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Liban - Feuille de route

In a Lonely Place...*

Alors, c'est Israël qui est derrière tout ce qui s'est produit au Liban depuis 2004. Soit. Admettons le postulat de base. Que ne nous réconforterait-il pas en effet d'entendre que c'est encore une fois Tel-Aviv, mue par sa volonté éternelle de maintenir la discorde dans le monde arabe, qui est la source des maux du Liban, comme c'est d'ailleurs largement le cas depuis 1948. Quelle joie ce serait, pour l'ensemble des Libanais, de pouvoir redéfinir une fois de plus leur unité nationale contre « l'ennemi idéologique » de la « grande nation arabe ». D'autant que l'argument viendrait à point nommé pour décrisper complètement la situation avec la Syrie, maintenant que l'armée syrienne s'est retirée du pays, et malgré les ingérences syriennes feutrées par Libanais interposés. La culpabilité d'Israël serait incontestablement une véritable aubaine pour le Liban. Souhaitons donc de tout notre cœur que Hassan Nasrallah en possède la preuve létale, et qu'il la remettra au plus vite au TSL, afin que ce dernier puisse rapidement tirer ses conclusions et trouver enfin grâce aux yeux du leader islamiste.
Seulement, et quelles que soient les preuves extraordinaires que le patron du Hezbollah va bien pouvoir exhumer aujourd'hui dans le nouvel épisode de sa saga télévisée épique, il reste que quelque chose ne tient pas la route - et c'est le moins qu'on puisse dire - dans son raisonnement. D'où la légitimité de cet article, fait de questions ingénues sans réponses.
Si c'est en effet Israël qui a assassiné Rafic Hariri, Bassel Fleyhane, Samir Kassir, Georges Haoui, Gebran Tuéni, Pierre Gemayel, Walid Eido, Antoine Ghanem et tous les autres innocents, pourquoi d'abord avoir attendu aussi longtemps pour le révéler au bon peuple ? Tout le monde connaît l'efficacité de l'infrastructure d'espionnage du Hezb, nécessaire pour préserver une longueur d'avance sur l'ennemi. Pourquoi alors Hassan Nasrallah n'a-t-il pas trop insisté sur la culpabilité d'Israël lorsqu'il avait émis cette théorie, juste par « pure hypothèse », en 2005, au moins lors d'une réunion avec Samir Frangié et Samir Abdel Malak ? « Laissez tomber », avait-il dit, sans trop y croire lui-même, devant le regard hautement dubitatif de ses hôtes... Première question sans réponse.
Ensuite, si Israël a bel et bien assassiné Rafic Hariri et tous les autres, pourquoi le Hezbollah et les alliés de la Syrie font-ils des pieds et des mains, depuis l'an 2005, pour torpiller le Tribunal spécial pour le Liban ?
Pourquoi avoir tout fait pour combattre ce tribunal, sans jamais présenter la moindre preuve au sujet d'Israël ? Pourtant, au lieu de s'acharner contre le tribunal - comme ce soir tragique de décembre lorsque la voiture de Gebran Tuéni a volé en éclats et lorsque, loin de se solidariser avec les victimes, les ministres du Hezbollah et d'Amal ont claqué la porte du gouvernement la première fois -, n'aurait-il pas été plus simple de faire preuve de compréhension et de coopération ; sinon de rendre hommage à ce vrai résistant tombé sous les coups de l'ennemi ? Pourquoi, si c'est bien Tel-Aviv le coupable, Damas a-t-il tout fait depuis 2005, par alliés interposés, pour déstabiliser le pays et en faire un Failed State ? Pourquoi le directoire syrien donne-t-il continuellement l'impression d'être à la recherche de celui, quel qu'il soit, qui pourrait l'aider à s'extirper du cercle de la culpabilité, par le biais d'un marché régional ou international -, et ce alors même que tout le monde proclame, l'on ne sait d'ailleurs guère pourquoi, que le TSL a d'ores et déjà innocenté la Syrie ?
Si Israël a effectivement tué Samir Kassir, Georges Haoui, Gebran Tuéni et Pierre Gemayel, pourquoi avoir fait la guerre avec autant de férocité au 14 Mars depuis 2005 ? Pourtant l'avoir accusé cent mille fois de collaboration avec l'État hébreu, puisque ses symboles ont été assassinés par Israël ? Pourquoi avoir voué les chefs de file du courant souverainiste aux gémonies, en les accusant de « traîtrise » et de « collusion avec l'ennemi » durant la guerre de juillet 2006, puisqu'ils étaient dans le collimateur de l'État hébreu autant, sinon plus alors, que les cadres de la « Résistance » ? Pourquoi avoir ensuite mené une guerre à l'intérieur contre eux en 2008, toujours en les diabolisant de plus belle, sans cesser un instant de les assimiler au projet sioniste ?
