour des raisons idéologiques et géopolitiques propres à elles, ont des visions différentes du Liban en tant qu’entité. Il s’agit des deux pays voisins, Israël et la Syrie. Pour des considérations propres à chacun d’eux, ces deux pays perçoivent le Liban, en tant qu’entité et État, comme une erreur géographique et historique et non pas comme une...

commentaires (1)

C'est bien tout çà...mais concrètement?parceque les grandes idées ,c'est formidable...mais concrètement?Eh bien concrètement,c'est la merde pour les chrétiens du MO...c'est çà le concret d'aujourd'hui...et que compte-t-on faire à ce sujet?Ah,des réunions interreligieuses probablement...allez y les gars,encore une décennie de ce type de réunion,et le problème ne se posera même plus...et devinez pourquoi?

GEDEON Christian

19 h 52, le 17 février 2012

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Commentaires (1)

  • C'est bien tout çà...mais concrètement?parceque les grandes idées ,c'est formidable...mais concrètement?Eh bien concrètement,c'est la merde pour les chrétiens du MO...c'est çà le concret d'aujourd'hui...et que compte-t-on faire à ce sujet?Ah,des réunions interreligieuses probablement...allez y les gars,encore une décennie de ce type de réunion,et le problème ne se posera même plus...et devinez pourquoi?

    GEDEON Christian

    19 h 52, le 17 février 2012

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