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Liban

Trois mille libanais manifestent à Beyrouth pour revendiquer un État laïc

À Beyrouth, ils étaient trois mille à manifester (selon Reuters) pour revendiquer un État laïc et affirmer qu'ils ne sont plus prêts à jouer le jeu confessionnel. Ils sont surtout venus faire acte de présence et clamer haut et fort que l'on ne peut plus les ignorer, ou ignorer leurs droits, exprimés sur plusieurs de leurs banderoles.
« Mariage civil, pas la guerre civile », ou « Fatima et Tony s'aiment... ça c'est un problème », pouvait-on lire sur des banderoles, dans une allusion claire au fait que le mariage civil n'existe pas au Liban. « Ce qui est important, c'est que tous les groupes marginalisés sont ici pour exiger un État pour tous », dira Hani, 24 ans.
Initié par un groupe de cinq jeunes Libanais qui aspirent depuis le mois de novembre dernier à mener le même combat qui a achevé de décourager leurs aînés de gauche, le rassemblement a fait boule de neige, grâce notamment au fameux réseau social de Facebook et à un minimum de coordination, comme l'explique l'une des fondatrices du mouvement, Kinda Hassan. La spontanéité et le désir d'exprimer et de faire entendre leur ras-le-bol d'un système confessionnel était probablement le second élément moteur qui a achevé de stimuler l'initiative.
Aux cris de « Laïcité », ils ont marché jusqu'au siège du Parlement pour défendre l'idée d'un État non confessionnel, alors que des militants distribuaient des fleurs et des roses aux manifestants et aux forces de l'ordre.
Les mots de ralliement étaient d'ailleurs tirés du préambule de la Constitution (article C) prévoyant « le respect de la liberté d'opinion et de croyance », « la justice sociale », l'égalité des droits et des obligations entre tous les citoyens, sans distinction ni préférence.
Si la moyenne d'âge des participants était autour de 25-30 ans, la présence de jeunes couples accompagnés de leurs enfants était assez remarquable, les familles, parfois issues de mariages mixtes, étant venues réclamer un régime de statut personnel facultatif.
Également parmi les manifestants, des individus
appartenant à une génération un peu plus vieille et dont la participation était d'autant plus notoire que l'on pouvait reconnaître parmi eux plusieurs intellectuels, notamment des anciens militants de gauche venus applaudir, non sans nostalgie, ces jeunes qui ont décidé de reprendre le flambeau. Membre fondateur de la Maison de la laïcité, le directeur général de la Santé, Walid Ammar, a tenu à exprimer sa joie et son admiration de voir la nouvelle génération prendre la relève.
Bien placé pour connaître les dysfonctionnements du système libanais, ce haut fonctionnaire, qui s'est retrouvé plusieurs années durant à la tête d'un ministère-clé, résume le « mal communautaire » et le remède requis, comme suit : « L'objectif de ce combat que nous menons est d'éliminer les intermédiaires qui s'interposent entre l'État et les citoyens. Ces intermédiaires ne sont autres que les chefs des communautés et les hommes politiques qui utilisent leurs ressources pour se faire une clientèle. Ils créent ainsi une dépendance chez le citoyen qui en réfère à ses leaders politiques communautaires pour acquérir ses droits, d'où la nécessité pour lui de créer une relation directe avec l'État. »