Le secrétaire général du Hezbollah possède-t-il la réponse à toutes ces questions ? S'il considère que le 14 Mars a été manipulé depuis le 14 février 2005 par Washington et Tel-Aviv, comme s'évertue à le répéter depuis des années l'un des « idéologues » les plus fidèles du régime syrien, Michel Samaha, pourquoi n'a-t-il pas tout simplement dévoilé tout le complot dès le départ ?
Mais nous ne sommes malheureusement pas dans Alice au pays des merveilles. Les Libanais sont tout à fait disposés à croire qu'Israël a assassiné tous ses chefs de file depuis le 14 février 2005 pour semer la discorde communautaire, dans la plus pure tradition du discours officiel prosyrien qui était de mise avant l'intifada de l'indépendance. Ils sont même prêts à admettre, ne serait-ce que pour accompagner Hassan Nasrallah dans sa nouvelle expédition onirique et rhétorique, qu'Israël a aussi tué Riad el-Solh, Riad Taha, Soubhi el-Saleh, Mohammad Choucair, Kamal Joumblatt, Bachir Gemayel (dont l'assassin se pavane librement en Syrie !),
Sélim Laouzi, Michel Seurat, Nazem Kadri, Hassan Khaled, René Moawad, et beaucoup d'autres souverainistes encore... et que nul autre que l'État hébreu, qui bat déjà tous les records de criminalité en Palestine, comme hier au Liban-Sud et à Beyrouth, n'a jamais fait couler le sang des Libanais. Mais ils ont du mal à croire que le Hezbollah ait pu rester muet et les bras croisés durant tout ce temps si c'est effectivement Tel-Aviv qui a sévi le 14 février 2005, et puis périodiquement jusqu'en 2007. Ils ont du mal à croire que les services de renseignements syriens, aidés par ceux du Hezb, qui contrôlaient pourtant l'ensemble du territoire libanais, n'aient pu débusquer le complot. Ils ont d'autant plus de mal à croire qu'à la demande de certains responsables des services de sécurité à l'époque, des pièces à conviction avaient été soigneusement escamotées de la scène du crime devant le Saint-Georges : ces derniers étaient-ils les collaborateurs d'Israël ? Qu'ils soient donc traduits en justice si c'est le cas. Les Libanais ont du mal à admettre que ce soit Israël, et non la justice addoumienne de l'époque, qui ait fait disparaître des éléments fondamentaux du dossier de l'attentat contre Marwan Hamadé - à moins que le procureur général ait lui aussi magistralement floué tout le monde en se faisant passer, durant toutes ces années, pour l'homme lige de Damas. Combien auraient-ils préféré que ce soit, par ailleurs, une speakerine d'une chaîne de télévision israélienne qui commente avec sarcasme les images de l'assassinat de Walid Eido, en annonçant le pire pour Ahmad Fatfat... ? Combien auraient-ils compris que ce soient des sites israéliens, et non syriens, qui aient insulté frénétiquement et fielleusement Samir Kassir et Gebran Tuéni post-
mortem ; ou encore que les faux témoins envoyés auprès du TSL soient en fait tous des agents sionistes, et non pas des ressortissants syriens jusqu'à présent installés sous l'ombrelle du régime de Damas... ? Et les exemples sont interminables...
Il reste, au-delà de tout cela, la question initiale, cruciale : si l'hypothèse de Hassan Nasrallah est véritablement admissible, et si Israël a réellement assassiné Rafic Hariri et tous ses compagnons de la révolution du Cèdre, pourquoi avoir laissé faire, dans ce qui constituerait une grave brèche sécuritaire pour toute « résistance », et attendu aussi longtemps pour monter au créneau ? Serait-ce qu'Israël - puisque c'est à lui qu'on veut faire porter le chapeau - ait pu rendre ce fier et immense service, une fois de plus, à des alliés objectifs... ?

* Film de Nicholas Ray (1950), dans lequel le personnage campé par Humphrey Bogart s'ingénie à convaincre autour de lui, non sans succès, qu'il n'est pas coupable du crime dont on l'accuse. L'a-t-il vraiment commis ? À voir absolument. 
Alors, c'est Israël qui est derrière tout ce qui s'est produit au Liban depuis 2004. Soit. Admettons le postulat de base. Que ne nous réconforterait-il pas en effet d'entendre que c'est encore une fois Tel-Aviv, mue par sa volonté éternelle de maintenir la discorde dans le monde arabe, qui est la source des maux du Liban, comme c'est d'ailleurs largement le cas...

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