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Liban - Feuille de route

Indignons-nous !

Dans certaines situations, les mots paraissent parfaitement dérisoires pour décrire cette non-odeur incolore de mort qui flotte sur Deraa, Homs ou Banias, dans le cadre de cette orgie inqualifiable de violence, de ce festin nu et sanglant à la gloire du régime syrien et de ses dirigeants. Il faut aussi savoir sortir un moment de sa posture analytique pour dénoncer l'horreur, surtout lorsqu'elle se déroule, insoutenable, devant nos yeux - de Misrata à Manama.
Les mots sont dérisoires face aux hurlements inhumains des parents de ces victimes à la mâchoire explosée, à la cervelle fendue, à la colonne vertébrale perforée ; face aux cris muets - dans ces écoles et ces stades de football transformés en camps de détention - des enfants arrêtés et torturés, les ongles arrachés ; ou encore face à ces blessés jetés, selon Mountaha el-Atrache, dans des fosses communes près de Deraa, et enterrés vivants avec les morts.
C'est le silence de la consternation, cette douleur muette et aiguë qu'aucun esprit ne peut comprendre de ces hommes, femmes et enfants massacrés comme du bétail dans les rues de Syrie depuis plus de six semaines, dans la quasi-indifférence du monde.
Les mots manquent pour décrire l'ampleur de la barbarie.
Il reste que certains silences valent mieux que les panégyriques à la gloire du régime, assénés, au Liban surtout, tantôt au nom d'une peur dhimmie communautariste à outrance - alors même que les deux valeurs fondamentales du christianisme sont le rejet de la violence et la promotion de la liberté -, tantôt au nom d'une servitude mêlée de fascination pour la capacité des maîtres du régime à pouvoir faire chez eux ce que l'on voudrait tant faire chez soi, et tantôt par pur pragmatisme, parce que la conscience finit toujours par se ranger chez certains du côté de la botte, surtout lorsqu'elle montre sa capacité à bien laminer, écraser, annihiler l'autre.
Mais le plus terrible demeure probablement l'acceptation tacite par les pôles occidentaux, et par les États-Unis en tête, de la répression menée par le régime syrien sur l'ensemble de son territoire. Ce qui est interdit en Libye est permis en Syrie. Là où Kadhafi est un assassin dont le sort doit être ultimement scellé, Bachar el-Assad, lui, a « l'étoffe d'un réformateur », et il faut encore « lui donner une chance ». En d'autres termes, lui octroyer un permis de tuer en toute impunité. Le même discours hypocrite qui dure depuis 40 ans pour justifier la terreur en Syrie, en arguant tantôt de « l'impératif de la lutte contre l'islamisme », tantôt de « la primauté des intérêts sécuritaires d'Israël », et tantôt de « l'absence d'alternative ».
L'essentiel, c'est qu'un jour Américains et Européens, dirigeants et intellectuels, ne se réveillent pas un jour, trop tard, l'âme plus si légère, en décidant de réciter, pour se donner bonne conscience, le même mea culpa de Jean-Paul Sartre au Nouvel Observateur en 1975 : « Après ma première visite en URSS, en 1954, j'ai menti. Enfin "menti" est un bien grand mot. J'ai dit des choses aimables sur l'URSS que je ne pensais pas. Je l'ai fait d'une part parce que j'estimais que, quand on vient d'être invité par des gens, on ne peut pas verser de la merde sur eux à peine rentré chez soi, et d'autre part parce que je ne savais pas bien où j'en étais par rapport à l'URSS et par rapport à mes propres idées. (...) Je ne savais pas qu'ils [les camps] existaient encore après la mort de Staline, ni surtout ce qu'était le Goulag. »
Dans certaines situations, les mots paraissent parfaitement dérisoires pour décrire cette non-odeur incolore de mort qui flotte sur Deraa, Homs ou Banias, dans le cadre de cette orgie inqualifiable de violence, de ce festin nu et sanglant à la gloire du régime syrien et de ses dirigeants. Il faut aussi savoir sortir un moment de sa posture analytique pour dénoncer l'horreur, surtout...

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