La présence de diplomates
Fait marquant à cet événement : aucune personnalité politique, aucun parti, aucun leader spirituel ne figurait à ce rassemblement dont les organisateurs semblent avoir tenu de toute évidence à écarter toute exploitation ou récupération politique. Plutôt inédite, mais non moins significative, la présence de quelques diplomates qui se sont glissés discrètement parmi la foule - non pas par intérêt professionnel - mais tout simplement en guise de soutien à l'initiative.
Caché derrière de grosses lunettes de soleil et un képi africain pour mieux s'assurer que son identité est bien camouflée, un diplomate européen s'empresse de souligner qu'il « n'est pas censé être là ». « Je viens, malgré l'interdiction qui nous frappe en tant que diplomates, pour soutenir ce mouvement pour lequel j'ai énormément de sympathie. Par conviction aussi, puisque je suis profondément laïc », dit-il. Précisant qu'il se trouve au Liban depuis plus d'un an, il poursuit : « Je pense que pour le Liban, c'est une très belle manifestation car je crois profondément que ce pays a besoin de sortir de l'impasse du jeu communautaire. »
Un autre jeune fonctionnaire d'ambassade, libanais cette fois-ci, qui a également tenu à garder l'anonymat, affirme être venu pour dénoncer notamment la lourdeur des rouages administratifs qu'il doit subir à l'étranger, et surtout, l'obligation de déclarer ses enfants comme appartenant à une communauté précise, malgré le fait qu'il soit laïc et marié à une étrangère. Ayant connu les affres des sélections qui sont effectuées sur base communautaire au sein des Affaires étrangères, il affirme, d'un ton survolté, qu'« il est temps que la méritocratie prenne le dessus si l'on veut construire un véritable État de droit, un État citoyen ».
Si les revendications qu'il exprime sont plutôt claires, pour lui, et le chemin à prendre « graduel », ce n'est pas tout à fait le cas des jeunes manifestants qui, tout en affirmant presque unanimement vouloir s'éloigner de l'exploitation politique, ne savent pas encore réellement quel est le processus à suivre dans le futur et si leur mouvement optera pour une laïcisation totale de la société ou s'ils vont préférer y aller graduellement, en approuvant notamment la fameuse proposition du chef du Parlement, Nabih Berry, sur l'abolition du confessionnalisme politique. Ils sont en tous les cas certains d'une chose : le changement doit se faire d'abord au niveau des textes, pour pouvoir éventuellement aboutir à une transformation des mentalités, et non l'inverse. Pour ce faire, le mouvement doit naître de la base, et c'est désormais à la nouvelle génération qu'il revient de prendre l'initiative et se transformer en groupe de pression.
« Le changement doit venir de nous, souligne un organisateur, s'exprimant à l'aide d'un porte-voix devant le Parlement, où la police avait établi des barricades pour empêcher les manifestants d'atteindre le bâtiment. Seulement nous, citoyens, pouvons le faire. »
Si l'enthousiasme était au rendez-vous et la volonté du changement assez patente chez les protestataires, peu d'entre eux savent comment exploiter ce premier succès et quelle stratégie suivre à l'avenir.
Raëd, 32 ans, ne sait pas quelles seront les conséquences, immédiates ou à long terme, de ce mouvement. Il est simplement convaincu qu'il est de son devoir en tant que laïc « d'être au cœur de l'action ».
« Je ne voudrais pas atteindre la cinquantaine et savoir que je n'ai rien fait pour changer les choses. L'action est importante », dit-il en se prononçant, lui aussi, pour un changement « graduel », afin de « rassurer ceux qui ont peur ou ceux qui y voient un complot contre une communauté donnée ».
Bien entendu, poursuit le jeune manifestant, « il n'y a pas de recette magique ou idéale pour parvenir à l'État laïc. Mais il faut commencer par ouvrir le débat sur les véritables échéances, celles qui concernent les citoyens, et mettre un terme aux discussions de géostratégie dont on a déjà assez parlé jusque-là ».
Dans les milieux des intellectuels, on murmurait le nom du président de la République qui, disent-ils, « devrait parrainer et soutenir ce mouvement ».
Il reste à savoir comment l'impact de ce mouvement sera reçu auprès des politiciens et, surtout, si les jeunes organisateurs réussiront à concilier la nécessité de rester « apolitiques », comme ils l'affirment, et le besoin d'intégrer leur action dans le champ politique, passage obligé pour parvenir aux transformations législatives escomptées.
À Beyrouth, ils étaient trois mille à manifester (selon Reuters) pour revendiquer un État laïc et affirmer qu'ils ne sont plus prêts à jouer le jeu confessionnel. Ils sont surtout venus faire acte de présence et clamer haut et fort que l'on ne peut plus les ignorer, ou ignorer leurs droits, exprimés sur plusieurs de leurs...

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